Le pain azyme, quesako? Une galette composée de farine et d'eau. Une recette vieille comme la fuite d'Egypte du peuple hébreu. En tout cas, c'est ce que raconte l'histoire juive. Et ce pain-là, on le fabrique encore aujourd'hui, comme avant mais aussi avec des variantes, au succès grandissant.
Moins un produit est transformé et contient d’ingrédients, plus il rassure les consommateurs. De ce point de vue, le pain azyme (du grec Azymé "privé de" et de "ferment- levain") pourrait se targuer d’être un aliment idéal avec sa recette ultra simple : la pâte est composée de farine et d'eau. Sans sel, sans sucre, sans levure surtout. Sans levure, parce que un jour, il y a très très longtemps, alors que des femmes juives préparaient leur pâte à pain, elles ont dû partir en toute hâte... Plus le temps de rajouter le levain et de laisser monter la pâte.
C'est le récit de la fuite d’Egypte, exode du peuple hébreux, loin de l'esclavage imposé par les Pharaons. L'histoire de la création du pain azyme est ainsi entrée dans la mémoire collective juive. Il se fabrique aujourd'hui encore pour Pessa'h, la Pâque juive ; dans ce cas il est béni par un rabbin, ce qui le rend casher. Mais en 2020, le pain azyme a largement dépassé la tradition.
De religieux et casher, à monsieur et madame tout-le-monde
Encore fabriqués à la main et casher dans des communautés ultra-orthodoxes comme celle de Brooklyn, à New York, le pain azyme est aujourd'hui fabriqué industriellement, sans rituel religieux, dans une dizaine d'entreprises à travers le monde. Depuis les années 1970, ce pain est largement sorti de son contexte religieux. En 2020, seul 18% du pain azyme est encore consommé dans un cadre religieux, et 82 % par monsieur et madame tout-le-monde.En France, trois entreprises fabriquent encore du pain azyme. Une à Paris, une à Agen et celle de Soultz-sous-Forêts, dans le nord de l'Alsace. La famille Heumann est aux manettes de l'entreprise depuis une centaine d'années. Isabelle fait partie de la quatrième génération et elle est la première femme sur l'avant-scène. Avant elle, son arrière-grand-mère, sa grand-mère et sa maman ont toutes joué un rôle majeur dans le développement de l'entreprise, mais dans l'ombre. Isabelle Heumann en est la première directrice générale, et si l'entreprise reste familiale, son offre n'a plus rien à voir avec les débuts. Elle est désormais en connexion avec le monde entier.
Soultz-sous-Forêts, une entreprise à la pointe de la technologie
A Soult-sous-Forêts, une des deux lignes de production est équipée d'un robot ultra performant. Philippe Lazarus, le directeur industriel de l'usine est catégorique: "Notre recette est basique, mais pour faire du bon pain azyme, il faut des machines réglées au micron. Les bras articulés de cette trieuse sont issus de l'industrie automobile. Pour apprendre à régler l'ordinateur qui pilote cette machine, il faut des personnes très bien formées ; cela nécessite du temps et de l'argent. Ce n'est pas faisable par le premier venu." précise Philippe Lazarus.En parallèle des tranches rectangulaires classiques, le bureau de développement et d'études a imaginé d'autres formats et recettes. Des crackers apéritifs ont notamment fait leur apparition. Petits, croquants et colorés, avec comme seul rajout à la recette de base (farine et eau), des jus de légumes comme la betterave rouge, la tomate, des herbes aromatiques, des épices ou encore des graines. Aujourd'hui pour continuer à séduire et toucher le plus grand nombre de consommateurs, il faut bien connaître leurs goûts et y répondre. Les Italiens réclament des tranches dorées et ultra fines. Les Allemands les préfèrent épaisses et pâles. Les premiers raffolent des crackers à l’apéritif notamment, les seconds utilisent le pain azyme pour en faire des « Knäckebrot » ou « belegtes Brot », des tranches garnies d’aliments sucrés ou salés.
En 2020, le pain azyme peut séduire tout le monde :"Toutes les personnes qui cherchent une alternative au pain au levain, qui souhaitent manger sans sel ou sans sucre, pour des raisons diététiques ou simplement par goût, peuvent s'intéresser au pain azyme" explique Isabelle Heumann, la directrice de l'entreprise. Du temps des arrières grands-parents, grands-parents et parents d'Isabelle, seule la farine de blé était utilisée. Désormais épeautre, petit-épeautre, froment, sarrazin, khorazon, quinoa sont utilisés également et le bio a fait son apparition. Que ce soit en supermarché, dans des magasins bio, dans les épiceries fines ou même en parapharmacie, les rayons de pain azyme se développent."Toutes les personnes qui cherchent une alternative au pain au levain peuvent s'intéresser au pain azyme"
L'entreprise familiale a démarré par une simple boulangerie. L'arrière-grand-père Max en est à l'origine, avec Bertha son épouse. "Mon arrière-grand-mère avait quand-même son nom sur le devant de la boulangerie en 1907, c'est suffisamment rare pour être signalé" se réjouit la première femme de l'entreprise a être entrée dans la lumière. A la suite des arrières-grands-parents, leur fils Paul et sa femme Berthe ont repris la boulangerie. La seconde guerre mondiale a malheureusement détruit leur bien, mais le couple a tout reconstruit. En 1950, Paul a eu l'opportunité de racheter une manufacture de pain azyme installée à Muttersholtz, dans le Bas-Rhin. Il a rapatrié les machines à Soultz-sous-Forêts et fait venir quelques contremaîtres qui avaient le savoir-faire. Après eux, Guy et Simone, les parents de l'actuelle directrice ont pris le relais.Aujourd'hui nous proposons quatre-vingts recettes et exportons dans une trentaine de pays, sous trois cents références.
Aujourd'hui, c'est Isabelle Heumann-Buchert, qui dirige l'entreprise. Distinguée par un trophée du prix des femmes à l'international en 2016, elle est nommée chevalier dans l'Ordre national de la Légion d'honneur le 1er janvier 2019.
L'histoire du pain azyme, "On dit une matza, des mazot" précise la jeune femme, est un produit dans l'air du temps et le champ des possibles semble infini. "On a encore plein d'idées de recettes à développer, des céréales à exploiter. Nous avons une cellule recherche et développement de cinq personnes qui travaille activement et invente chaque année de nouvelles recettes, pour anticiper et répondre à la demande des clients. Nous travaillons aussi avec l'univers de la pharmacie, avec des produits de régime, hyperprotéinés. Le pain azyme répond vraiment à la demande actuelle."
L'entreprise de Soultz-sous-Forêts continue toujours à fabriquer du pain azyme casher, mais uniquement pour la semaine de la Pâque juive. Le reste de l'année, elle fabrique son pain azyme, sans rituel, mais avec beaucoup d'imagination, cherchant à répondre aux attentes grandissantes des consommateurs en matière d'alimentation : manger plus sainement des produits simples.