Colmar : par passion pour le Japon, elle ouvre une enseigne de pâtisserie japonaise, une première en Alsace

La Colmarienne Cécile Didierjean a ouvert une enseigne de pâtisserie japonaise à Colmar, l'Azukiya. Elle fait produire son ingrédient principal, les haricots rouges ou azuki, surnommé le diamant rouge au Japon, par un agriculteur haut-rhinois, afin de disposer des meilleures graines possibles. 

Surnommé le diamant rouge au Japon, parce qu'il brille et peut se vendre très cher, le haricot rouge ou azuki, s'est trouvé une nouvelle patrie en Alsace avec la Colmarienne Cécile Didierjean. La légumineuse est très prisée en Asie pour ses vertus gustatives et diététiques, "le haricot rouge est doux et digeste, il n’a absolument rien à voir avec les haricots blancs qu’on connait et qu’on fait cuire avec le gigot d’agneau", fait remarquer cette passionnée de culture japonaise.

L'azuki est employé sucré au Japon dans la confection de pâtisseries dont l'emblématique dorayaki (voir le post ci-dessous), "c’est le gâteau de l’enfant, c’est le petit pain au chocolat qu’on mange après l’école à 4 heures ou le matin, les adultes aussi le mangent, ça leur rappelle sans doute de bons souvenirs".

Un nouveau laboratoire

En octobre dernier, Cécile démissionne pour se consacrer entièrement à la production de pâtisseries japonaises traditionnelles. Tout récemment, elle franchit un cap supplémentaire en aménageant un nouveau laboratoire plus fonctionnel sous l'enseigne Azukyia basée à Colmar. Elle y produit sa crème d'azuki, une pâte qui ressemble à de la confiture. "Au Japon, il y a deux écoles: avec ou sans morceaux à l'intérieur", précise Cécile.

Parce que tenir un magasin est trop compliqué, elle préfère vendre pour l'instant sa pâte et ses gâteaux en Alsace via la plateforme de produits locaux, La ruche qui dit oui. "Il faut être à plusieurs pour ouvrir un magasin, de plus Colmar est une trop petite ville pour ce genre de produit". Avec la Ruche qui dit oui, elle peut toucher une clientèle du nord au sud de l'Alsace: à Strasbourg et Colmar, Cécile livre une fois par mois, à Ingersheim et Illzach, une fois par semaine. 

Un marché potentiel énorme

Parent pauvre de la cuisine japonaise et pourtant très raffinée, la pâtisserie japonaise souffre d'une méconnaissance à peu près totale en France. L'ambition de Cécile est de sensibiliser les particuliers et surtout les professionnels aux qualités de cette cuisine, "il y a un potentiel énorme, je veux la faire connaître aux pâtissiers français. Cela passe par un travail de de vulgarisation et de pédagogie. A terme, j'aimerais leur vendre ma crème d'azuki, un produit semi-fini qu'il finaliseront eux-mêmes en gâteaux".

Et comme pour confirmer cet avenir radieux, Cécile apprend que le pâtissier d'origine colmarienne, Pierre Hermé, a sorti, la semaine dernière, un entremets matcha-azuki. "Ce qui est formidable avec cette crème, c’est qu'elle s'associe très bien avec de la framboise ou du cassis, les fruits rouges en général. On obtient une pâte capable de faire des merveilles dans la pâtisserie française".

La voie du haricot rouge

Le chemin tracé par Cécile Didierjean passe nécessairement par une recherche de l'excellence: "La qualité de la graine est évidente au Japon, moins en France. Au début j’ai travaillé avec des azukis de Chine mais je n’arrivais pas à les cuire. Très vite j’ai réfléchi à les cultiver ici". Les deux premières années ont été infructueuses. Jusqu’au jour où un pâtissier japonais, en déplacement dans la région, a vu les champs de betteraves à sucre, "il m’a dit: tu récolteras de l’azuki parce que la région la plus connue au Japon pour la culture de l’azuki fait aussi de la betterave à sucre, il n'y a donc pas de raison que tu n’y arrives pas". Cécile a donc importé une graine de variété japonaise et a acclimaté la plante en sélectionnant la semence d'une année sur l'autre. 

