Déconfinement : "C'est avant juillet que se joue la vie de nos structures", préviennent les libraires indépendants

Très inventifs durant le confinement pour garder le contact avec leurs clients, les 41 libraires indépendants installés en Alsace ont aussi rouvert depuis le 11 mai. La situation de chacun est différente. Mais tous doivent renflouer leur caisse, et se sentent soutenus par leurs clients.
 

Société
De la vie quotidienne aux grands enjeux, découvrez les sujets qui font la société locale, comme la justice, l’éducation, la santé et la famille.
France Télévisions utilise votre adresse e-mail afin de vous envoyer la newsletter "Société". Vous pouvez vous désinscrire à tout moment via le lien en bas de cette newsletter. Notre politique de confidentialité

Comme les autres magasins non alimentaires, les 41 librairies indépendantes d'Alsace ont pu rouvrir leurs portes dès le 11 mai dernier. Après deux mois de fermeture, durant lesquels ils ont déployé des trésors d'ingéniosité pour rester en contact avec leurs clients et continuer à exercer leur métier culturel d'une manière inédite. Selon l'implantation géographique de son magasin, sa taille et ses spécificités, chacun a vécu différemment cette période de fermeture forcée. Aujourd'hui, chacun trouve aussi ses propres solutions pour accueillir ses clients en toute sécurité. Après deux mois pratiquement sans ventes, tous ont des soucis financiers. Mais tous ont aussi pu faire le constat que leurs clients ne les avaient pas oubliés, bien au contraire.
         

Willy Hahn : "Ça a bien repris"

Quelques jours à peine après la réouverture, Willy Hahn, propriétaire de la librairie indépendante A livre ouvert à Wissembourg (Bas-Rhin), se dit "très content" car les clients sont de retour dans son magasin, et en nombre : "hier j'avais même plus de passage que d'habitude." Il se réjouit aussi des nombreux coups de fil et des messages de sympathie qui accompagnent les commandes. Et que des clients qui poussent simplement la porte "pour dire qu'ils sont contents que je sois toujours là, et que ça continue."
 

Dans sa boutique de 80 m2, les consignes de sécurité sont bien comprises et respectées. "Les gens sont très raisonnables, ils gardent les distances et se lavent les mains au gel à l'entrée et à la sortie." Et ils accèdent sans problème à la demande de Willy Hahn ("c'est une suggestion car je ne peux pas l'exiger" précise-t-il) de mettre leur masque en entrant.

Ce qui va nous manquer c'est la dimension conviviale. Impossible d'organiser des rencontres avec des auteurs et des séances de dédicaces.
- Willy Hahn, libraire indépendant

Durant le confinement, six jours sur sept, le libraire de Wissembourg présentait l'une de ses lectures coup de cœur en live sur sa page Facebook. Une initiative appréciée, avec une moyenne de 60 à 200 vues quotidiennes. Pour lui, il s'agissait surtout de "rester dans (son) métier", en conseillant, en suggérant des lectures, en ouvrant ses clients à de nouveaux horizons.

Aujourd'hui, enfin, il peut à nouveau donner des conseils personnalisés à ceux qui viennent le voir. Mais impossible pour l'instant de relancer des séances de dédicaces. En attendant, il préconise donc à ses clients de suivre les rencontres littéraires quotidiennes "online" Un endroit où aller, entre un libraire et un auteur, avec possibilité d'intervention des internautes.      

Financièrement, après deux mois pratiquement sans ventes (sauf deux après-midis de drive), il s'agit de remonter la pente. Dans l'immédiat, il peut tenir. "J'ai deux avantages : je n'ai pas de salarié, et je n'avais plus de dettes" explique-t-il. Il bénéficie de quelques aides, de prêts, et toutes les échéances sont repoussées à fin juin. D'ici là, il devra avoir renfloué sa trésorerie pour espérer s'en sortir. Et même si les clients sont là, il reste lucide : "C'est entre aujourd'hui et début juillet que se joue l'avenir et la survie de nos structures."

