L'étang de la Horre dans l'Aube : la protection "en équilibre" d'un milieu créé par l'homme et adopté par la nature

Au XIVe siècle, des moines ont décidé de couper une rivière pour créer un étang. 700 ans après, c'est devenu une réserve naturelle majeure qui abrite une faune et une flore exceptionnelles. Mais sans un entretien adéquat, le milieu se meurt. De gros efforts sont faits pour préserver son équilibre.

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Une pluie fine et légère, comme seul novembre sait en produire, passe à travers les feuilles des arbres et rythme, goutte après goutte, notre marche dans la forêt. Tout autour de nous, des chênes, des feuilles colorées de fin d'automne, plus jaunes que rouges, maintenant. La plupart sont au sol, formant un tapis si épais que le tracé de notre chemin se distingue à peine. Chaque pas produit un crissement qui me rappelle les chasses aux glands de mon enfance, lorsque je revenais les poches pleines, fière de ma récolte.

Alexandre Antoine travaille au conservatoire d'espaces naturels de Champagne-Ardenne. Il est aussi mon guide pour l'après-midi. Pour le moment, nous contournons ensemble, par l'ouest, la réserve naturelle nationale de l'étang de la Horre, dont il est le conservateur. L'étang, situé à quelques kilomètres de Montier-en-Der, marque la frontière entre l'Aube et la Haute-Marne, à mi-chemin, quasiment, entre le lac du Der et le lac de la forêt d'Orient. "L'étang de la Horre, on en a des traces sur des cartes qui remontent au 14e siècle, me raconte-t-il. Depuis toujours, l'homme a exploité et fait prospérer ce lieu. C'est un espace complètement artificiel, mais qui, au fur et à mesure des siècles, a permis à toute une biodiversité de se développer. Une faune et une flore propre à ce milieu. C'est celle-ci qui m’intéresse, et c'est celle-ci que l'on doit protéger".
 


Justement, sous nos pieds, la couleur du tapis change au fur et à mesure que nous approchons de l'eau. Des herbes vertes, que l'on appelle des carex, poussent au pied des chênes. "C'est typique de ce milieu, poursuit Alexandre Antoine, des carex sous des chênes, c'est même assez rare. Le petit plus, c'est que cela nous permet de savoir jusqu'où l'eau inondera la forêt cet hiver. Là où il y a des carex, il y aura de l'eau, là où il n'y en a pas, on aura les pieds au sec ».
 
 

Le gîte d'étape de la grue cendrée

 

Nous poursuivons notre progression vers l'étang. A la sortie de la chênaie, c'est la roselière, dense, qui prend le relais. Des phragmites australis, pour être précise, qui font le bonheur de nombreuses espèces d'oiseaux, bien à l'abri pour nicher. Le vent les balaie en permanence, produisant un son froufroutant et assez envoûtant. En quelques mètres, c'est ainsi pas moins de trois milieux que nous avons traversés. Une mosaïque de paysages, de 415 hectares, qui explique facilement la présence de plus de 250 espèces végétales et des centaines d'espèces d'oiseaux, d'insectes ou d'amphibiens. On compte notamment des espèces aux noms aussi étonnants que poétiques : des locustelles luscinioïdes, des gorgebleues à miroir ou des rousserolles turdoïdes. Dernièrement, et pour la deuxième fois seulement en France, un couple de pygargues à queue blanche a même élu domicile sur l'étang. C'est aussi un lieu de repos idéal pour les migrateurs, et notamment les grues cendrées. L'étang est sur l'un des principaux axes migratoires européens, et chaque soir, en ce moment, ce sont des milliers d'individus qui viennent y passer la nuit.
 

D'ailleurs, le soleil tombe doucement sur l'étang et une cacophonie - pourtant mélodieuse!- commence à se faire entendre. Par groupes de plusieurs dizaines d'oiseaux, les grues cendrées viennent se poser sur le bassin... Leurs silhouettes se découpent en ombres chinoises dans le soleil couchant. "On ne sait jamais vraiment où elles vont choisir de passer la nuit. Parfois, nous positionnons la longue vue et il faut changer de lieu pour les compter, parce que ce jour-là, elles ont décidé de dormir à un autre endroit de la réserve", sourit le conservateur.
 
 

Un espace créé par l'homme qu'il faut désormais entretenir



"On est sur une zone humide qui est totalement artificielle. Mais elle a pris de l'importance parce qu'elle a créé des milieux qui ont disparu ailleurs. Si on avait gardé des zones humides naturelles partout en France et même en Europe, on pourrait très bien effacer un étang comme celui-ci, notamment parce qu'il coupe la continuité écologique que peut avoir un ruisseau, par exemple", explique Alexandre Antoine.
 

Sauf que vu que tout a disparu tout autour, on ne retrouve nulle part ailleurs de grosses roselières comme celles-ci, et avec elles, la biodiversité qui leur est propre.

Alexandre Antoine, conservateur de la réserve naturelle nationale de l'étang de la Horre


L'entretien et la gestion du site deviennent donc une priorité pour éviter qu'il ne se déséquilibre et que la faune et la flore n'en pâtissent.

D'autant que durant des années, l'étang de la Horre a souffert à la fois d'un manque d'entretien mais aussi d'un élevage intensif de poissons. "Il y a eu de l'élevage très important de carpes, notamment pour la pêche de loisir, raconte Alexandre Antoine. Le problème, c'est que des carpes comme celles-ci, monstrueuses, détruisent tout. Cela a conduit à une grande turbidité [des matières organiques en suspension dans l'eau, la rendant trouble et opaque, ndlr]. Aucun herbier n'a donc pu se développer. Et sans herbier, pas de canards, pas de diversité dans les poissons, aucune autre vie".
 

Concilier les usages en bonne intelligence



Si le site est classé réserve naturelle nationale depuis 20 ans, le conservatoire d'espaces naturels n'en est gestionnaire que depuis 2016. Face à ce constat, l'une des premières initiatives de l'institution a donc été de mettre l’étang "en assec" : les poissons ont été pêchés, l'eau a été vidée, et les fonds sont restés à l'air libre pendant un an. La vase s'est minéralisée, et très vite de nombreuses espèces végétales qui avaient disparu sont revenues, d'abord en plein air, puis sous l'eau, lorsque l'étang a été rempli à nouveau. Du poisson a été réintroduit en décembre 2019, et l'étang sera à nouveau repêché en novembre 2020, pour ne pas étouffer ce milieu en rééquilibre.
 

"On peut avoir une activité piscicole réduite, et qui correspond largement aux exigences que peut avoir une réserve naturelle. Ce n'est pas incompatible. Tout comme on peut très bien avoir de la chasse au cœur d'une réserve. Le tout, c'est qu'il faut que ce soit fait avec intelligence, en dialogue et en conciliation avec tous les partenaires qui utilisent le lieu", conclut Alexandre Antoine. Toujours et encore une question d'équilibre, donc.

L'étang de la Horre est un espace créé de toutes pièces par l'homme, pour répondre à un certain nombre de ses besoins, comme la pêche ou encore la régulation des cours d'eau, pour éviter les inondations. Comme beaucoup de zones de la Champagne humide, à l’image du lac du Der, il s'est peu à peu transformé en refuge pour des espèces chassées de chez elles par l'assèchement d'anciens marais, l'extension des terres cultivables ou les constructions humaines. C'est donc aujourd'hui à l'homme d'assumer la protection de ces nouvelles terres promises, pour ne pas recommencer, encore et encore, les erreurs du passé.
 
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