La maison Dennecker, située dans un quartier patrimonial de Storckensohn (Haut-Rhin) et protégé par le plan local d'urbanisme à ce titre, est en cours de destruction depuis le 26 mars. Une association avait fait une proposition de rachat au propriétaire, en vain.
Certains habitants de Storckensohn ont démarré la semaine avec un bruit de pelleteuses qu'ils n'avaient pas prévu. La démolition de la maison Dennecker, située à deux pas du moulin emblématique de la commune de Storckensohn, a démarré le 26 mars après des mois de conflit entre le maire, le propriétaire - tous deux favorables à la destruction - et les membres de l'Association du moulin de Storckensohn, défenseurs de ce qu'ils considèrent comme un élément important du patrimoine local.
"C'est désolant d'en arriver là alors qu'on était prêts à payer pour récupérer le bien, le retaper et en faire quelque chose de dynamique d'ici quelques années. Maintenant ce sera une dent creuse (un terme d'urbanisme désignant un espace non-construit entouré de parcelles bâties, NDLR), ou éventuellement un jardin, au milieu d'un quartier patrimonial", soupire François Taquard, président de l'Association du moulin de Storckensohn et principal opposant à ce projet de destruction.
Interrogé par le quotidien régional l'Alsace, qui a révélé l'information ce 29 mars, le maire de la commune, Jacques Karcher, assume la décision et estime que la maison "a été tellement refaite qu'elle n'a plus rien d'origine". Il avance par ailleurs que la proposition de rachat de l'association n'était pas viable. "Les statuts de l'association ne lui permettaient pas de racheter un bien pour sauvegarder un patrimoine", avance-t-il.
Une démolition contrariée à plusieurs reprises
Cette démolition est en réalité l'ultime épisode d'une saga commencée en décembre 2022, quand les propriétaires déposent un permis de démolir. Celui-ci est suspendu par le tribunal administratif car il est contraire au Plan local d'urbanisme. "À ce moment-là, j'ai proposé, à travers l'association, de racheter la maison pour 15 000 euros, retrace François Taquard. Mais le propriétaire a refusé, il en demandait 30 000. Sauf que l'association n'était pas prête à mettre autant, sachant qu'il y avait encore des dépenses prévues après l'achat, avec la restauration."
Le maire de la commune a ensuite pris un arrêté de péril imminent, seul moyen administratif de contourner l'interdiction du PLU. En février, les machines débarquent sur le terrain et s'apprêtent à procéder à la démolition, quand François Taquard intervient. "Je me suis mis entre les machines et la maison, j'ai alerté la gendarmerie, j'avais dans les mains l'arrêté du tribunal administratif. Ils ont pris peur et le démolisseur, que je connaissais, a fini par se retirer car il refusait de travailler dans ces conditions."
Après cette altercation, François Taquard assure avoir fait une nouvelle proposition au propriétaire, "20 000 euros cette fois", mais il essuie un autre refus. Ce matin du 26 mars, quand les pelleteuses ont surgi pour détruire la maison Dennecker, François Taquard n'a pu recourir aux mêmes moyens. "C'était une autre entreprise qui ne faisait pas grand cas de sa réputation dans le secteur", précise-t-il.
"Comment veut-on sauver la planète si on n'arrive même pas à sauver ce qui nous définit ?"
François Taquard, président de l'Association du moulin de Storckensohn
Le dossier pourrait en effet s'avérer épineux pour les acteurs, la voisine directe du bâtiment se préparant à engager une procédure judiciaire contre les propriétaires. Elle estime que les travaux peuvent "représenter un grave danger" pour sa propre habitation, où elle réside avec ses trois enfants. Dans les colonnes du journal l'Alsace, le maire Jacques Karcher estimait de son côté que le chantier ne ferait courir "aucun risque au bâtiment voisin".
Ce vendredi, François Taquard estime que la maison est "déjà à 80% détruite". "Il n'y a plus de retour en arrière possible, c'est terminé", souffle-t-il. S'agissait-il du combat d'un seul homme pour une maison dont le sort laissait indifférent le reste de la population ? "Il y a déjà l'ensemble de l'association qui m'a soutenu dans cette démarche. Et une partie des habitants aussi...C'est vrai qu'il n'y a plus eu de manifestation, ça n'a pas mobilisé, et c'est bien dommage."
Lui assure qu'il se battait "pour les générations futures" parce que "c'est la mémoire du village qui se joue là". Ancien président de la communauté de communes de Saint-Amarin, François Taquard a également été adjoint au maire à Storckensohn et professionnel du développement rural dans un bureau d'études. "Il y a tellement d'exemples de sites patrimoniaux en ruine qui ont connu une deuxième vie après une restauration. Les vieux bâtiments, c'est l'âme d'un territoire. Comment veut-on sauver la planète si on n'est pas capable de sauver ce qui nous définit ?" Nous n'avons pas pu joindre le maire de Storckensohn, Jacques Karcher, ni le propriétaire du bâtiment.