A Dingsheim, le déconfinement a commencé. Cette semaine, les CM2 ont été les premiers à reprendre le chemin de l’école, qui compte habituellement 117 élèves. Parents, enfants, enseignants, anciens de l’école… Voilà comment a été vécue cette réouverture inédite.
Nous sommes de retour à Dingsheim (pas sur-Souffel). 1.300 habitants, une école, un esprit de solidarité, toujours pas de resto… Ce jeudi 14 mai, le thermomètre affiche 6 degrés et le ciel toutes les nuances de gris. Il n’est pas encore 8 heures, et on se dit que c’est un vrai temps de rentrée pour la réouverture de l’école.
Les élèves arrivent au compte-goutte, emmitouflés dans leurs vestes, leurs cartables sur le dos. Le directeur est au portail. Philippe Wersinger est arrivé bien en avance pour les accueillir. Il n’est ni détendu ni reposé. Depuis une semaine, il a travaillé d’arrache-pied pour préparer tout l’établissement au retour des enfants. « Depuis que vous êtes venues la semaine dernière, c’est la folie ! », nous lâche-t-il. L’Education nationale impose un cahier des charges strict pour garantir la sécurité sanitaire de tous dans le contexte de coronavirus.
Protocole sanitaire relatif à la réouverture des écoles
Timéo est emmené en voiture par ses parents. « Je suis content de retourner à l’école pour voir mes copains », dit-il timidement. Puis c’est au tour de Gabriel. « Le petit déj’ à 7 heures, ça faisait longtemps ! », rit sa maman en saluant de loin. Tout le monde a l’habitude de garder ses distances maintenant. Minh Nan arrive sans ses parents, comme un grand, à vélo. Alors qu’il boucle son cadenas, il nous confie : « C’est le grand jour, je suis content de retrouver mes copains ! ». Après des semaines de préparation, le directeur a hâte de passer – avec succès - cette épreuve de rentrée sanitaire en pleine année scolaire. « Allez on y va ! », lance-t-il aux enfants. Ceux-ci s’avancent en respectant l’écart matérialisé au sol par des bandes plastifiées rouges.
Des parents confiants
Une dernière retardataire, le portail se referme, et une looongue file de 11 élèves s’étire sur au moins 12 mètres. Les parents ne déguerpissent pas à toute vitesse comme d’habitude. Ils s’attardent pour discuter derrière les haies, qui se sont bien étoffées pendant le confinement. « Moi, je suis confiante, je n’étais absolument pas anxieuse parce qu’il y a beaucoup de mesures qui ont été prises », explique Hélène Gerault, la maman de Gabriel. « Et puis oui, il y a une maladie, il y a un risque, mais ce n’est pas en restant à la maison qu’on va apprendre à vivre avec », ajoute-t-elle. « Moi, je n’ai pas hésité », enchaîne Anne Winter, la maman de Timeo. « Je suis contente qu’il y aille pour apprendre, revoir ses copains. Et puis il faut terminer ce qu’on a commencé ».Pas la même maîtresse
En classe, il y a beaucoup de changements. Au sol, des flèches donnent le sens de circulation, pour éviter de se croiser. Les bureaux ont été beaucoup espacés. Ca va être dur de zieuter sur la feuille de son voisin en cas d’interro. Mais pour la première question de la maîtresse, il n’y a pas de mauvaise réponse : « Qu’avez-vous fait pendant le confinement ? », questionne Madame Leguay. Les CM2, elle trouve qu’ils ont bien grandi, Madame Leguay. Et elle est contente de les retrouver. Pas parce qu’il s’est écoulé huit semaines de confinement, mais parce qu’elle les a eus l’année dernière. En vrai, Madame Leguay est maîtresse de CM1. Ce n’est donc pas leur enseignante habituelle. Elle a pris le relais dans cette classe pour suppléer le maître, Monsieur Wersinger, déjà bien pris par ses fonctions de directeur. « Mes CM1, j’ai du mal à me dire que je ne les reverrai peut-être pas cette année. Ca c’est dur, j’ai du mal », confie l’enseignante. C’est ça aussi le retour à l’école post confinement.Ca fait bizarre !
