La phase 4 du plan militaire Orion doit se dérouler sur l'ensemble des départements de Champagne-Ardenne (notamment), du lundi 17 avril au mardi 2 mai. Il s'agit d'un exercice de grande ampleur où deux armées conventionnelles et de forces égales s'affrontent sur tous les terrains et champs d'action.
Invasion militaire en vue en Champagne-Ardenne... mais pour de faux. C'est en réalité un exercice qualifié de "novateur", la nouvelle et quatrième phase du plan Orion (intervention d'envergure, après une première phase d'alerte, la phase une, une phase deux de mobilisation, et une phase trois de gestion de crise). Cette quatrième phase est "inédite par son ampleur et son ambition", associant de réels mouvements de troupes sur le terrain et d'autres évidemment simulés.
Après de premiers exercices, de moindre envergure (à Cahors (Lot) par exemple), le théâtre d'opérations devient le Grand Est. Ce sont près de 12.000 militaires (dont 9.000 vont combattre) qui vont ainsi se déployer "principalement" dans l'Aisne, les Ardennes, l'Aube, la Marne, la Haute-Marne, et la Meuse.
Les régiments impliqués sont originaires de tout le territoire national. Comme la troisième division interarmes de Marseille (Bouches-du-Rhône), déployée à Mourmelon (Marne). Ou la deuxième brigade blindée de Strasbourg (Bas-Rhin), qui opérera dans toute la grande région. Bien d'autres sont prévues, provenant parfois des armées américaine ou britannique.
Le but est de "durcir l'entraînement", au regard de la situation internationale assez incertaine, "afin de pouvoir préparer la guerre de demain". Si l'on peut penser à la situation en Ukraine, en réalité, le plan a été imaginé l'année précédente.
Le général Emmanuel Gaulin est le responsable de cette phase du plan Orion, c'est le commandant du Corps de réaction rapide-France (CRR-Fr), en a révélé les contours et les détails ce vendredi 07 avril, depuis la Citadelle Vauban sise à Lille (Nord), à l'occasion d'une conférence de presse.
Combien de temps ça dure ?
Les opérations, "en grandeur quasi-réelle", doivent débuter au lundi 17 avril. Le déploiement a déjà commencé. D'une durée de trois semaines, elles devraient se conclure le mardi 02 mai. Cet exercice, "premier rendez-vous d'un cycle triennal d'exercices de haute intensité", a été demandé par le général Thierry Burkhard, l'actuel chef d'état-major des armées. C'était en 2021, juste avant l'invasion de l'Ukraine par la Russie.
Que se passe-t-il au juste ?
L'expérimentation intervient en suivant un scénario préétabli, digne d'Hollywood, et qui rappellera à beaucoup un conflit un peu trop proche de la réalité pour prêter à sourire. La nation Arnland est confrontée par son voisin, Mercure. Cet État puissant, menaçant, finance et entretient des milices (nommées Tantale). Toute ressemblance avec des faits réels...
Le prélude à la phase 4 est l'invasion en bonne et due forme d'Arnland par Mercure, "sous prétexte de protéger ses ressortissants", via tout un "corps d'armée soutenu par une aviation conséquente" . Dans ce jeu de rôle militaire, l'Armée française imagine des forces équilibrées : Mercure pourrait faire de lourds dégâts dans les rangs alliés. Habituellement, les forces françaises sont plutôt confrontées à des terroristes sous-armés dans des territoires hostiles, plutôt que des corps d'armées européennes sur son propre territoire. Une partie des batailles sera simulée des deux côtés, mais il y aura bien des mouvements et actions sur le terrain.
La brigade franco-allemande de Müllheim va notamment être mise à contribution pour constituer une partie des rangs de Mercure. Opposée à elle, une coalition faisant intervenir de vrais pays et de vrais soldats. Les États-Unis déploieront des unités et un poste de contrôle. Des troupes britanniques entreront aussi en action. La Belgique et l'Allemagne interviendront également. Dans la réalité, jusqu'à 20% des effectifs d'une armée interopérée peuvent provenir de pays alliés.
Qu'est-ce qui va être testé ?
