Témoignages. Manifestation du 1ᵉʳ mai : "je n'ai pas besoin d'un gros salaire, mais juste d'être un minimum considéré"

Publié le Écrit par Florence Grandon

La fête du travail, c'est pour certains un rendez-vous à ne pas manquer. La manifestation du 1ᵉʳ mai réunit des salariés, des syndicalistes, des militants, des associations et des familles. Rencontre avec trois travailleurs dans le cortège à Strasbourg.

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Le cortège strasbourgeois s'est mis en route avec presque 30 minutes de retard ce mercredi 1ᵉʳ mai. Les drapeaux flottent au soleil et les musiques se mélangent. On allume les mégaphones et on chante l'internationale a cappella. Après les revendications contre la réforme des retraites en 2023, et la mobilisation après l'élection présidentielle de 2022, les mots d'ordre de 2024 sont plus classiques. Appel à l'unité, contre l'austérité, pour la paix ou "pour une Europe plus protectrice".

Selon une étude récente du cabinet Qualisocial, dont nos collègues de France Info publient les conclusions, "près de 90% [des 3 000 salariés interrogés] estiment que la qualité de vie et les conditions de travail devraient être un enjeu prioritaire ou important pour les employeurs, et que ce n'est pas suffisamment le cas actuellement", 42% d'entre eux seraient même désengagés et peu investis dans leur travail.

Rencontres avant le départ de la manif à Strasbourg, place de l'Université avec trois salariés. Avec une question surtout : et le travail, ça se passe comment pour vous ?

Estelle Fraass : "on voudrait être écoutés pour nos manques d'effectifs et nos salaires"

Estelle Fraass a 53 ans, elle travaille depuis 15 ans dans la fonction publique comme assistante sociale. Tous les ans, elle défile pour le 1ᵉʳ mai avec son mari, un rendez-vous important, "pour montrer l'unité. Et puis j'aime le mélange des genres. Je remarque aussi qu'il y a de plus en plus de famille."

Estelle était avant commerciale dans le privé. Une reconversion professionnelle qu'elle est contente d'avoir fait. Comment ça se passe pour elle au travail ? "Ce n'est pas facile, la précarité augmente, on le voit bien. Mais sinon, ça va bien", résume-t-elle. "Sauf le salaire. Le pointe d'indice [des fonctionnaires, ndlr] n'a pas augmenté depuis longtemps, j'ai pu toucher la prime Ségur, soit 183 euros de plus par mois, mais certains métiers dans l'aide à l'enfance n'y ont pas droit. Il y a eu plusieurs manifs, et moi, j'ai manifesté en soutien, ce n'est pas normal".

Estelle pointe un autre problème dans son travail : "le manque d'effectifs dans la protection de l'enfance. C'est vraiment grave et personne ne nous écoute. On ne peut laisser cette situation perdurer !"

Diane Canruh : "j'aime mon travail, notre directeur est très à l'écoute"

Diane Canruh fait un selfie avec plusieurs amis, juste avant le départ. Elle est cartonnière et fabrique des boîtes d'emballages pour l'industrie du luxe chez Amann Packaging à Saverne depuis 20 ans. À la question "et comment ça se passe pour vous le travail ?", elle fait un grand sourire et répond du tac au tac : "j'aime mon travail, ça se passe bien".

On veut en savoir plus, elle précise : "j'ai toujours le dernier mot. Si j'ai une idée, on en parle et ça aboutit souvent sur quelque chose. On a un directeur très à l'écoute, il prend le temps de nous demander à chacun notre avis, si on voit des améliorations à faire, et on les obtient. Et il fait le tour de l'usine une fois par semaine."

"On a demandé un banc pour déjeuner dehors, on l'a eu. Il y avait des ventilos, on a demandé la clim, ils l'ont installé dans tous les ateliers. On a des t-shirts et des tabliers de protection, s'ils sont abîmés, on nous les remplace tout de suite. Je suis bien tombée", conclut-elle. 

"C'est donnant-donnant, ils nous donnent ce qu'on veut et du coup, on est aussi plus productifs." La recette de ces bonnes conditions de travail ? "Le chef d'atelier, le directeur, ils sont tous à l'écoute et ils ne sont pas brusques." 

Xavier : "je finis par partir quand on me demande toujours plus sans m'augmenter"

Xavier, 33 ans, est chimiste de formation et travaille depuis 10 ans comme technicien de laboratoire. Il est actuellement au chômage. "Là, j'ai arrêté, je vais bientôt reprendre. Pour moi, c'est un travail alimentaire, le travail me plaît, mais ce sont les conditions autour qui ne vont pas", explique-t-il. "On est payé au SMIC, et on est tous des pièces remplaçables. Je finis par partir quand on me prend pour un c**"

Xavier est employé par des entreprises privées, et revit à chaque fois la même chose : "on nous presse comme des citrons. Et comme je bosse bien, on m'en met toujours plus, jusqu'à ce que ça fasse trop. Moi, je veux bien, j'aime ce que je fais, mais dans ce cas, il faudrait m'augmenter, mais ça ce n'est pas possible. Alors, il y a deux solutions : soit faire le strict minimum, soit partir".

Il n'a pas d'autre choix que partir. Et repostuler quand il a de nouveau besoin d'argent, comme en ce moment. Il reste parfois longtemps, une fois, il est resté cinq ans. 

Il se dit ouvert à tout. "Je pourrais faire une reconversion, je vais voir. J'aimerais travailler à la SNCF, je n'ai pas besoin d'un gros salaire, mais juste d'être un minimum considéré dans mon travail."

Il fait partie du collectif "On crèvera pas au boulot". C'est son deuxième défilé du 1ᵉʳ mai, il a enfilé une combinaison et un masque de chimiste, et collé deux petites fleurs roses sur ses joues. "Avec le collectif, on a décidé de faire un défilé carnavalesque, c'est moi qui ai fabriqué tous les chars, on a aussi une chorale féminine, ça va être un beau moment." 

Charlotte Valentin : "quitter le salariat a été la meilleure décision de ma vie"

Charlotte Valentin vient pour la première fois au défilé du 1ᵉʳ mai, elle y a rejoint son amie Helline. La jeune femme de 33 ans fait de la communication, elle est indépendante depuis 10 ans, "enfin pendant 10 ans, j'ai eu deux emplois, un emploi salarié à temps plein, et un autre temps plein en tant que travailleuse indépendante, le soir, les week-ends et jours fériés. J'avais créé cette activité parce que mon travail me pesait. Les horaires, les clients, l'ambiance avec les collègues."

Et puis elle a tout plaqué pour faire la route de la soie en camion avec son copain, aventure relatée sur les réseaux sociaux. "Je n'ai emmené que deux clients, pour pouvoir travailler pour eux à distance. J'ai travaillé depuis le désert de Gobi, et d'ailleurs ça captait très bien ! Dans toute la Mongolie, on a pu utiliser nos portables sans problème. Nous sommes revenus fin mars, là je suis uniquement à mon compte, et ça marche bien. Comme si Strasbourg attendait mon retour", ajoute-t-elle dans un sourire. 

"Avoir quitté le salariat a été la meilleure décision de ma vie", conclut Charlotte.

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