Pas la même maîtresse, pas la classe au complet non plus : onze élèves sont présents sur les 26 quand l’effectif est au complet. « Ca fait bizarre parce que je n’ai pas tous mes amis » explique Lena. « Je suis content parce qu’à la maison, je commençais à m’ennuyer. Je ne voyais que mes parents », rapporte Gylles (avec un "y", c'est plus original!). Allez, on passe au complément du nom. Gylles enchaîne : « Le complément du nom ne s’accorde ni en genre ni en nombre avec le nom qu’il accompagne. Exemple : une tenue de randonneur, des tenues de randonneur ».Drôle d’ambiance à la récré
Arrive l’heure de la récré ! La sonnerie retentit. (Un peu à notre demande, il faut bien le dire, ça nous manquait un peu). Et là aussi tout est différent. Timéo, Minh Nan et Gylles se positionnent chacun sur une des marques au sol qu’a installées le directeur. Les filles se sont assises (à bonne distance) pour dessiner et lire.Le directeur improvise une petite course chronométrée : « Il faut qu’ils se défoulent un peu ! ». Il s’est détendu, le directeur. Il voit que tout se passe bien. Que les enfants respectent les consignes. Qu’ils restent éloignés les uns des autres. Alors il respire un peu mieux. A deux ans de la retraite, il se serait bien passé de cette épreuve. L’air de rien, c’est un jour historique pour l’école de Dingsheim. Et tout le monde a assuré. Alors, nous proposons une photo pour immortaliser le moment.
Françoise Tardivaud, ancienne institutrice du CP« On a connu les heures heureuses de Dingsheim »
Cette maîtresse de CP, rigoureuse mais au regard malicieux, tous les élèves de Dingsheim s’en souviennent. Et c’est réciproque. « Là, c’est Gaston Burger, le maire » nous montre l’institutrice. « Il est là... avec des cheveux ! » Ses yeux pétillent à l’évocation de ses souvenirs. « En 1968, le lotissement Le Corbusier s’est créé et il y a eu un flot d’enfants, des enfants de la ville, il a fallu créer une école. La population a triplé, passant de 400 personnes à 1.200 habitants ! C’était un véritable déferlement d’enfants. On s’est retrouvé dans ce qu’on appelait des baraques, des Algeco. Il y avait deux classes la première année, deux de plus la seconde, et ensuite, on a construit l’école de Dingsheim, où on a accueilli les enfants de Griesheim (sur-Souffel) aussi. On n’a pas vécu ce que vivent les enfants et les enseignants en ce moment. C’était l’inverse, on avait des classes à double niveau, avec 36 enfants par classe. C’était dingue ! On a connu les heures heureuses de Dingsheim. »
Françoise est à la retraite depuis 1995, mais elle a gardé ses habitudes d’enseignante. Pour le premier reportage, elle nous a envoyé un gentil mot, « Excellent travail ! », qu’on a pu montrer fièrement à nos parents. Sur les photos, chaque visage rappelle un souvenir à Françoise. « Tiens, là, c’est le petit Martin ».
Le petit Martin, c’est le père de famille que nous avons rencontré la semaine dernière. Sur la table à manger toujours transformée en meuble à tout faire de la maison, ce commercial frontalier a échangé sa place de télétravail avec Laurence son épouse : « Elle est frileuse, elle m’a fait échanger pour être plus près du poêle que j’ai dû rallumer ».
Deux tiers des enfants en moins
Laurence est toujours chargée des relations publiques pour les institutions européennes, et ce jour-là, son casque sur la tête, elle est en pleine visioconférence avec ses collègues via son ordinateur portable : « You tell me « : Can you put the questions on the accepting Sanofi proposals and then I put it on ».Du coup, son mari a (de nouveau) la parole pour nous détailler les évolutions familiales permises par le déconfinement. C’est toujours l’incertitude pour les dates de retour au travail pour Laurence et Martin, mais ils ont pu faire garder deux de leurs trois enfants (l’école n’a repris pour aucun d’entre eux). Alors ils peuvent télétravailler plus sereinement, sans être interrompus à tout bout de champ. « On a organisé quelque chose d’hybride, on va alterner entre les nounous, les grands-parents et le dépannage avec les amis proches. On fait un peu au jour le jour parce que c’est difficile de planifier à long terme. En tout cas, c’est positif pour nous. On est moins stressés, c’est moins usant nerveusement ». Et ils redécouvrent également leurs enfants individuellement.
Clément, roi en son royaume
Ce jour-là, Clément. A 8 ans, il continue d’étudier à la maison, car l’école n’a pas repris pour les CE1. Surtout, en l’absence de son grand frère Jules et sa petite sœur Charlotte, il est roi en son royaume.Personne pour l’interrompre ou lui voler la vedette, alors, il nous emmène dans la salle de jeux pour nous montrer Boom Trix, un jeu de son frère. « Au moins ce qui est bien, c’est que je peux faire ce que je veux. Jules, il ne peut pas me dire : on fait ça ou on fait ça ».
Jules doit revenir vendredi soir. Nous aussi nous reviendrons la semaine prochaine. Depuis le 17 mars, les habitants de Dingsheim ont changé leur manière de faire leurs courses, leur façon de consommer. Nous irons à la rencontre de certains commerçants et producteurs de Dingsheim et de sa si proche voisine Griesheim (sur-Souffel) pour voir si ces nouveaux usages sont en passe de devenir des habitudes. Ou si la vie d’avant se réinstalle.