Tout. Des transmissions à la logistique, de l'action des hélicoptères au déplacement des camions, du bon fonctionnement des hôpitaux de campagne à la prise en compte de la cyber-guerre et des nouvelles technologies... Sans oublier le renseignement ou les évaluations tactiques, ni l'impact des médias et des réseaux sociaux : l'étendue est très large. De quoi travailler "les élongations, les mouvements, les franchissements, et le soutien. Choses qui sont peu faites en entraînement." L'action et l'efficacité des différents postes de contrôle pourront aussi être vérifiées en temps réel.
Trois objectifs principaux sont cités : "conduite d'une opération aéro-terreste de haute intensité face à un adversaire à parité", "l'intégration des effets opérationnels dans tous les milieux et tous les champs", et "la crédibilisation du rôle de nation-cadre par la France". À cet effet, 2.600 véhicules dont 400 de combats doivent être déployés, ainsi qu'une quarantaine d'hélicoptères, une cinquantaine d'avions, et une centaine de drones.
Quelles villes sont concernées ?
Le camp militaire de Mailly (Aube) doit abriter les états-majors des forces en présence. C'est à dire celle coalisée (14 pays) que dirige la France (intervenant sous mandat donné par l'article 5 de la charte de l'Otan, dans le scénario). Mais aussi celui conjoint chargé d'organiser d'un point de vue global l'action des deux factions (celle opposée comprise). La fourchette large est "une zone de 400 kilomètres sur 250 kilomètres environ, qui va globalement de Besançon à Amiens".
La guerre nécessite la mise en place d'un vaste réseau de soutien pour durer : cela se vérifie toujours, et noamment lorsque la Russie s'est attaquée à tout le territoire ukrainien (l'exemple a été cité pendant la conférence de presse). Les groupes de soutiens divisionnaires seront déployés dans le secteur de Vouziers (Ardennes), qui sera un vrai coeur névralgique de la logistique militaire.
Les zones d'action aérienne concernent le nord-est, c'est à dire directement au-dessus des camps de Champagne. Les 50 aéronefs opéreront depuis Mont-de-Marsan (Landes), en comptant une quinzaine d'appareils alliés issus des rangs allemands, grecs, et espagnols (de quoi obtenir "cinquante sorties aériennes par jour pendant trois semaines, jour et nuit"). Deux autres zones aériennes s'étendent autour du Massif central et au-dessus du golfe de Gascogne. Du côté de la Marine, une frégate armée de missiles doit pouvoir agir depuis les côtes de Bretagne pour fournir "une composant aéro-navale".
Comment ça va se passer ?
Voici le déroulé prévu des opérations :
- 19-22 avril : prise de contact entre Vesoul (Haute-Saône) et Troyes (Aube); exploitation pour obtenir une supériorité aérienne au moins locale, associée aux frappes au sol sur Mailly (Aube)
- 23-27 avril : action de freinage de l'ennemi entre Troyes et Reims, édification d'une ligne de défense sur l'Aisne, batailles "dures" au sol à Mailly, Mourmelon, et Suippes (Marne)
- 28-30 avril : action de défense "ferme" jusqu'à Laon (Aisne) pour préparer la reprise de l'initiative au sol, combats dans les centres urbains et notamment le camp de Sissone (Aisne)
- 01-02 mai : contre-attaque avec "combats très durs" et "manoeuvre aérienne agressive" ainsi "qu'opération aéroportée pour mener le chaos" contre l'ennemi dans la zone de Mourmelon, restauration de l'intégrité du territoire
Quel impact sur la population ?
Il devrait être minime. Il ne faut pas s'attendre à une invasion en règle de la ville de Reims (Marne). "J'espère que les civils seront rassurés de voir leurs forces de sécurité plutôt que celles de l'adversaire", a commenté le général Gaulin. Une intense communication a eu lieu dès mars 2022 via des réunions officielles et l'envoi de 3.000 courriers aux maires du secteur.
La population civile devrait "pouvoir continuer à vivre" et ne connaître que "des nuisances minimes. Il y en aura quelques unes, mais limitées", et ce seulement à proximité des camps militaires concernés où se concentreront les actions "dures". Des équipes de contrôle, appelées PSR dans le jargon, seront sur le terrain et en contact avec toutes personnes avec qui il pourrait y avoir un souci. Précision, selon l'Armée, la "phase deux dans le sud-est" a été bien perçue par les locaux. Cela sera donc peut-être aussi le cas en Champagne.