"La peau doit être très fine parce que parfois on mange le grain en entier, notamment dans les dorayaki. Cela relève de la variété du grain et aussi de la fraîcheur de la légumineuse". Parler de fraîcheur pour un légume sec peut paraître bizarre mais il faut savoir que si le haricot est récolté dans l’année la peau gagne en finesse. Les plus grandes pâtisseries traditionnelles au Japon n’utilisent que les récoltes de l’année. On fête là-bas la récolte de l’azuki fin novembre comme on fête le Beaujolais nouveau en France. "Les pâtisseries mettent un grand étendard devant leurs échoppes avec écrit dessus: azuki nouveau". 

La ferme de Pulvermühle à Volgelsheim

Après la phase expérimentale, Cécile a eu beaucoup de mal à trouver un agriculteur pour cultiver sa graine d'azuki. En 2014, elle convainc la ferme Moyses de Feldkirch de faire des tests. Elle est très vite relayée en 2016 par la ferme de Pulvermühle à Volgelsheim. "Nous, on produit du soja depuis très longtemps, avec cette plante on trouvait intéressant de voir ce que ça donne, un peu par défi et pour se démarquer", explique l'exploitant, Dany Schmidt. Les volumes restent relativement petits pour la taille de l'exploitation mais le matériel utilisé pour le soja a pu être adapté à la culture du haricot rouge sans trop de difficultés. "Au fil du temps, la semence made in Alsace que nous apporte Cécile s'acclimate de mieux en mieux".

Il ne s'agit pas de faire de gros volumes mais de faire vivre une petite filière qui tienne la route. "C'est Cécile qui décide de la quantité, l'année dernière, en 2020, on a récolté aux alentours de 500 kilo de graines", précise Dany Schmidt. Une production confidentielle donc, mais largement suffisante pour couvrir les besoins de Cécile Didierjean. A ce jour, ils sont les seuls avec une coopérative dans le sud-ouest, à produire du haricot rouge en France.

Plus qu'une cuisine, un art de vivre

Pour apprécier la pâtisserie japonaise à sa juste valeur, il faut se laisser conquérir par les saveurs sucrés de ce légume, ce qui n'est pas forcément évident au début, admet Cécile. "La pâtisserie japonaise traditionnelle utilise des ingrédients étonnants. Mettre des légumes dans des desserts c’est inattendu pour un occidental. Au Japon on utilise aussi des algues, des fécules de racine et des techniques de cuisson incroyables, notamment à la vapeur. Notre belle pâtisserie française peut s’enrichir énormément au contact de la pâtisserie japonaise, c’est mon moteur". Elle, qui a appris le japonais au lycée Bartholdi de Colmar, va découvrir ensuite, au fil de ses études universitaires en ethnologie, toutes les facettes de la vie quotidienne au pays du soleil levant. "J’ai travaillé au Japon en faisant des études de terrain sur l’alimentation ", précise-t-elle.

Après son doctorat, elle effectue un virage à 180 degrés en passant un CAP de cuisine et en devenant traductrice spécialisée dans la pâtisserie. "On m’a présenté beaucoup de pâtissiers japonais qui m’ont ouvert la porte de leur laboratoire avec grand enthousiasme parce que la cuisine japonaise s’exporte mais pas la pâtisserie. Ils me montraient ce qu’ils faisaient en imaginant que j’allais devenir l’ambassadrice de la pâtisserie japonaise en France, ce qui s’est finalement un peu passé". Avec Takanori Murata et Toraya, deux pâtissiers traditionnels installés à Paris, Cécile a eu l'occasion de faire des démonstrations à la foire européenne de Strasbourg. "Pour eux c’est une grande chance de pouvoir parler de leur art".

Au Japon, le cœur des choses, ce qui a vraiment de l'importance, est symboliquement enveloppé, "comme la crème d’azuki qui est enveloppé au cœur du gâteau. Il renferme en son sein la vérité, le sens de la vie. Ce que montre très bien le film Les délices de Tokyo", explique Cécile Didierjean. C’est une légumineuse présente dans beaucoup de rites, notamment dans les offrandes aux dieux. "L’azuki figure dans les mythes de création de la cosmogonie japonaise, il est considéré comme l’une des cinq céréales fondatrices avec le blé, le millet et le soja". Quand en plus on sait que le rouge est la couleur de la fête au japon, l'azuki acquiert toute sa dimension vitale.

 

 

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