50 ans de la mort du général de Gaulle : "Pour de Gaulle, l’Est c’est la France"

A l’occasion du 50 ème anniversaire de la mort du général de Gaulle ce 9 novembre 2020, rencontre avec l’historienne Frédérique Neau-Dufour qui signe « De Gaulle aime l’Est ». Une passion qui dépasse les limites de Colombey-les-Deux-Eglises. 

Ce lundi 9 novembre 2020, Colombey-les-deux-Eglises en Haute-Marne, commémore le 50e anniversaire de la mort de son plus célèbre habitant. C'était le 9 novembre 1970 à 19h15, Charles de Gaulle, l'homme du 18 juin 1940, est décédé dans sa propriété de la Boisserie. Pour l'occasion, Emmanuel Macron est attendu sur place, pour un hommage de la Nation. Charles de Gaulle était très attaché à ce village de 400 habitants aujourd'hui, où il aimait venir se ressourcer.

Frédérique Neau-Dufour, historienne spécialisée, confirme l'attrait du "Grand Charles" pour cette région, à l'Est de la France. Agrégée et docteure en histoire, elle a publié plusieurs livres sur Charles de Gaulle. Elle a été directrice de La Boisserie, commissaire d'exposition du Mémorial Charles-de-Gaulle à Colombey et directrice du CERD (ancien camp de concentration de Natzweiler-Struthof). 
 



France 3 Champagne-Ardenne : "De Gaulle aime l’Est", dites-vous. Ses origines sont pourtant nordistes. Pourquoi cette affirmation ? 

Frédérique Neau-Dufour : Il aime l’Est, car il a choisi d’y habiter, ce qui n’est pas rien ! Mais au-delà, je dis que sa personnalité et sa culture historique l’attachent à ce territoire de manière très singulière. Cet Est correspond à sa vision de la France. 
Plus qu’un lien symbolique, c’est un lien philosophique. Il est marqué par une figure comme Jeanne d’Arc. Il est marqué par le fait que la France s’est constituée au fil de batailles. L’Est incarne à ses yeux la façon dont la nation France s’est créée, dans la douleur, dans le combat et la difficulté. Il n’a pas une vision de la France qui serait celle d’un territoire facile et confortable, acquis pour toujours. On n’imagine pas de Gaulle sur une plage de la côte d’Azur. On sent bien qu’il est l’homme des combats. Et l’Est, plus que n’importe quel autre territoire en France, c’est la terre des combats. 
 

On peut noter aussi qu’il a des ancêtres originaires de Châlons-en-Champagne, et également un autre plus lointain dans le pays de Bade en Allemagne. Pour lui, c’est un détail important, à tel point qu’il le cite lors de ses déplacements outre-Rhin auprès de certains de ses proches,  « c’est le pays de mon ancêtre Kolb ». C’est quelque chose qui compte pour lui. 
 

De Gaulle, avant même d’y habiter, pense l’Est et écrit sur l’Est

Frédérique Neau-Dufour, historienne


Concernant cet attachement à un territoire, existe-t-il quelque chose de comparable chez un autre président de la République ?

On peut à peu près rattacher tous les présidents de la Cinquième République à un terroir, mais on pressent que cela n’a pas la même portée que chez de Gaulle. Par exemple pour Jacques Chirac et la Corrèze, c’est un attachement familial et électoral. Mais de Gaulle, avant même d’y habiter, pense l’Est et écrit sur l’Est. A 15 ans, il écrit une nouvelle où il décrit un combat en 1930 aux portes de Metz contre les Allemands qui ont envahi le pays, et où il s’imagine déjà général. L’Est l’habite, et ce qui va conforter cet attachement, c’est la Première Guerre Mondiale où il va combattre dans la Marne et surtout dans la Meuse. 
 

Vous écrivez que « de Gaulle se sert littéralement de l’Est comme d’un instrument politique ». Que voulez vous dire ?  

