INSOLITE. Le concepteur du jeu du "1000 Bornes" n'avait pas le permis, d'après l'enquête d'un graphiste

La Biennale du Design Graphique de Chaumont (Haute-Marne) propose une exposition sur le jeu du "1000 bornes", intitulée L'As du Crayon. Ce jeu a été conçu dans les années 50 par Joseph Le Callennec, un graphiste méconnu pourtant auteur d'une œuvre référence.

Qui ne s'est pas retrouvé coincé par une panne d'essence ou bloqué après une collision avec un lampadaire attendant avec impatience la carte « Véhicule prioritaire » ou le sésame « As du Volant » ? Depuis sa création, le 1000 Bornes s'est imposé comme un indispensable des dimanches pluvieux et des soirées en famille. Mais pour Tony Durand, graphiste et plasticien installé à Cherbourg dans la Manche, auteur d'une exposition graphique intitulée l'As du volant, présentée à Chaumont en Haute-Marne, c'est encore plus que ça.


"Quand je me suis demandé comment j'étais devenu graphiste, moi qui avais grandi à la campagne loin de cet univers, j'ai réalisé que ce jeu du 1000 bornes avait été mon premier grand choc visuel. J'y jouais quand j'avais 7 ans environ et le dessin de ces cartes m'a toujours semblé énigmatique, et notamment la fameuse carte As du Volant..." 

Je trouve que visuellement, il y a un effet assez magique dans ces cartes.

Tony Durand, Commissaire de l'exposition l'As du Volant

Un souvenir qui a poussé Tony Durand à en savoir plus et à publier un livre sur l'auteur de ces dessins : Joseph Le Callennec. Malgré le succès incontestable du 1000 Bornes, la vie de cet affichiste né en 1905 et mort en 1988 reste mystérieuse : aucune trace dans les livres d'histoire du graphisme français ni aucune documentation... Tony Durand décide de mener l'enquête.

Ses recherches l'amèneront sur le chemin de sa petite fille Sophie Le Callennec qui lui en dira un peu plus. "Elle a rapidement douché mes espoirs, car je rêvais de pouvoir fouiller dans ses archives. Malheureusement, ses archives avaient été détruites dans l'inondation de la cave de sa maison."


Tony Durand apprend quand même que Joseph Le Callennec n'a pas fait d'école d'art comme les autres grands graphistes français de son époque, mais un simple CAP d'ouvrier typographe. Une singularité qui se révélera déterminante.

"Joseph Le Callennec entre dans le monde du graphisme par la petite porte, il fait ses preuves, il est débrouillard et surtout, il n'est pas formaté. Il va trouver des solutions parfois un peu extravagantes, parfois impossibles mais il va se l'autoriser parce qu'il n'a pas fait d'école d'art. C'est la spontanéité du débutant, c'est quasiment de l'art brut."

Pie qui Chante et courses de chevaux

Joseph Le Callennec trouve sa place dans ce métier et sa rencontre avec l'éditeur Edmond Dujardin sera déterminante. Elle aboutira quelques années plus tard à la naissance du 1000 Bornes. L'éditeur s'est spécialisé dans la publication de guides techniques sur des activités en tous genres (sportives, de loisirs, des langues étrangères...) et bientôt un code de la route.


"Au moment où se développe la circulation automobile, ce code de la route est un grand succès, Dujardin se dit qu'il faudrait créer des ouvrages de pédagogie de la conduite pour le grand public." Sous la plume de Joseph Le Callennec, des contenus pour les écoles de conduite sont créés puis des jeux sur le thème de l'automobile et enfin en 1954, le 1000 Bornes est créé.

L'exposition L'As du Crayon proposée à l'ancienne École Saint-Marie, rue Girardon à Chaumont, montre d'autres réalisations signées Le Callennec. Parmi elles se distinguent le logo de la marque de confiserie La Pie qui Chante ou celui de la marque de sucre Béghin Say mais aussi ces jeux de société conçus par la société Dujardin consacrés à l'automobile ou encore aux courses de chevaux ou encore au journalisme.


On peut voir également une version méconnue du 1000 Bornes et dessinée elle par le graphiste Pierre Praquin en 1960. Soucieux de renouveler son jeu, Edmond Dujardin fait le pari de cartes magnifiques d'un point de vue esthétique mais ce sera un échec.

"Ce sont des dessins qui sont trop en avance sur leur temps, explique Tony Durand, Ce design va tellement loin dans la simplification et le symbolisme que plus personne n'y comprend rien. Avec Le Callennec, il y a une simplification mais la voiture ressemble à une voiture. C'est ce qui fait du travail de Le Callennec un tournant dans le graphisme. Il y a une forme de simplicité mais c'est surtout un dessin qui est très juste. Comme une note jouée juste sur une partition de musique. Il a trouvé une espèce de perfection des formes qui permet d'en dire beaucoup avec pas grand-chose, quelques aplats de couleur, les espaces vides entre les couleurs, tout simplement."

Ce sentiment d'évidence dans le travail de Joseph Le Callennec est d'autant plus savoureux quand on sait que Joseph Le Callennec n'a jamais eu le permis de conduire...

Quatrième biennale du design graphique de Chaumont

Cette exposition L'As du Crayon consacrée à Joseph Le Callennec est proposée dans le cadre de la quatrième Biennale du Design Graphique de Chaumont. Jusqu'en octobre, plusieurs expositions restent ouvertes au public avec notamment, au Centre national du graphisme le Signe, la sélection du 30e concours international organisé à Chaumont.

« Nous avons encore reçu près de 1700 pièces du monde entier, précise Jean-Michel Géridan, directeur du Signe. Le jury a sélectionné une centaine d'oeuvres qui montrent les créations les plus expérimentales aujourd'hui. Il y a des échelles de création industrielle, avec parfois des tirages à mille exemplaires et d'autres projets plus confidentiels, fait en sérigraphie à la main de manière totalement artisanale. On voit également de plus en plus des images digitales et animées, faites spécifiquement pour les réseaux sociaux. Ça montre comment le design se propage un peu partout. »


Images culturelles, images politiques, les œuvres proposées explorent toutes les formes de communication en remplaçant de plus en plus les traditionnels slogans par du design.
 Un peu plus loin, une exposition Procès d'intention met en lumière toutes les querelles qui agitent la profession actuellement.


L'ancienne usine Tisza Textil restitue le travail d'une soixantaine d'étudiants venus à Chaumont en mai dernier à l'ouverture de la Biennale ainsi que les créations de nombreux écoliers collégiens et lycéens chaumontais et haut-marnais venus tout au long de l'année découvrir le graphisme au Signe.

La biennale raconte donc la création de design graphique aussi bien par des posters venus du monde entier, des animations vidéo, des pochettes de disque, des travaux d'enfants... et des jeux de 1000 Bornes rangés dans nos armoires depuis des décennies.

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