Coronavirus: dans la vallée de la Fensch, British Steel à l'arrêt, ArcelorMittal veut redémarrer partiellement

Les usines sidérurgiques lorraines ont pris de plein fouet l’annonce du confinement. Dans la vallée de la Fensch, après avoir tenté de maintenir la production, ArcelorMittal et British Steel ont annoncé l'arrêt provisoire de leurs lignes mais les polémiques demeurent.

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C'est un feuilleton comme la sidérurgie lorraine en connaît régulièrement. Celui qu'entretient depuis lundi ArcelorMittal, le numéro 1 mondial de l'acier, est particulièrement éclairant de la contradiction quasi schizophrénique entre l'appel du chef de l'Etat à rester confiné, et son exhortation à maintenir l'activité économique. Le président de la République a oublié que la France entière ne peut pas télétravailler, surtout quand il s'agit de produire de l'acier !

Florange

L'argument est recevable : Florange produit de la tôle, principalement pour l'automobile, mais aussi pour l'emballage (le fameux "packaging"), dont l'industrie alimentaire a besoin pour fabriquer ses conserves. Si la tôle venait à leur manquer, des difficultés d'approvisionnement pourraient apparaître... C'est sur cet argument massue que s'est appuyé la direction locale d'ArcelorMittal à Florange, sans jamais convaincre les organisations syndicales, qui ont dénoncé non seulement l'impossibilité de mettre en place les mesures sanitaires réclamées par le gouvernement, mais également l'absence criant et scandaleux de savon, de produits d'entretien, sans parler du gel hydro-alcoolique ou des masques que les sidérurgistes n'ont jamais vus.
Le site ArcelorMittal emploie 2300 personnes. Les salariés des Grands Bureaux de Florange ont été placés en télétravail explique la communication du site. Mesure plus que logique après la contamination d’une salariée il y a dix jours. Mais la production a continué bien après l'intervention du chef de l'Etat ! Malgré les appels de la CGT, qui a jugé dans un communiqué mardi 17 avril dans l’après-midi qu’ "il est irresponsable, de la part de la direction de laisser plusieurs milliers de salarié(e)s de l’usine ainsi que leurs familles s’exposer à la contamination" et demande à cesser la production. Le syndicat estimait que "l'ensemble des salariés de Florange et des sociétés extérieures, amenées à travailler dans les conditions actuelles, se sentent en situation de danger grave et imminent". Lors des prises de poste mardi 17, la tension est palpable : dans certains services les salariés s'en prennent à leur management, le ton monte, les invectives fusent, certains jettent leurs casques par terre, en viennent presque aux mains avec leurs chefs de poste. Un peu partout, un sentiment de panique se répand : les sidérurgistes se sentent en danger.

A ArcelorMittal, un Comité Social et Economique extraordinaire qui devait se tenir à dix heures à Florange ce mercredi 18 mars 2020 a été interrompu au bout de deux heures. Il a repris à 17 heures, avant d'être interrompu de nouveau, puis s'est achevé à 20 heures. Annonce est faite que toutes les installations du numéro 1 mondial de l'acier de la vallée de la Fensch, train à chaud, laminoirs à chaud et à froid, sont arrêtées à la fin du poste de nuit, donc jeudi 19 mars à 5 heures du matin. La cokerie nécessitera la présence d’une équipe minimum afin d’assurer la sécurité de l’installation, et de veiller à la bonne gestion de l’énergie et des gaz notamment.
La direction avait répondu dans la soirée du mardi 17 mars par un flash info interne, "que nous devons continuer de tourner" en motivant son appel par la demande en augmentation de certains de ses clients, notamment les industriels de l'emballage et du "packaging". "Nos effectifs vont être réduits au minimum sur chaque outil" précise le communiqué, tout en introduisant son propos par "la priorité absolue d’ArcelorMittal France (qui) est de préserver la santé et la sécurité de ses salariés et de tous ceux qui travaillent sur nos sites". Mais, très imprudemment, elle avait laissé ouvert son self ! Et contrairement aux autres industries, comme l'automobile, qui avaient pris des mesures drastiques (fermeture des vestiaires, des réfectoires, des salles de réunion...), la direction locale, sur injonction de la direction centrale parisienne, a tenté de maintenir un service minimum.

A 20 heures mercredi, le CSE se termine par l'annonce de l'arrêt de toutes les installations de la vallée de la Fensch. La direction a annoncé aux organisations syndicales qu'un salarié de l'étamage était en réanimation, touché par le coronavirus.
Le lendemain jeudi 19, nouveau CSE à 17 heures par Skype, et nouveau coup de théâtre : la direction locale annonce aux organisations syndicales qu'elle souhaite redémarrer la ligne de packaging lundi 23 mars, en assurant un service minimum, contredisant ses annonces de la veille. La quasi-totalité des syndicats est vent debout, à l'exception de la CFE-CGC. La CGT produit un tract très virulent : "la direction n’a pas tenu parole et a trahi les salariés du site qui revendiquaient uniquement l’arrêt des activités temporairement pour préserver leur santé et ne plus s’exposer au danger", en dénonçant "le choix de ne pas nous écouter et d’outrepasser les consignes de confinement pour stopper la pandémie. Les bobines et le fric avant votre santé !".