L’Est va plutôt être l’occasion pour lui d’affirmer son pouvoir politique. On le voit fin 1944 quand l’Alsace est en partie libérée et que les nazis lancent une grande offensive pour reprendre Strasbourg. Or, les Américains sont justement en train de retirer des troupes de la ville. 

Pour de Gaulle, que Strasbourg soit repris serait un affront fait à la France entière, le signe que la France laisse une nouvelle fois tomber sa province alsacienne. Ce serait aussi un désaveu personnel terrible quant à sa capacité à défendre les intérêts du pays. Il joue alors un rôle déterminant auprès des alliés pour que le contingent soit maintenu. L’Est devient un emblème de la souveraineté de la France. 
 

De Gaulle utilise l’Est, loin de Paris, comme un atout

Frédérique Neau-Dufour, historienne


Autre exemple en mai 1958 avec son retour au pouvoir. Il utilise très clairement son refuge de Haute-Marne comme une arme politique. Alors que tout le monde s’agite à Alger et Paris et veut connaître ses intentions, lui reste très sagement replié à Colombey. Il refuse de parler. Il utilise l’Est, loin de Paris, comme un atout. Il peut jouer le rôle de celui qui ne se mêle de rien et qui attend qu’on vienne le chercher. 



L’Est, c’est effectivement Colombey-les-Deux-Eglises.  Pourquoi les de Gaulle font-ils le choix de s’y installer en 1934 ?

Entre 1921 et 1940, ils déménagent 14 fois et recherchent un point fixe à la campagne pour leur famille. La Haute-Marne est stratégique car située entre Paris et les garnisons de l’Est. Et il ne faut pas négliger l’opportunité qui se présente : la Boisserie achetée en viager est une bonne affaire pour cet officier qui n’a pas beaucoup d’argent. 

Et le lieu lui plaît. Je pense que le cadre et le paysage, l’espèce de sauvagerie de l’horizon qui s’ouvre derrière la maison lui correspond parfaitement. Cela reflète son âme et la vision d’une France éternelle, enracinée. Il y a dans ce village aussi une forme de gravité qui lui parle. Il s’en amuse d’ailleurs. Lors de sa traversée du désert, il dit à un de ses collaborateurs « ici, on ne rigole pas beaucoup ». C’est sa manière de vivre. Il n’a pas besoin de plage et de gaudriole. 
 

Il retourne à Colombey dès qu’il le peut. C’est pour lui une nécessité, c’est véritablement là qu’il aime être


De Gaulle, on ne l’imagine pas trop en Parisien. Il est à l’Elysée la semaine, mais il retourne à Colombey dès qu’il le peut. C’est pour lui une nécessité, c’est véritablement là qu’il aime être. Et au-delà, il a une véritable affection pour le peuple et les gens simples.
 

De Gaulle était un homme discret. Sa porte à Colombey n’était pas facilement ouverte. Quels liens a-t-il su tisser avec les habitants ? 

De Gaulle veut se considérer comme un habitant comme les autres. Le couple s’intègre à la vie du village. Lui participe aux cérémonies aux monuments aux morts dans les années 30. Ce sont des paroissiens qui vont à l’église, ce qui est important à cette époque-là. Il est un officier supérieur qui en impose sans doute, mais le couple reste très accessible. Ils connaissent et échangent avec les voisins. Ils sont partie prenante lors des fêtes du village. A Pâques, les enfants viennent chercher des chocolats à la Boisserie. Il y a de ce fait une vraie affection des habitants du village pour de Gaulle. Ils l’ont d’ailleurs élu maire du village alors qu’il ne s’était même pas présenté, lors de sa traversée du désert (Il refusera, ndlr). 
Cela a marché entre de Gaulle et ces gens, car ils ont toujours respecté son intimité et sont restés très discrets. Lui aime les gens authentiques, et voir les Français vivre leur vie quotidienne en toute normalité. 
 

Colombey a peut-être incité de Gaulle à rester dans une vision passéiste et traditionnelle de la France, et pas vraiment tournée vers l’avenir. 


