Comme dans tous les secteurs économiques, la fauconnerie a été touchée par la période de confinement. Le déconfinement depuis le 11 mai n'est pourtant pas synonyme de fin des difficultés. Fauconnier, un métier à réinventer. Entretien avec Ioann Latscha de Falcon Temporis de Réméréville.
Le déconfinement du 11 mai n'a pas mis fin aux soucis financiers des entreprises du spectacle vivant, dont fait partie la fauconnerie. Les fauconniers n'ont pas nécessairement le statut d'intermittent du spectacle, qui va pouvoir bénéficier d'un plan de sauvetage.
Ioann Latscha, fauconnier à Réméréville en Meurthe-et-Moselle, est patron de sa propre entreprise Falcon Temporis et n'a donc pas ce statut particulier lié au monde du spectacle.
Depuis le 17 mars, les spectacles sont annulés, et chaque jour, depuis, annonce son lot d'annulations de festivals. La saison des spectacles en extérieur se terminant à l'automne, cette année sera totalement improductive pour le fauconnier. Tous ses contrats ont été annulés.
L'autre partie de son activité consiste à faire des représentations publiques avec ses rapaces pour ses partenaires militaires, les Cadets de la Défense et l'Escadrille Art Jeunesse, ou éducatifs, des lycées de Nancy et de Toul. L'objectif de ces représentations en groupes, donc impossible désormais, est axé sur le bien-être des animaux qui travaillent avec l'homme, comme les rapaces mais aussi les chiens ou les chevaux. Avec des démonstrations en vol libre. Ce type de rassemblement est également interdit.
Quelles sont ses options ?
Une année entière sans aucune activité, sans aucune rentrée d'argent, peu d'entreprises y résisteraient. Certains collègues de Ioann Latscha ont déjà cédé à la fatalité. Faillite et, double peine, séparation avec les oiseaux: certains se voient réduits à confier leurs rapaces à des zoos ou des parcs animaliers, faute de pouvoir les nourrir.
Cette option, Ioann Latscha ne l'imagine pas.
Le fauconnier enchaîne, intarrissable sur ses oiseaux :"C'est des compagnons, ils me font gagner ma vie; je leur dois un énorme respect."Même si je dois manger des pâtes pendant vingt ans, je ne me séparerai pas de mes rapaces. C'est impossible.
- Ioann Latscha, fauconnier
Pourtant, il l'avoue, au plus fort de la crise, en plein confinement, alors que chaque jour apportait des annulations de contrats, il y a songé. Il était abattu. Sachant que d'autres étaient dans de plus grandes difficultés que lui, il a choisi de ne pas demander d'aides de l'état, auxquelles son entreprise pouvait prétendre. Son idée alors consiste à faire appel à la générosité collective en lançant une cagnotte virtuelle.
Ses amis de l'escadron de réserve de la base aérienne de Nancy-Ochey sont parmi le premiers à avoir répondu à son appel. "Pas question de laisser un compagnon derrière !". L'homme est touché, les animaux provisoirement sauvés.
Les donateurs se verront offrir des baptêmes de fauconnerie.J'ai pu refaire mes stocks de viande.
- Ioann Latscha, soulagé
Grâce à eux, l'urgence alimentaire est réglée, mais il lui reste à réinventer son métier de A à Z.
Avant le confinement, la vie de Ioann et de ses "artistes" comme il aime à les appeler, était faite d'entrainements, de spectacles et de démonstrations publiques. Bien sûr, l'homme était parfois confronté à l'incompréhension d'une partie du public qui dénonce l'exploitation de l'animal sauvage par l'homme, voire l'accuse de maltraitance. Face à ceux qu'il qualifie de "pseudo défenseur de la nature", Ioann Latscha cherchait à expliquer le rapport entre l'homme et l'animal. Et même s'il essuyait quelques noms d'oiseaux (sic), il faisait son travail d'explication inlassablement. Il l'affirme :
Il ajoute "L'animal que vous maltraitez, il ne va pas revenir vers vous!". L'affection qu'il porte à ses rapaces ne fait aucun doute. Toujours est-il qu'il faut convaincre et convaincre encore de cela. Surtout à une époque où l'air du temps est à la préservation de la nature.On n'est pas des exploiteurs de nos animaux; on participe à la préservation de certaines espèces.
- Ioann Latscha, fauconnier
Désormais, c'est la perte totale d'activité. "Les aides, ce sont juste des prêts, qu'il faudra rembourser".Convaincre du rapport équilibré entre l'homme et l'animal, c'était notre plus gros problème avant.
Au lieu de nous faire mourir tout de suite, cela va nous faire mourir à petit feu.
Un métier à réiventer totalement
Les grands rassemblements c'est fini. Il faut se tourner vers des petits groupes, mais plus souvent. Par exemple faire assister des gens aux entrainements des oiseaux. Proposer des formations à l'approche et à la connaissance de l'animal, comme il va faire ce vendredi 22 mai au Luxembourg avec des hôtesses d'accueil de lieux de spectacle.D'autres formations aussi sur le bien-être animal.
Travailler avec des photographes, des vidéastes ou pourquoi pas pour le cinéma. Ioann a d'ailleurs participé au tournage d'un clip vidéo pour une chanteuse nancéienne.
Un autre projet, qui lui tient à coeur, c'est un nouveau partenarait avec le gîte de la Fourasse de Moncel-lès-Lunéville. Un projet, pas encore tout à fait abouti, qui pourrait faire une carton auprès des jeunes fiancés ou des jeunes mariés.
Ioann possède quinze rapaces : des buses de Harris, des faucons sacre, des hiboux, des chouettes et un aigle des steppes. Avec l'aide apportée par la cagnotte, toute sa petite famille se porte bien. Le fauconnier peut leur apporter la nourriture et tous les soins nécessaires. Mais il va falloir tenir sur la longueur.On doit se réinventer; et quand je dis "on" je parle de moi et des oiseaux; c'est eux qui font le boulot
Ioann Latscha, fauconnier pragmatique