Du Racine et des LED. Telle est la formule adoptée par le TNS (Théâtre National de Strasbourg) afin de rendre vie à son dernier spectacle : Mithridate, annulé comme ceux avant lui pour cause de Covid. La pièce a été filmée et sera diffusée en prime time sur Culture Box. Une petite révolution.
Dans la pièce éponyme de Jean Racine, Mithridate, roi antique, annoncé mort, revient sur ses terres. Un retour qui va tout bousculer. Un retour qui n'est pas sans rappeler l'histoire, beaucoup plus contemporaine, de cette pièce au TNS (Théâtre national de Strasbourg). Condamnée à l'obscurité et au placard par la crise sanitaire, voilà Mithridate, spectacle phare de cette saison 2020/2021,bientôt en pleine lumière. En pleine lumière cathodique sur la chaîne éphémère de France Télévisions : Culture Box (canal 19).
"D'autres temps, d'autres soins !" (Mithridate, Jean Racine)
"Ça ressemble à du théâtre mais ça ne l'est pas. C'est comme le Canada Dry"
La télévision planche de salut d'un théâtre moribond depuis des mois ? C'est la question que l'on peut se poser. Alors que ces deux mondes ont longtemps souffert de défiance et de méconnaissance réciproques, il semblerait que la crise sanitaire les réconcilie. Provisoirement.
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Car comment faire vivre le spectacle vivant dans les salles vidées de leurs corps ? Comment ne pas perdre ce lien, vital, avec le public quand les salles sont fermées ? Comment partager ce bien commun qu'est la culture en restant chez soi ? Les options ne sont pas légions. Le petit écran en est une. De taille.
Stanislas Nordey est allergique aux écrans. Pourtant, le directeur du TNS, qui joue dans cette pièce le rôle principal a dû faire fi de ses boutons et les troquer contre ceux de la télécommande. Pour sauver Mithridate de la tombe ou du moins du placard. Mithridate programmée en novembre et enterrée vivante faute de public.
L’année dernière, le TNS a dû reporter 17 de ses spectacles et la dernière représentation, sur scène a eu lieu en octobre. « Attendez ça fait tellement longtemps que je ne me souviens même plus de la pièce … ha si c’était Le Père de Julien Gosselin. C’est dingue. »
Alors quand Eric Vigner le metteur en scène de Mithridate lui propose un film de théâtre, Stanislas accepte. Et prend sur lui. Pour la bonne cause. "J'ai un rapport pathologique à mon image, je ne me regarde jamais. Jamais sur les photos, jamais dans un miroir. C'est tout simplement impossible. D'ailleurs je n'ai regardé que le premier acte du film, celui où je ne suis pas. Fils de réalisateur (JP Mocky) j'ai baigné là-dedans tout petit et je me suis dit jamais plus."
Fils de réalisateur (JP Mocky), j'ai baigné là-dedans tout petit et je me suis dit jamais plus.
"Pour moi, le spectacle vivant n'est pas reproductible, je n'utilise jamais de captations pour mes créations. L'audiovisuel enlève la projection de la voix, le mystère de l'acteur, le danger de l'erreur et surtout la rencontre du public. Tout peut arriver dans un spectacle. Dans une captation, il n'arrivera rien. Même pas l'ennui. Sinon on zappe."
Durant cinq longs jours de novembre, la scène du TNS se mue en plateau télé. Les représentations seront des enregistrements. Pour capter la pièce. Pour en saisir la substance à défaut de surprendre le public. « Pour moi, ça a été une réelle forme de souffrance. Le plaisir du théâtre est tellement fort chez moi qu’à chaque fois que j’avais une de ces machines devant moi je pensais au public absent. Le public c’est une drogue. Et là je suis en manque grave. »
« Je suis ravi que Mithridate existe et qu’elle soit de cette qualité mais mon angoisse ne me quitte pas. Celle de me dire que ce n’est pas le spectacle. Ça ressemble au théâtre mais ça ne l’est pas. C’est comme le Canada Dry. »
Stanislas Nordey fait du théâtre mais il ne sait pas jouer la comédie. Comme VRP on repassera.
Racine en prime time
La performance mérite pourtant d’être saluée. 2H20 d’un grand classique de Racine, écrit en alexandrins et diffusé en prime time relève presque du happening. De ces surprises, inconcevables encore il y a quelques mois, surgies du marasme.
Pour Eric Vigner, le metteur en scène de Mithridate, cette expérience aura été belle. Magnifique. Lui qui, tout petit dans son village breton, a rencontré le théâtre sur le poste de télévision. « Tous les moyens sont bons pour accéder au théâtre, tous. »
Pour ce film de théâtre, Eric Vigner a travaillé avec un réalisateur qu’il connait bien : Stéphane Pinot. Sur le plateau, ni le décor, ni la mise en scène n’ont été modifiées. Seul le regard a changé en se démultipliant. Un kaléidoscope. « J’ai assisté au tournage, au montage, à l’étalonnage et je me suis aperçu que grâce aux différentes valeurs de plan, grâce aux gros plans notamment, on s'approche de la langue de Racine : intime, profonde. »
Grâce aux gros plans notamment, on s'approche de la langue de Racine : intime, profonde.
Une variation des points de vue qui épouse celle du metteur en scène. Une première. Une gageure. « Au fil de la pièce, grâce à toutes ces caméras, le film rend compte de ma vision de la pièce. En clair-obscur, onirique, crépusculaire. J’ai compris également que pour rendre compte d’une œuvre à l’écran, rien ne valait le silence d’une salle vide. Son intimité. Ça m’a donné à réfléchir sur les captations théâtrales que l’ont fait souvent en public après quelques représentations … et où finalement les sensations sont moins fortes. Ce film là contrairement peut-être aux autres captations que j'ai pu faire dans le passé, je le revendique.»
Le film Mithridate sera diffusé le 22 février sur la chaîne éphémère Culture Box à 21h05. Le 5 mars sur France 5. Et si Stanislas Nordey et Eric Vigner n’ont pas vécu l’expérience de la même façon : « il exagère Stanislas, c’est un acteur magnifique, son entrée en scène est bouleversante, j’espère qu’il va au moins se regarder cinq minutes», tous deux s’accordent sur un point.
« Le but de tout cela c’est que le public revienne au théâtre. Culture Box c’est bien mais il faut que ça s’arrête quand les théâtres rouvriront. La télé ne doit pas remplacer le théâtre. Revenez dans les salles. »
Revenez dans les salles.
Revenez en juin prochain au TNS pour voir Mithridate sur scène. Pour comparer les deux œuvres et faire votre propre point de vue. En direct.