André Strich a 70 ans, une vie consacrée à l'arboriculture, à la forêt. En 50 ans, il a connu bien des tempêtes, des maladies, des sécheresses. Jamais pourtant il n'avait été confronté à un tel acte de malveillance. Humaine. La semaine dernière, tous ses noyers ont été tronçonnés. Gratuitement.
Cette histoire est typiquement ce qu'on appelle dans notre jargon journalistique un Clochemerle. Du nom de ce roman satirique qui décrit les querelles d'un village. Burlesques. Risibles. Pourtant à hauteur d'homme, de vieil homme, ce qui peut nous faire rire meurtrit. Profondément. Comme autant de coups de tronçonneuse. C'est ce récit, fait de bêtise et de chagrin, que nous allons vous raconter aujourd'hui.
Auprès de mes arbres
André Strich a 70 ans, une vie passée auprès des arbres. Forestier, il exploite le domaine familial à Schweighouse, 37 hectares, depuis sa tendre et verte enfance. En plus de 50 ans, il a connu bien des tempêtes, des entailles profondes. Il y a planté 25.000 arbres, une forêt. Il lui en reste aujourd'hui mille. "J'ai connu la première grande sécheresse de 1976, puis la tempête de 1999 àù j'ai perdu 4000 Douglas, 2000 épicéas puis les violents coups de vent de 2001, la Chalarose frexinea, le mal qui tue le frêne où là j'ai ramassé plus de 2000 stères tombées par terre, pourries. Et depuis quelques années, la sècheresse. Tous mes arbres sont en train de crever. Mes noyers noirs d'Amérique. Les 1000 arbres qu'il me reste."
Tous mes arbres sont en train de crever.
André Strich continue à aller en forêt. Tous les jours. Abat, ramasse, observe. Infatigable. Et pour se renouveler, trouver un second souffle dans cette lente agonie forestière, André décide de planter, il y a 20 ans, une parcelle de noyers. Une essence dit-il difficile à cultiver. Douze noyers "plantés en ligne" il y tient, dans un pré, en plaine. "Pour moi, forestier, agriculteur, c'était une grande fierté de montrer mon savoir-faire, de montrer que quand on plante, quand on prend soin, la nature vous donne quelque chose en retour. Toujours."
Quand on plante, quand on prend soin, la nature vous donne quelque chose en retour. Toujours
Les arbres poussent. Ils prennent leur temps. 19 ans pour donner leurs premiers fruits. "J'ai fait ma première récolte l'année dernière. 80 kg de noix. Une fierté. Je me suis dit que c'était un bel héritage que je laissais là pour les générations futures, pour les promeneurs du dimanche."
"Un acte criminel"
André en devient lyrique. Un peu trop emphatique. On lui pardonne. Le septuagénaire est encore sous le choc. Abattu par ce dont l'homme est capable. Couper ses noyers. Tous ses noyers. Bien consciencieusement : à un mètre du sol. Net. Comme une grande faux mécanique. Brute et aveugle.
"La semaine dernière, un ami chasseur, du haut de son mirador, a vu que mes noyers avaient disparu. Mon champ ravagé. Je suis venu tout de suite. Je suis resté sans voix. J'en ai pleuré. Avec tout ce que j'ai déjà subi dans mon métier. Voir ça. J'ai travaillé toute ma vie auprès des arbres, je me suis donné de la peine et là voilà ce que ça donne. Voilà comment on est récompensé."
J'en ai pleuré. Avec tout ce que j'ai déjà subi dans mon métier. Voir ça.
André est allé porter plainte à la gendarmerie. Il n'y croit guère. Un pis-aller à sa tristesse, à son incompréhension aussi. "Je ne me connais pas d'ennemis, pas de rivaux, dans ce métier on se serre les coudes. Il le faut. C'est incompréhensible." De ce massacre à la tronçonneuse, André sort changé. Diminué lui aussi. " C'est criminel. Je cherche tout le temps qui aurait pu me faire ça. Je deviens suspicieux. Et si c'était celui-là ou tiens celui-ci ? C'est comme dans les films policiers. Parce que bon hein c'est pas un ange qui a fait ça. Même pas un ange déchu."
Le ciel est aujourd'hui d'un bleu électrique. Le forestier se tourne vers les moignons d'arbres. Il soupire. "Je vais les tailler. C'est une espèce d'arbre qui peut repousser. Peut-être en les soignant bien, je pourrais en sauver quelques-uns. Pas tous, c'est certain." André devra attendre dix ans pour voir sa seconde récolte "si je suis encore là." André n'est pas un noyer. Ni un chêne. C'est un roseau.