Vendredi 20, lors d'un CSE extraordinaire, la direction du site de Florange exposait aux organisations syndicales son plan d'action pour redémarrer partiellement lundi 23, notamment en mettant au point "un protocole d'hygiène sur chaque poste". Refus catégorique de la CGT dans le tract qui suit: "les lignes ne redémarrent pas lundi prochain. Quand le protocole sera prêt les lignes redémarreront une après l'autre (...) le site ne doit pas redémarrer tant qu'il y a un confinement sur le territoire". Pression maximum du syndicat qui appelle: "les salariés de Florange à rester chez eux et d’user de tous les moyens qu’ils disposent pour se préserver notamment le télétravail, les arrêts maladies, le droit de retrait. De notre côté, nous allons interpeller le préfet afin qu’il ordonne à ArcelorMittal de ne pas redémarrer les outils dans de tels conditions".

ArcelorMittal France

Le scénario est désormais national. A Dunkerque, le groupe arrêtera lundi 23 mars le haut fourneau numéro 2 (HF2), et un convertisseur à l'aciérie. D'autres mesures sont en attente dans le site nordiste, avec l'arrêt possible d'un second fourneau. Les lignes de laminage à froid du groupe pourraient également être arrêtées, sans que l'on sache à cette heure lesquelles exactement dans l'hexagone. Un bon connaisseur de l'entreprise nous confie que "si la situation est inédite pour tous les aciéristes, leur réaction est bien connue : continuer coûte que coûte à produire, pour maintenir les prix et la demande. Peut-être même que Mittal va demander des aides pour redémarrer quand la crise sera passée !"

A 18 heures ce mercredi 17 mars 2020, la direction d'ArcelorMittal France a confirmé les informations ci-dessus et ajouté "mettre à l’arrêt un haut-fourneau, un convertisseur et une coulée continue à Fos-sur-Mer et, pour une période initiale de 7 jours, le train à bandes de Fos et l’aval (lignes de finissages de Fos et usine de Saint-Chély-d’Apcher). Cette réduction de l’activité démarrera progressivement à partir de jeudi 19 mars et se poursuivra jusqu’à nouvel ordre".

British Steel

C’est un roc. Djamal Hamdani, syndicaliste depuis vingt ans, a connu bien des grèves et des conflits sociaux. Son père, sidérurgiste comme lui, est mort d’un accident de travail alors que lui n’avait que 18 ans.

Mais mardi 17 mars 2020, une heure après le début théorique du confinement, son stress était palpable. L’homme, massif et volubile, ne tient pas en place devant le portier, et tord ses mots : "c’est vraiment chaud, les gars ne veulent pas prendre leur poste, ils ont peur".
A quelques mètres derrière lui se tiennent deux sidérurgistes désoeuvrés, équipés de masques de fortune, et de gants. "On a demandé à la direction de prendre des mesures exceptionnelles: que les cabines des lamineurs soient nettoyées après chaque prise de poste, que les vestiaires et les réfectoires le soient aussi, mais on n’a rien vu encore, ni gel hydro-alcooliques, ni masques", explique l’élu CFDT au conseil d’administration de British Steel Hayange.

L’usine lamine des rails, pour le TGV notamment. Après un poste du mardi matin relativement normal, à 13 heures l’usine était à l’arrêt, personne ne voulait laminer. A la sortie, les sidérurgistes qui s’arrêtent pour nous répondre se veulent rassurants: "on a bossé quasi normalement ce matin, j’ai pas constaté d’absents dans mon équipe, mais on verra bien" explique ce salarié au parachèvement, tatoué jusque sur les mains, barbe de trente centimètres.
Le suivant, au volant de son SUV, est fataliste: "on s’adaptera, mais c’est vrai que l’ambiance est bizarre, je ne sais pas si les gars cachent leur peur ou se résignent".
Après des discussions avec la direction dans l’après-midi de mardi, les équipes ont repris le travail vers 16 heures. "La direction s’est engagée à mettre tout en œuvre pour nettoyer les postes de travail" résume Djamal Hamdani. Contacté par téléphone, le directeur du site, Jean-François Muller, n’a pas voulu répondre à nos questions. Il s’est contenté d’un SMS: "nous sommes impliqués dans la prise de mesures pour garantir la sécurité et la santé de nos salariés". A croire sur parole? D'après nos informations, la direction du site voulait terminer une grosse commande à destination de l'Inde, avant de renvoyer les intérimaires, puis les autres salariés chez eux en fin de semaine.

Mercredi 18 mars à 18 heures, la CFDT de British Steel, dans un tract "demande l’arrêt immédiat des installations et le passage en activité partielle. Nous ne sommes pas une industrie vitale dans cette période de confinement et pour nous les conditions sanitaires ne sont pas réunies". A 20 heures l'annonce tombe : le laminoir sera mis à l'arrêt à partir de jeudi 19 mars, pour la prise de poste de 21 heures. Le parachèvement s'arrêtera dans la foulée, ainsi que les autres services. British Steel Hayange ne laminera plus de rails jusqu'à nouvel ordre.

 
La cokerie pourrait être victime finalement du coronavirus
Déjà dans le viseur du groupe, en raison de sa vétusté et de ses coûts de production, la cokerie de Sérémange pourrait définitivement s'arrêter si la crise s'installe. D'après nos informations, l'arrêt d'un ou plusieurs fourneaux à Dunkerque réduirait à zéro les besoins en coke de la vallée de la Fensch. Mittal pourrait donc en profiter pour décider la fermeture de l'outil. Les cokiers prendraient la place d'intérimaires renvoyés chez eux en attendant des reclassements internes, ou à la cokerie de Dunkerque, 31 postes sont à pourvoir prochainement dans le Nord.
L'arrêt de la cokerie signifierait la suppression de 150 postes sans compter les intérimaires et les sous-traitants, et dans l'état actuel des choses, il pertuberait le fonctionnement du train à chaud qui ne peut pas pour l'instant se passer des gaz de cokerie pour alimenter ses fours. 
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