On pourrait dire que, pour de Gaulle, l’Est, c’est la France, et que le visage des habitants de Colombey est le visage des habitants de la France. Avec un commentaire à ajouter : il a du coup une vision très particulière de la population. Il ne va pas croiser beaucoup d’étudiants, d’universitaires ou de chercheurs. Cela peut expliquer qu’il a du mal à comprendre Mai 68. Il n’a peut-être pas vu l’émergence de cette jeunesse urbaine qui aspire à un avenir très différent.  Colombey l’a peut-être incité à rester dans une vision passéiste et traditionnelle de la France, et pas vraiment tournée vers l’avenir. 


Les obsèques du général se sont tenues à Colombey-les-Deux-Eglises, et pas à Paris où se tient le même jour une cérémonie en l’absence du corps du défunt. Qu’apprend-on ainsi sur de Gaulle ?

Dans son testament en 1952, il choisit de reposer à Colombey et demande que ses obsèques se tiennent en présence des habitants du village. Il avait refusé la présence de membres du gouvernement.  A ses yeux, ce moment n’appartient à personne d’autre qu’à lui-même et sa famille. Colombey, c’est l’hommage des humbles et la simplicité des obsèques.Il a vraiment voulu montrer son humilité de chrétiens, et Colombey a été encore une fois l’instrument de cette communication. Les Français ont été frappés, et ont reconnu ici une chose très unique chez lui. On le voit dans les lettres de condoléances reçues par la famille. 
C’est Georges Pompidou, alors président de la République, qui a voulu une cérémonie d’hommage officiel à la cathédrale Notre-Dame de Paris, avec 80 chefs d’Etats. Ce qui était une première. 
 

De Gaulle n’a sans doute pas voulu que ses obsèques participent à la construction du mythe, mais elles y ont contribué


Cette symbolique renvoie à une pratique qui a longtemps existé en France au Moyen-âge quand un roi mourrait. On mettait symboliquement deux personnes en terre : l’être humain, mais aussi le représentant du pouvoir sacré. Ce pouvoir ne disparaissait pas totalement car il était transmis au roi suivant, via le sacre. 
Cette symbolique se rejoue : le côté très humble de de Gaulle avec des obsèques très simples, et en même temps ce qui se dessine déjà à l’époque, c’est à dire l’hommage qui en fait un personnage hors du commun, sanctuarisé dans l’histoire.
De Gaulle n’a sans doute pas voulu que ses obsèques participent à la construction du mythe, mais elles y ont contribué. 
 


Des conseillers de l’Elysée parlent de « pèlerinage »  en évoquant la visite du président de la République à Colombey-les-Deux-Eglises le 9 novembre pour le 50 ème anniversaire du décès du général de Gaulle. Cela nous dit quoi de la France de 2020 ? 

Cela en dit long sur la quête dans laquelle se trouve le pays.  Il y a quelque chose de sacré dans la figure de de Gaulle aujourd’hui. Cela montre la perte d’espérance de ce pays, qui se sent obligé de se tourner vers des figures du passé pour avoir foi en l’avenir. Il y a une grande nostalgie de cette France qui se sentait grande, qui semblait parler d’une voix forte dans le monde, la France du plein-emploi et des Trente Glorieuses. Le pèlerinage vers Colombey, c’est le pèlerinage vers cette France qui a disparu. 
 

Le pèlerinage vers Colombey, c’est le pèlerinage vers cette France qui a disparu.

Frédérique Neau-Dufour, historienne


Il est normal et positif de se référer à de grandes figures du passé, mais s’il n’y a plus que cela, c’est inquiétant. Si l’on n’a pas de projet d’avenir -comme de Gaulle avait une vision de la France- et qu’on n’a plus que les exemples du passé pour tenir bon, nous sommes en danger. 
Les exemples du passé doivent nous servir à bâtir. 

De Gaulle aime l'Est. Editions Nuées Bleues. 
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