VIDEO. Depuis 50 ans, la bibliothèque sonore de Colmar fournit de la lecture aux malvoyants

durée de la vidéo : 00h04mn34s
Les bénévoles de la bibliothèque sonore préparent de nouveaux envois de livres.
Sujet Rund Um en alsacien sous-titré ©France Télévisions

A Colmar, il existe une bibliothèque dont tous les livres sont des CD. Affiliée à l'association nationale des Donneurs de voix, elle offre depuis un demi-siècle aux personnes malvoyantes et non-voyantes un accès à la culture.

Société
De la vie quotidienne aux grands enjeux, découvrez les sujets qui font la société locale, comme la justice, l’éducation, la santé et la famille.
France Télévisions utilise votre adresse e-mail afin de vous envoyer la newsletter "Société". Vous pouvez vous désinscrire à tout moment via le lien en bas de cette newsletter. Notre politique de confidentialité

Permettre aux personnes malvoyantes ou non-voyantes, ou atteintes de troubles DYS, de profiter du plaisir de la lecture, est l'objectif de l'association des Donneurs de voix. Créée en 1972 à Lille par le Lions Club, elle leur donne accès gratuitement à des livres audio, enregistrés par des bénévoles, les "donneurs de voix".

Depuis l'avènement du numérique, ces "donneurs de voix" enregistrent les textes chez eux, à leur rythme, sur leur propre ordinateur. Chaque nouveau livre audio ainsi réalisé et validé est intégré au catalogue du serveur national de l'association. Et chaque bibliothèque sonore locale en fait, selon ses besoins, des copies sur clés USB, cartes SD ou CD, qu'elle propose à ses usagers. 

Ces bibliothèques sonores sont aujourd'hui plus d'une centaine, réparties dans tout l'hexagone. En Alsace il en existe trois, à Mulhouse , à Strasbourg ainsi qu'à Colmar. Cette dernière, née dès 1973, affiche fièrement son demi-siècle d'existence. Elle compte une dizaine de bénévoles, une bonne centaine d'usagers, dont plus de la moitié sont des enfants atteints de troubles DYS, et six donneurs de voix. 

Christine Muller, donneuse de voix

Christine Muller enregistre tôt le matin, "parce qu'il n'y a pas encore de bruit". Dans le bureau de sa maison en plein vignoble de la région colmarienne, elle allume l'ordinateur, branche son casque et règle la position du micro. Puis commence sa lecture à haute voix, à la page où elle s'est arrêtée.

Dès qu'une phrase ne lui convient pas, elle la répète. "Si quelque chose n'est pas bon, je le refais immédiatement" explique-t-elle. "Je supprimerai le doublon à la réécoute." Elle lit environ trois pages, puis s'arrête. Car "selon la charte qualité, on enregistre 13 minutes au maximum." Ensuite, celles-ci "doivent être écoutées et corrigées. Car à chaque fois, il y a des erreurs : un mot oublié, ou trop de salive en bouche, ou encore une émotion mal rendue."

Christine Muller réécoute se fait avec beaucoup d'attention. Une liaison maladroite, une intonation inadaptée, rien ne lui échappe. Si un passage ne la satisfait pas, elle en note le time code. Puis relit immédiatement la phrase incriminée, et la copie-colle à la place de l'ancienne, qu'elle supprime.

Le  travail est minutieux. De longue haleine. En moyenne, il faut une heure pour obtenir 13 minutes qui lui conviennent, et "100 heures pour un livre de 300 pages." Après ses propres corrections, elle soumet encore son travail à "une tutrice, qui réécoute le tout." Et qui, "si elle trouve une faute", lui renvoie le fichier pour qu'elle le remanie encore.

Mais cette jeune retraitée qui "adore lire" ne compte pas ses heures. Pour elle, le jeu en vaut largement la chandelle, "car il faut que ce soit picco-bello pour que l'audio-lecteur ait du plaisir." Elle a jusqu'à une demi-année pour mener son travail à bout, "donc pas de stress." Et c'est elle qui choisit les livres auxquels elle prête ainsi son timbre, sa sensibilité et ses émotions. Des livres qu'elle a "déjà lus et aimés, et qui ne sont pas encore sur le serveur national" de l'association.

Des "donneurs de voix" comme Christine Muller, il y en a plus d'un millier sur l'ensemble de la France, dont six dans la région colmarienne. Un travail bénévole et anonyme, dont profitent 15.000 audio-lecteurs. 

