Deux militants originaires de Mulhouse sont en grève de la faim depuis le 11 octobre pour soutenir les migrants de Calais. Arrivés au mois de février, Anaïs Vogel et Ludovic Holbein réclament notamment l'arrêt des expulsions des campements.
Des campements évacués par les forces de l'ordre et des migrants désoeuvrés, le scénario est quotidien dans les "jungles" de Calais (Pas-de-Calais). Impossible de ne rien faire devant ce spectacle tragique. Puisque les pétitions et autres manifestations en soutien aux exilés ne mènent à rien, deux militants mulhousiens ont entamé une grève de la faim le 11 octobre. L'objectif : alerter sur les conditions d'accueil des migrants et surtout, faire cesser les expulsions.
A 35 et 38 ans, Anaïs Vogel et Ludovic Holbein ne devaient séjourner à Calais que quelques jours, le temps de visiter. Finalement, la visite dure désormais depuis huit mois. Huit mois durant lesquels ils ont rencontré des migrants, aidé des associations humanitaires, et (re)créé du lien avec les Calaisiens. Mais selon eux, la situation ne fait qu'empirer.
Près de 2.000 migrants à Calais
A la fin du mois de septembre, Yasser, un jeune Soudanais, meurt en tombant du toit d'un poids lourd alors qu'il essaie de rejoindre l'Angleterre. Cette mort, "la 304ème, sûrement plus, recensée depuis 1999", marque le début d'une nouvelle lutte pour les deux trentenaires. "C'est une action non violente qui dure dans le temps. Ce n'est pas comme une manifestation qui ne dure qu'une journée. On avait plus de solution pour protester. Les courriers envoyés à la préfecture ne reçoivent pas de réponse, rien n'aboutit", lance Ludovic Holbein depuis la chapelle de l'église Saint-Pierre de Calais.
Presque cinq ans jour pour jour après le grand démantèlement de la jungle de Calais en 2016, le couple, ainsi que Philippe Demeestère, l'aumônier du Secours catholique, lui aussi en grève de la faim, continuent d'alerter sur l'urgence de la situation. Entre 1.500 et 2.000 migrants sont répartis dans quatre campements de fortune. La majorité vient de pays en grande difficulté comme l'Erythrée ou le Soudan.
"Le harcèlement s’intensifie. La logique voudrait que les forces de l’ordre arrivent et invitent les personnes à rassembler toutes leurs affaires. Mais dans les faits, elles n’ont même pas le temps de prendre leurs affaires. Les forces de l’ordre arrivent avec des équipes de nettoyage et demandent à tout le monde de partir. Ils prennent tout, sauf les déchets bien sûr. Les gazages sont quotidiens, certains se retrouvent à l’hôpital avec des blessures. Les cuves d’eau ont été acérées à deux reprises", explique le militant.
"Il faut arrêter de chasser les exilés"
Entre l'hostilité de la municipalité et le harcèlement des gendarmes, les autorités ne cessent de repousser le problème selon lui. Depuis septembre 2020, un arrêté préfectoral interdit les associations de distribuer des repas aux migrants dans le centre-ville de Calais, de quoi révolter les militants sur place. "Même pour les associations, on a des contrôles d'identité permanents. La pression est constante. Les parcours des manifestations en soutien aux migrants sont sans cesse refusés. La préfecture veut qu'on passe dans des rues où il n'y a personne."
En plus de l'ouverture d'un "vrai dialogue" avec les autorités, les grévistes leur demandent une trêve hivernale des expulsions et de laisser les affaires et objets personnels des migrants là où ils se trouvent. "Il faut arrêter de chasser les exilés et de jeter leurs tentes. On leur prend leurs sacs, leurs téléphones et parfois même de l'argent."
Du bénévolat au militantisme
En arrivant à Calais en février, le couple était loin d'imaginer à quoi il aurait à faire. Ancien graphiste webmaster et ancienne chargée de communication à l'université de Haute-Alsace à Mulhouse, Ludovic et Anaïs sont sur les routes depuis cinq ans. Après deux années passées en Amérique du sud, ils ont voulu rejoindre la Chine à vélo mais sont restés bloqués à Istanbul à cause du coronavirus.
Désormais, ils sont investis à 100% dans le quotidien des migrants et organisent des temps d'échanges et des rencontres pour recréer du lien entre les exilés et les Calaisiens. "On a commencé à être bénévoles dans les auberges de migrants. Les associations ont beaucoup besoin d'un coup de main alors on a distribué du bois et de la nourriture sèche. Et puis on s’est rendu compte que l'humanitaire ne nous correspondait pas forcément. On a voulu prendre le temps de construire des choses sur le plus long terme alors on a lancé notre projet."
Après deux semaines de grève de la faim, les trois militants assurent se porter bien et veulent poursuivre leur combat le plus longtemps possible.