C'est l'histoire d'une renaissance : la brasserie de Lutterbach a longtemps fait rayonner la bière alsacienne. En 1968, la production cesse et l'institution du village perd sa place parmi les grands. Aujourd'hui, la municipalité a décidé de faire revivre celle qui fait la fierté de ses habitants.
"Ca fait huit jours qu'on est là, j'en bois une par jour..." A Lutterbach, la petite mousse n'a pas manqué qu'à Bernard. La brasserie ne désemplit pas depuis sa réouverture, mi-juin. Car avec elle, les Lutterbachois retrouvent l'un des poumons de leur village. "Dans le temps, c'était quelque chose", confie François, collectionneur d'objets de l'ancienne brasserie.Bröijer zidder 1648
Dans la bourgade haut-rhinoise, la brasserie est un lieu de mémoire collective. Ensemble, elles ont traversé les siècles. Dès le XVIIe, des moines originaires de Lucelle choisissent Lutterbach pour la qualité de son eau. L'histoire raconte que la brasserie appose depuis la date de 1648 sur ses produits. Très vite, elle est concurrencée par l'essor de l'activité brassicole en Alsace. La suppression du système des corporations pendant la Révolution entraîne la multiplication des lieux de production dans la région. La brasserie vit son âge d'or à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, et incarne alors la prospérité industrielle de l'époque. En 1945, 1500 personnes se réfugient dans ses caves. Dehors, les bombardements détruisent plus de 90% du village. C'est l'un des derniers vestiges. Mais les dommages de la guerre et la transformation du marché brassicole conduisent à la disparition des lieux. Les 12 hectares de l'usine sont reconvertis en logements dans les années 70. Sa réouverture en 1994 ne dure qu'un temps.Une brasserie menacée d'extinction
Aujourd'hui, la municipalité veut faire revivre son institution. Faute de trouver repreneur, elle a elle-même financé la réhabilitation des lieux et l'achat de l'outil brassicole. Coût total : 1,8 million d'euros. "[La brasserie] était vouée à disparaître. Pour un particulier ou une entreprise qui veut investir, c'est un investissement beaucoup trop lourd pour être rentabilisé", explique le maire, Rémy Neumann.La municipalité a confié la gestion à un enfant de Lutterbach. Julien Wagner est revenu des Caraïbes pour prendre les rênes de l'établissement. "C'était cette brasserie et pas une autre, j'y suis vraiment attaché", explique-t-il, après trois ans d'attente.
Sauvegarder l'emblème, jusque dans la cuve. Le brasseur des lieux tente de déceler le secret de la bière d'antan : la Pilsner, façon tchèque, son pays d'origine. Objectif : retrouver la saveur amère et sucrée imaginée dès le XIXe siècle. "J'espère qu'on va s'approcher le plus possible de la bière d'époque", explique Jindra Tomes, qui s'adapte aussi aux consommations actuelles. Car la brasserie, très attachée à ses origines, espère attirer un public plus jeune, de toute l'agglomération mulhousienne. Un impératif dans un marché devenu très concurrentiel. L'Alsace compte plus d'une quarantaine de brasseries et des consommateurs de plus en plus exigeants.