Une bibliothèque sonore à côté du pôle média-culture

La bibliothèque sonore de Colmar se trouve dans le même bâtiment que le Pôle média-culture. C'est un espace bien plus modeste que les grandes salles de prêt. Car ici, quatre petites armoires suffisent à contenir les 5.300 livres proposés, puisqu'ils sont exclusivement sous forme de CD.

On y trouve de tout, des grands classiques jusqu'aux ouvrages contemporains, romans, policiers, ouvrages historiques ou philosophiques, biographies, essais, théâtre, poésie, ainsi que des revues mensuelles. Sans oublier la littérature jeunesse et des livres scolaires.

Et à côté, pieusement conservées sur une étagère, car elles témoignent des premières années pionnières : les innombrables cassettes audio, qui ne servent plus.

Le lieu, tenu par des bénévoles (les "donneurs de temps"), est ouvert les lundis et mardis après-midi. Mais rares sont les usagers qui viennent chercher leurs audio-livres sur place. Certains font leur commande par téléphone ou par mail, mais "la plupart du temps, ils nous laissent choisir pour eux" explique Anne-Rose Vogel, donneuse de temps.

"Lors de l'inscription, on leur demande ce qu'ils aiment, ou pas. Et on choisit en fonction de leurs goûts. Et de temps en temps, on tente de leur faire découvrir autre chose." - "Ce n'est pas si simple" reconnaît son collègue, Marc Lemoine. "Il faut connaître la personne, être à l'écoute pour pouvoir assurer et trouver ce qu'elle désire. On tente de se mettre à sa place."

Les CD sélectionnés sont placés dans des pochettes noires en tissu épais, que les bénévoles glisseront dans une boîte aux lettres en partant. Car la plupart du temps, prêt et retour se font par envoi postal gratuit. "On a un accord national avec la poste" précise Anne-Rose Vogel. "Les pochettes, fournies par l'association, sont juste fermées avec un scratch, car la poste peut vérifier s'il y a effectivement des disques pour les malvoyants dedans." 

Pour les usagers, la condition d'accès à l'ensemble de ces services est simple : pouvoir fournir un justificatif médical attestant qu'ils ne sont plus en mesure de lire. "Toutes les personnes qui ont un certificat médical d'un ophtalmologiste, prouvant qu'elles ont une mauvaise vue, peuvent s'inscrire chez nous. Et tout est gratuit" souligne encore le trésorier, Claude Rudloff.

A un autre bureau, Béatrice Perrin, autre "donneuse de temps", a pour mission d'enrichir le catalogue national des bibliothèques sonores avec les contributions des donneurs de voix régionaux. "Chaque nouveau livre enregistré par un donner de voix régional (comme Christine Muller), on le met sur le site et on le fait remonter au niveau national" explique-t-elle. 

"Et ensuite, on télécharge ce qui est sur le site national, essentiellement les nouveautés, les prix littéraires… On a des prix littéraires enregistrés rapidement, pris d'assaut par les donneurs de voix."  C'est elle aussi qui grave ces nouveaux titres sur CD, histoire d'enrichir la bibliothèque colmarienne.   

Seule restriction : l'association, qui n'est pas soumise aux droits d'auteurs, n'a pas le droit de faire enregistrer pour son usage un audio-livre déjà réalisé par des lecteurs professionnels, et commercialisé. Tous les ouvrages qu'elle propose doivent être lus par des bénévoles. Au niveau national, le catalogue des bibliothèques sonores compte 17.000 titres téléchargeables, ainsi qu'une trentaine d'audio-revues enregistrées à chaque parution.

Comme d'autres bibliothèques sonores, celle de Colmar travaille aussi avec des enseignants et des parents d'une bonne soixantaine d'enfants atteints de troubles DYS. Mais pour ces jeunes audio-lecteurs, le support sur CD n'est plus utile. Ils peuvent, après inscription, télécharger directement les livres qui les intéressent sur le serveur national de l'association.

Rompre l'isolement

Sur son site, l'association des Donneurs de voix explique son objectif : "Rompre l’isolement des personnes atteintes d’une déficience visuelle, physique ou cognitive (…) et leur redonner l’accès à la lecture, l’information le savoir et la culture." Cet objectif motive tout particulièrement Marc Lemoine, l'un des bénévoles de Colmar.

