A Metz et Nancy les services de réanimation sont en très forte tension depuis la mi-mars pour prendre en charge les malades du covid19. Dans les autres secteurs et dans les maternités, l'offre de soins a dû s'adapter à cette situation exceptionnelle. Exemple à l'Institut de Cancérologie de Lorraine.
La situation est inédite, exceptionnelle ... Et particulièrement anxiogène.
Et ne croyez pas que cette situation soit l'apanage exclusivement des secteurs de soins intensifs et de réanimation. Certes, ils sont frappés de plein fouet par la crise sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19 mais comme le rappellent les personnels soignants eux-mêmes, les autres pathologies ne s'arrêtent pas pendant l'épidémie de Covid-19
La continuité des soins essentiels est assurée pendant cette période très compliquée. Comment et à quel prix ?
Prenons l'exemple du traitement du traitement des cancers.
Direction Nancy tout d'abord, où l'Intitut de Cancérologie de Lorraine - Alexis Vautrin s'est organisé dès le début du mois de mars, au moment où l'épidémie s'est propagée en Alsace. Dans cet établissement, la même préoccupation depuis le début de l'épidémie, celui de traiter des patients qui sont des publics à risques. Avec, pour chacun d'entre eux, toujours la même question: faut-il traiter maintenant, ou plus tard ?
"Il faut prendre à chaque fois des décisions complexes, difficiles", explique le Dr Didier Peiffert, oncologue et radiothérapeute. "Savoir, pour le patient, s’il vaut mieux reporter le traitement de quelques mois ou décider si le risque de traiter se justifie par rapport au risque du Covid-19 "
En plus de la réflexion déjà lourde sur le cancer vient une autre réflexion: traiter le cancer oui, mais est-ce que nous prenons un risque à cause du Covid-19?
- Dr Didier Peiffert , oncologue et radiothérapeute
- Quels sont les problèmes que pose une épidémie comme celle du Coronavirus lorsque l'on s'occupe de patients soignés pour un cancer?
"- L’incidence des cancers ne diminue pas en période de Coranavirus il fallait donc protéger les patients et protéger les équipes médicales et de soins afin de pouvoir aller dans la durée. Il faut savoir que les patients traités pour un cancer sont beaucoup plus fragiles sur le risque de complications. Certains d'entre eux doivent suivre des traitements lourds, parfois agressifs qui peuvent entrainer une immunodépression et des complications très graves en cas de présence du virus. Dès le début de l'épidémie notre préoccupation première a consisté à prendre toutes les mesures afin que notre établissement soit indemne de Covid. Notamment l'utilisation de masques. Dans un premier temps les membres du personnel soignant ont été équipés de masques chirurgicaux, et depuis quelques jours c’est également le cas pour l’ensemble des patients arrivant sur le site. En complément il y a bien sûr les mesures classiques pour éviter la propagation du virus: lavages des mains, solutions hydroalcooliques, réduction au maximum de la promiscuité des équipes, mise en place de visioconférences pour éviter les réunions physiques."
"Un autre élément a été d’éviter aux patient, chaque fois que c’était possible, de se déplacer et de venir dans l’établissement. En généralisant des consultations par téléphone pour toutes les consultations non urgentes. Pour les patients qui nécessitent des traitements Nous avons différé de quelques semaines le début de ceux-ci à partir du moment où nous savons que ce décalage n’aura pas de conséquences particulière, comme c’est le cas pour des cancers non agressifs et localisés. C’est toujours un équilibre risques-bénéfices qui est recherché: il a fallu expliquer à ces patients qu’il valait mieux différer leur traitement plutôt que de leur faire prendre lorsque d’une contamination avec toutes les complications possibles."
- Et pour les patients dont le traitement ne peut être différé?
"- Il s'agit de patients dont le traitement ne peut pas attendre et pour lesquels le fait de différer un traitement fait prendre le risque d’avoir un effet plus délétère encore par rapport à celui d’attraper le coronavirus. Ce sont des décisions prises au cas par cas. Chaque patient qui vient à l’ICL remplit désormais un questionnaire qui nous renseigne sur des signes éventuels d’infection. Il y a également une prise systématique de température à l'entrée. S’il y a suspicion nous réalisons un test de dépistage voire, pour certains patients, un scanner pulmonaire. Nous essayons de lever le doute le plus en amont possible: par exemple pour un patient qui doit absolument être opéré, nous faisons réaliser le test le dépistage en ville, avant même sa venue dans l’établissement et nous réalisons ensuite le scanner pulmonaire afin de déceler s'il est porteur asymptomatique du virus."