Lisa Pfister : "Les gens se sont rendu compte qu'ils avaient besoin de contact"

Lisa Pfister a ouvert sa librairie-café La Lisette en août 2019, dans la petite ville de Schirmeck (Bas-Rhin) où de nombreux commerces ont fermé. Elle avait immédiatement senti que les habitants étaient "en demande d'une librairie". Cette adhésion de sa clientèle se confirme aujourd'hui, au moment du déconfinement. Elle risquait gros avec cette longue fermeture forcée, à peine une demi-année après avoir commencé, mais elle reste confiante : "C'était un choc, mais ce n'est pas ça qui va me forcer à fermer." Et ces premiers jours de reprise semblent lui donner raison.
 

Car dès le premier jour, les clients étaient au rendez-vous. Et respectueux des consignes. Elle limite l'accès de son petit magasin à trois personnes à la fois, impose la désinfection des mains et le port du masque, et réduit les heures d'ouverture pour éviter de réceptionner les colis en présence des clients. Et l'espace salon de thé doit bien sûr rester fermé dans l'immédiat.

C'était un choc, mais ce n'est pas ça qui va me forcer à fermer.
- Lisa Pfister, libraire indépendante

Durant le confinement, Lisa Pfister a profité de ce temps disponible pour élargir son réseau, et mieux se faire connaître des collectivités du secteur (bibliothèques, médiathèques et centres de documentation et d'information (CDI) des écoles). Elle a aussi proposé aux établissements scolaires de gérer leurs commandes de livres pour la rentrée prochaine.

Côté finances, en attendant les aides de l'Etat et les primes d'assurances, les débuts ont été compliqués. Mais aujourd'hui elle a la conviction qu'elle pourra tenir. Beaucoup de clients lui ont acheté des bons cadeaux, qui lui ont permis d'avoir un peu d'avance de trésorerie. Le drive qu'elle a organisé les trois derniers mercredis avant la réouverture "a très bien marché". Et surtout, de nombreuses personnes lui ont avoué "qu'avant, elles commandaient les livres par internet" mais que là, elles avaient compris qu'elles préféraient favoriser les commerces de proximité.

Anne Herduin "Je ne me sentais pas de fermer comme ça."

La librairie indépendante strasbourgeoise Page 50, dans le quartier de la Krutenau, a rouvert comme les autres après deux mois de confinement. Mais ce samedi 16 mai, elle baissera à nouveau le rideau. Définitivement cette fois. Une fermeture prévue de longue date, qui n'a rien à voir avec la crise du covid19, même si celle-ci en a quelque peu modifié le déroulement.
 

Anne Herduin avait prévu à l'origine de fermer sa librairie, pour raisons personnelles, le 31 mars dernier. Elle avait annoncé la nouvelle à ses clients deux semaines auparavant, c'est-à-dire… le 14 mars, trois jours avant le début du confinement. C'est alors qu'il lui est apparu impossible de respecter son calendrier initial. Pas question de mettre la clé sous la porte en plein confinement, et partir comme une voleuse sans saluer ses clients. "Je ne me sentais pas le cœur de fermer comme ça. J'aurais senti ça… sale", explique-t-elle.

J'avais prévu de passer les 15 derniers jours avec mes clients avant de partir. Du coup, je le fais là, cette semaine.
- Anne Herduin, libraire indépendante

Seule solution : attendre. Comme d'autres libraires, elle a mis en place un drive dès la seconde quinzaine d'avril. Avec, pour seul objectif, de vider ses rayonnages au maximum. "J'avais la boule au ventre, par peur de contribuer à une seconde vague du covid19" reconnaît-elle, "mais ça faisait du bien de revoir les clients."