"Ma compagne était malvoyante. Elle est malheureusement décédée d'un cancer" confie-t-il. "J'ai vécu son hospitalisation à ses côtés, et vu combien c'était bienvenu quand elle pouvait écouter ce genre de CD. Pouvoir bénéficier d'un apport social… Un malvoyant, plus rien ne le rattache. Quand on ne voit plus, on aime avoir le goût de la lecture qui revient. C'est un accès primordial, et ça leur change la vie. Je l'ai vécu. Donc je sais ce que c'est." 

Anne-Marie Haeffelin, une audio-lectrice

Une expérience également vécue par Anne-Marie Haeffelin. Empêchée de lire depuis une bonne dizaine d'années, elle a découvert la bibliothèque sonore un peu par hasard. "J'aime lire, donc je cherchais une solution" raconte-t-elle. "Je suis allée au Pole média-culture pour demander s'ils avaient des audio-livres. Et ils m'ont dit qu'au rez-de-chaussée du bâtiment, il y avait la bibliothèque sonore pour non-voyants, ce que j'ignorais."

Elle utilise volontiers les pochettes en tissu pour renvoyer les CD après audio-lecture. Mais pour choisir ses nouveaux livres, elle préfère se rendre elle-même à Colmar, et discuter avec l'équipe de bénévoles. "J'aime bien le contact, et j'aime sortir, donc mon mari m'emmène à Colmar, pour y chercher mes livres" explique-t-elle.

Elle affectionne les biographies, et les livres sur des faits historiques. "Alors je vois ce qu'ils ont. Et si un livre du catalogue me tente, mais qu'ils ne l'ont pas sur CD, ils le numérisent et le gravent. J'aime les nouveaux livres qui viennent de paraître. Mais là il faut un peu de patience, jusqu'à ce qu'ils soient enregistrés."

"Quand mon mari lit un livre, il me dit parfois : "Oh, celui-ci m'a plu." Alors je leur demande s'ils l'ont. Pour que je puisse le lire à mon tour. Et inversement, si un livre de la bibliothèque sonore m'a plu, il m'est déjà arrivé d'aller l'acheter pour l'offrir."

Pour audio-lire tranquillement, elle utilise l'appareil "Victor", un lecteur à grandes touches, spécialement conçu pour des personnes déficientes visuelles. Selon les bibliothèques, cet appareil spécifique peut être prêté ou cédé à prix coûtant. Suite à un don reçu l'an dernier, celle de Colmar a même été en mesure d'en offrir à ses usagers.    

A l'aide de son "Victor", Anne-Marie Haeffelin audio-lit partout, "dehors, dedans, en faisant du repassage ou de la cuisine." Si elle fait une pause, l'appareil reprend la lecture à l'endroit où elle s'est arrêtée. Elle peut aussi le programmer pour qu'il s'arrête après une durée donnée "ce qui est pratique quand j'écoute au lit et que je m'endors" sourit-elle. Mais lorsqu'elle part en voyages, elle préfère télécharger les audio-livres du site national sur un appareil plus léger.

Le nom du "donneur de voix" n'est jamais mentionné. Mais l'audio-lectrice "reconnaît certaines voix". Et  comme elles "viennent de toute la France", elle se régale à l'écoute des différences d'accents. "Il y a des voix qu'on aime beaucoup" reconnaît-elle. "Et des lecteurs qui sont excellents, qui rentrent dans le livre. D'autres se contentent de lire" de façon neutre. "C'est très différent."

Malgré sa vue trop basse, Anne-Marie Haeffelin est restée à sa manière un rat de bibliothèque. Elle audio-lit "3 à 4 livres par mois. Si c'est un gros livre, on peut avoir 14 à 16 heures d'écoute sur un seul CD. Pour un roman, c'est environ 6 heures. Et c'est comme quand on lit avec les yeux. Quand on aime, on continue, on ne s'arrête plus" avoue-t-elle. En 10 ans, elle estime avoir ainsi avalé "entre 200 et 300" audio-livres. Grâce aux innombrables heures offertes par les "donneurs de temps" de Colmar, et les "donneurs de voix" de tout l'hexagone.

Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Veuillez choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité
Je veux en savoir plus sur
le sujet
Veuillez choisir une région
en region
Veuillez choisir une région
sélectionner une région ou un sujet pour confirmer
Toute l'information