- Que se passe-t-il lorsqu'un patient est porteur du Covid-19?
"- Aujourd’hui, en cas d’infection au Covid-19, la consigne est simple et s’applique de la même façon pour toute la population. Sans signe de complication ou de détresse, les patients restent chez eux. Si une aggravation survient, ils doivent composer le 15 pour être pris en charge dans un service qui prend spécifiquement en charge le Covid. Maintenant, si la plus grande partie de nos patients est traitée en ambulatoire nous avons aussi des patients hospitalisés pour suivre des traitements anti-cancer plus lourds. Jusqu’à la semaine dernière ces patients hospitalisés, s’ils étaient porteurs du Covid-19, étaient traités au CHRU de Nancy, afin d'éviter la contamination de l’Institut de Cancérologie pour les raisons que j'ai évoquées précédemment. Mais face à la saturation des services du CHRU la situation est devenue très compliquée et a conduit à l'ouverture le lundi 6 avril dernier d'un secteur Covid à l'Institut.
"Il faut préciser que ce n’était pas la règle jusqu’à présent, mais la situation nous impose de nous adapter. Depuis ce lundi 6 avril nous avons donc ouvert un secteur "Covid" avec neuf lits. C'est un secteur entièrement confiné où les patients pourront suivre leurs soins en lien avec le cancer. Ce sont des patients positifs au Covid-19 qui présentent des symptômes, parfois sévères, mais qui ne présentent pas de détresse respiratoire nécessitant une admission en soins intensifs."
Comment les patients et les personnels soignants vivent-ils ce moment, alors même que le traitement d'un cancer "en temps normal" apporte déjà sa part d'angoisse? Camille Simon est oncologue elle rapporte son expérience de terrain et ce qui a changé dans le rapport aux collègues et aux patients.
Port du masque, distanciation avec les collègues et avec les patients, généralisation de la téléconsultation en un temps record, le Covid-19 a amené son lot de bouleversements dans l'organisation du travail et dans les rapports humains. Plus de contact direct, plus de poignée de mains ou de geste de réconfort, et des sourires que l'on ne perçoit plus autrement que par un regard bienveillant. Bien sûr les soignants se sont habitués, bien obligés, mais Camille trouve étrange ces nouvelles relations et cette ambiance.
Ce qui la marque le plus peut-être, c'est la façon dont chaque soignant est préoccupé au quotidien par le Covid-19. Pour elle, l’analyse du risque Covid est une vraie évolution, du fait des traitements prescrits qui peuvent entrainer une immuno-dépression. Cela l'amène à réfléchir chaque jour au risque Covid, au facteur Covid, qui rentre maintenant en ligne de compte lorsque les médecins choisissent de privilégier tel ou tel type de traitement
"Devons-nous commencer par une opération ou une chimiothérapie", précise l'oncologue. "Avec quel risque? C’est plus compliqué qu’avant pour nous et pour nos patients aussi. Nous passons beaucoup de temps à échanger avec eux."
L’approche psychologique a toujours été essentielle dans nos pratiques et c’est encore plus vrai aujourd’hui.
- Dr Camille Simon, oncologue
Dans tous les secteurs médicaux, chacun s'adapte et continue de s'adapter. A l'Institut de Cancérologie de Lorraine, les personnels que nous avons joins nous ont tous dit leur détermination à continuer à "bien soigner" leurs patients dans un contexte très anxiogène pour l'ensemble des équipes soignantes et pour les malades. Le Covid-19 alourdit le quotidien, les pratiques et apporte son lot de préoccupation au-delà des pathologies que l'on traite habituellement dans ce centre.
Sur le pont depuis plus de trois semaines les équipes sont fatiguées, physiquement et psychologiquement, mais elles tiennent à souligner qu'elles sont toujours là, déterminées et concentrées pour leurs patients.
Les établissements hospitaliers collaborent
Voici un extrait du dernier communiqué de presse de l' ICL à ce propos:L'ICL a prêté au CHRU de Nancy des respirateurs, mis à disposition 4 internes, armé 2 lits de réanimation à l'ICL , 4 lits de soins continus (sans respirateurs) et prêté 10 pompes à nutrition.
L’ICL et le CHRU de Nancy ont par ailleurs mis en place une collaboration en chirurgie pour soulager les anesthésistes et réanimateurs du CHRU.
Tout ceci vise à organiser la présence des chirurgiens du CHRU à l’ICL afin de permettre, dans une salle d'opération par jour, le maintien des interventions d'urgences et de semi-urgences en cancérologie pour les patients du CHRU.
Les interventions ont débuté mardi 31 mars dernier