A l'annonce du déconfinement, elle a donc décidé de rouvrir une dernière petite semaine, histoire de partir avec élégance. Une semaine qui a commencé sous les meilleurs auspices. Nombreux sont les habitués qui poussent la porte pour marquer leur sympathie. "On avait tous envie de se dire au revoir", constate-t-elle, en ajoutant : "J'ai des clients en or parce qu'ils viennent vider le stock." Elle le sait, ces tout derniers jours seront encore "riches en émotion". Mais ce samedi 16 mai à 18h30, la Page 50 sera définitivement tournée.
 

Alexis Weigel : "On lutte toujours pour survivre" 

Durant tout le confinement, sur la page Facebook de la librairie indépendante 47 degrés Nord à Mulhouse (Haut-Rhin), des personnalités connues (auteurs, musiciens, acteurs…) ont partagé leur lecture coup de cœur à travers des vidéos. A l'origine de cette initiative originale qui a eu beaucoup de succès : Alexis Weigel, l'un des six salariés de la librairie. C'est lui qui, d'ordinaire, organise les rencontres littéraires dont 47° Nord s'est fait une spécialité.
 

Mener à bien ce projet durant le confinement a presque constitué pour lui un travail à plein temps : mail personnalisé envoyé à chaque célébrité, contactée directement, ou via son éditeur ou son agent. Nécessaires relances, puis réceptions des vidéos et planification pour la mise en ligne. Mais pour lui "c'était un plaisir de le faire", d'autant plus que "la plupart des personnes sollicitées ont répondu favorablement." Seulement très peu de refus, et quelques non réponses. Il a ainsi pu publier deux vidéos par jour, une le matin, une autre le soir, durant tout le confinement : 109 au total. Et "certaines restent à venir" promet-il…

Pour 47 degrés Nord, cette manière de rester présente sur les réseaux était "une façon de marquer le coup, et de faire notre métier un peu différemment, tout en soulignant notre singularité" précise Alexis Weigel. Et, plus largement, il s'agissait, au travers de cette opération culturelle qui dépassait largement le cadre local, d'offrir "un soutien à Mulhouse", ville particulièrement touchée par le covid19, et "à toutes les librairies indépendantes, en général."

La plupart des personnalités qui ont participé nous ont dit qu'elles viendraient ou reviendraient dans notre librairie, pour soutenir Mulhouse.
- Alexis Weigel, libraire

Bien entendu, les rencontres avec les auteurs "en vrai" ne pourront pas reprendre avant un bon moment. Mais la majorité des célébrités qui ont envoyé leur vidéo ont également promis de (re)venir dès que possible, en soutien à la librairie et, plus largement, à Mulhouse, qui a payé un si lourd tribut à l'épidémie.

Par ailleurs, depuis le 11 mai, la réouverture du magasin se déroule favorablement : "Il y a beaucoup de monde. Nous avons fait beaucoup de ventes hier, de grosses ventes, et sur le site internet, les commandes ont flambé" précise Alexis Weigel. Les "marques de sympathie et les messages d'affection" sont innombrables. "Les clients ont besoin de culture et de livres, et envie de commerces de proximité et de librairies indépendantes."

La vente de bons d'achats en amont avait aussi "très bien fonctionné", et celle par un système de "pick and collect" "a permis de prendre trois semaines d'avance sur la date de réouverture". Donc pour Alexis Weigel, malgré sa violence, cette crise du covid19 ne mettra pas sa librairie en péril. En revanche, il tient à rappeler que, plus fondamentalement, "être libraire indépendant, c'est un combat quotidien. On lutte toujours pour survivre." 

Et même si les aides actuelles de l'Etat et des collectivités territoriales peuvent être bienvenues en ce moment si particulier, elles ne le satisfont pas. Pour que les librairies indépendantes survivent, il demande "une politique du long terme, une politique courageuse" : "Il ne suffit plus d'appeler les lecteurs à se précipiter dans les librairies en période de crise, mais de faire un choix de société" explique-t-il. Selon lui, la seule solution pérenne serait que le gouvernement mène "au quotidien une action politique visant à affaiblir l'ogre Amazon qui les dévore."
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité