Début 2020, des comédiens strasbourgeois créaient les "escadrilles poétiques". Une initiative destinée à apporter de la gaieté dans l'espace public, à "irradier la joie" pour la propager. Nous les avons suivis lors d'une de leurs sorties.
Ils sont une dizaine, parfois davantage... En ce gris matin de décembre, ils avancent très lentement entre les étals du marché de la place Hans-Jean Arp, à côté du musée d'art moderne de Strasbourg, serrés comme des sardines, ou alignés en file indienne. Le premier de la troupe ébauche avec les bras le battement des ailes d'un oiseau. Le suivant l'imite, et le mouvement se propage jusqu'au bout de la file.
A l'étal du primeur, une dame aux cheveux blancs en oublie sa commande de légumes. Un grand sourire aux lèvres, elle observe la troupe pendant quelques secondes. Sa voisine lève le pouce pour les encourager. "C'est très amusant !" réagit un touriste en anglais. Les comédiens font encore quelques pas, et ils enchaînent avec une chanson à l'angle du marché. "J'adore, ça donne envie de les rejoindre", s'exclame une passante avant de s'approcher de la troupe avec quelques pas de danse.
Personne ne pose de question à cette ribambelle de saltimbanques qui a l'air d'une bande de gosses échappés d'une récré. C'est d'ailleurs la consigne qu'ils se sont donnée : jouer comme des enfants. Un peu plus tôt dans la matinée, les comédiens étaient attablés autour d'un café, dans un troquet voisin. En bout de table, Marion Grandjean et Christophe Muller, les deux comédiens à l'origine de la création des escadrilles poétiques il y a trois ans. Christophe commence en lisant des extraits d'un ouvrage de Christian Bobin : "Est-ce qu'un sourire peut changer le cours d'une vie ? Est-ce qu'un sourire est assez solide pour y bâtir sa vie entière ?"
La force de la joie
"La joie en soi, c'est une force" explique Marion Grandjean. Ce n'est pas être béat face au monde, c'est pouvoir critiquer le monde, mais être joyeux ensemble, et montrer qu'ensemble on est fort. Tous les sourires, l'amour qu'on reçoit... On a eu déjà des arrêts, des gens qui sont en voiture et qui nous klaxonnent, et tout ça, ça nous réconcilie avec l'humanité."
La co-créatrice des escadrilles s'appuie sur la puissance de propagation des "neurones miroirs" : "Quelqu'un qui est en colère va dégager de la colère. Si nous on dégage de la joie, ça dégage la joie sur nous et sur les gens aussi. L'idée, c'est d'irradier, c'est-à-dire que celui qui a pris la joie va continuer à la propager dans sa journée."
Enrichir son jeu
Les participants reçoivent autant qu'ils donnent. Les sorties des escadrilles leur permettent de s'enrichir de l'expérience de leurs partenaires qui pratiquent d'autres disciplines (danse, chant, musique...) mais surtout de muscler leur jeu : "Tout le travail est quand même sur l'écoute" poursuit le comédien Bruno Amnar. "Une personne du groupe va faire tel ou tel mouvement, on va être attentif pour pouvoir improviser à partir de tel ou tel code. Par exemple quand on fait la file indienne, la personne à l'avant impulse le mouvement, et quand elle se retourne, c'est à la personne qui est à l'autre bout de la file de prendre le lead et d'enchaîner".
Les réactions du public ne sont pas toujours sympathiques. "On se lance totalement dans l'inconnu, ce n''est pas comme quand on répète avant, là c'est '"on y va, et puis on voit ce qu'il se passe" explique Morgane. "C'est un public qu'on ne connaît pas, un public de la rue, donc ça fait un peu flipper quand même. Mais quand c'est fini, on se dit "ah c'était cool !", ça illumine notre journée !"
Leurs prochaines sorties seront annoncées sur leur page Facebook, c'est là aussi que les horaires de leur spectacle du samedi 10 décembre place du Tribunal à Strasbourg seront précisés.