90 000 Lorrains franchissent chaque jour la frontière luxembourgeoise pour aller travailler au Grand-Duché. A la clé, des salaires nettement supérieurs à ceux pratiqués en France gagnés au prix de nombreuses heures de transport. 3e épisode de notre série frontalière avec Complètement à l'Est.
Ce matin-là, Julien est en retard. Il est un peu moins de huit heures quand nous le retrouvons en gare de Luxembourg ville. Ce directeur financier d’une quarantaine d’années a raté son train habituel au départ de Metz. Un contretemps qui n’entame pas sa bonne humeur. Il compensera le temps perdu en travaillant plus tard. Julien passe en moyenne trois heures par jour dans les transports. Un peu de vélo pour rallier la gare de Metz, puis un premier train pour Luxembourg, un deuxième pour se rendre dans le quartier du Kirchberg, une montée en funiculaire urbain pour prendre le tramway et quelques centaines de mètres de marche viennent finir un trajet dense. Vers 8h30, après s’être arrêté rapidement acheter un thé au lait, il part pour une journée de travail bien remplie au cœur du quartier d’affaires du Luxembourg.
Le Kirchberg, sorte d’eldorado pour travailleurs frontaliers, le cœur de la place bancaire et financière du Luxembourg foisonne de travailleurs venus de France. Il y a ceux qui comme Julien sont venus ici pour des emplois qualifiés et bien payés. « Moi je viens de changer de job. Ici, c’est facile. Je travaille en anglais, je donne beaucoup mais je m’éclate. Et j’ai des opportunités professionnelles que je n’aurais pas en Lorraine. Alors j’en profite. Ma femme et mes enfants vivent en France, à Metz. Moi je fais les allers-retours. »
Salaire minimum : 2000 euros bruts
Alors pourquoi ne pas s’installer plus simplement au Luxembourg ?
A cette question, Julien répond sans détour : « Quand mes enfants ont eu l’âge d’aller à l’école, le Luxembourg ne proposait pas l’école en français. Nous voulions maîtriser leur enseignement. Le choix de rester à Metz s’est imposé. » Un choix qu’il rediscutera plus tard avec son épouse quand les enfants seront grands.
Le compromis, l’obligation de tous les travailleurs transfrontaliers. 90 000 Français passent la frontière chaque jour pour aller travailler au Luxembourg et tous souffrent des temps de transport à rallonge, des bouchons sur l’autoroute ou des pannes de train récurrentes. Pourtant, beaucoup continuent à rallier la capitale du Grand-Duché attirés en premier lieu par les salaires. Ici, le salaire minimum est d’un peu plus de 2000 euros bruts par mois, soit 1800 euros nets pour quarante heures de travail hebdomadaires. Et cela grimpe dès que l’on peut arguer de qualification.
??? La hausse de 100 euros nets du salaire social minimum «sera votée en mai». @dan_kersch https://t.co/OXdIEawwWw
— L'essentiel (@lessentiel) 27 février 2019
Joachim et Sandra font eux la route depuis 3 et 6 ans. Tous deux habitent Thionville au nord de la Moselle et prennent le bus chaque jour pour rejoindre leur lieu de travail. Une enseigne de restauration rapide dans laquelle ils sont en terrain connu, au moins pour la langue et la culture. Presque tous les salariés y sont français. Quand tout va bien, Joachim et Sandra mettent trente minutes pour aller travailler. Mais souvent, des embûches se greffent sur leur chemin. « Hier, raconte Joachim, il y avait un accident de voiture sur l’autoroute. On a mis deux heures pour rentrer. » Et Sandra de poursuivre :
Oui, ça fait parfois une grosse amplitude horaire mais les salaires sont intéressants et comme on travaille en horaires décalés, en commençant tôt le matin, on peut profiter de la famille quand même.
Pas de taxe d'habitation, pas de taxe foncière
Alors si Joachim se demande parfois si le jeu en vaut la chandelle, Sandra, sourire accroché au visage, ne doute pas. Elle continuera à faire des sandwiches ici, convaincue que son choix est le meilleur.
Au Luxembourg, le salaire moyen est 50% plus élevé qu’en France. Un argument massue. Mais les loyers sont à la mesure de cette prospérité. S’installer au Grand-Duché nécessite d’avoir les reins solides financièrement et peu le font finalement. Mélanie, elle, a franchi le cap il y a six ans. Après plus années à faire la route depuis Pagny-sur-Moselle, elle a décidé de louer un appartement près de la gare de Luxembourg. Et elle ne regrette pas : « J’ai attendu de prendre du galon pour gagner plus puis avec mon conjoint, français aussi, on s’est décidé. On s’est installé ici. On n’a plus les trois heures de trajets tous les jours. Et puis si les loyers sont plus chers ici, on n’a pas de taxe d’habitation ou de taxe foncière. Donc pas de mauvaise surprise en fin d’année. »
Aujourd’hui, Mélanie est gérante d’un magasin de vêtements pour enfants et travaille entre 40 et 50 heures par semaine. « Ici, on fait régulièrement des heures supplémentaires. Toutes sont payées mais il ne faut pas rechigner face à l’effort. Il faut être flexible et courageux. » Tous reconnaissent donner beaucoup pour accéder à un niveau de vie supérieur à celui de la France. Une philosophie de vie assumée par tous ces travailleurs frontaliers, encouragée par le gouvernement luxembourgeois très volontariste sur le terrain des avantages en tous genres.
Dernière illustration avec cette mesure, très incitative, et dont tous les travailleurs bénéficient sans conditions de revenus, de nationalité ni de domiciliation : des allocations familiales versées pour un montant de 265 euros par enfant dès leur naissance. Seule condition : travailler au Grand-Duché. Un argument de plus pour ces forçats des transports et du boulot à la mode luxembourgeoise.