Le centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach, ouvert en novembre 2021, fait face à de croissantes livraisons par drone. Un phénomène non anticipé par la direction selon les syndicats qui dénoncent une mauvaise gestion de l'établissement depuis plusieurs mois.
Le personnel pénitentiaire alsacien ne décolère pas. La lettre envoyée le lundi 21 février 2022 à Éric Dupond-Moretti, le ministre de la Justice, pour l'avertir de la situation jugée calamiteuse est restée sans réponse. Dans cette lettre le personnel se disait "mis à mal". Le centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach, inauguré le 10 novembre 2021 et présenté comme exemplaire, concentre les critiques. En cause, des dysfonctionnements récurrents et structurels ainsi qu'une mauvaise gestion dénoncés par les syndicats.
A presqu'un an de l'ouverture de cet établissement, nous avons demandé à Jean-Claude Roussy, secrétaire général de l'Ufap-Unsa Justice au niveau régional, de faire le point sur les motifs d'insatisfaction. Il évoquait déjà en février dernier une situation jugée mauvaise.
La situation a-t-elle évolué ?
"Rien n'est résolu parfaitement. Le côté bâtimentaire a été amélioré mais sans réussite complète. Cet été, il a fait très chaud là où il n’aurait pas fallu qu'il fasse chaud. On a toujours des serrures en panne, des portes qui ferment mal. On a toujours des problèmes divers et variés au titre de la construction, de l'architecture même du bâtiment."
"Une partie des bâtiments, le quartier femmes et le quartier de confiance, est dépourvue de barreaux aux fenêtres, ça a été pensé comme ça. Problème : on a découvert que des détenus les démontaient très facilement. On a expérimenté par nous-même le matériel et il s'avère qu'en une minute trente avec un couteau, on peut les démonter."
"C'est arrivé à plusieurs reprises. Grâce à ces fenêtres qui se démontent très facilement, on a des livraisons opérées au sein de l'établissement par des drones depuis l'extérieur. Les détenus récupèrent leur colis grâce à ces drones puissants et précis, notamment des stupéfiants et des couteaux en céramique indétectables par les portiques métalliques, source de trafics et de potentielles agressions, que ce soit entre détenus ou sur les personnes."
Comment traiter le problème des drones ?
"Il existe plusieurs expérimentations. Tirer sur un drone c'est comme ouvrir le feu sur un aéronef, c'est interdit parce que si vous le loupez c'est courir le risque de voir la balle arriver 3 ou 4 km plus loin selon la portée de l'arme, sans pouvoir déterminer le point de chute. Il y a les brouilleurs d'ondes pour empêcher ce genre de dispositif, qu'on a testés à divers endroits avec plus ou moins de réussite. Il y a aussi des filets, pas en France mais ça existe, lancés par des fusils qui permettent de capturer le drone en question. Sur la région, il me semble que ça a été expérimenté à Villenauxe-la-Grande dans l’Aude, mais pour l'instant, on n'a pas de retour d'expérience."
La direction achète la paix sociale parmi la population pénale sur le dos des collègues.
Jean-Claude Roussy, secrétaire général Ufap-Unsa Justice au niveau de la région
Avez-vous eu un retour de la lettre adressée au ministre de la Justice ?
"Non, le seul retour qu'on ait eu ça a été trois mois plus tard. Nous avons été reçus par le chef d'établissement pénitentiaire qui considérait qu'on était dans une forme de bashing. Le directeur interrégional s’est exprimé là-dessus. Le garde des sceaux, pas de réponse, le directeur de l'administration pénitentiaire nous a reçus fin mai avec mes adjoints et le secrétaire nationale. On a discuté de tout ça et de politique disciplinaire avec lui. Il faut dire qu'après six mois d’ouverture, on était à plus de mille comptes rendus d’incidents (CRI) dont plus de la moitié classés sans suite par la direction. On peut donc dire que la direction achète la paix sociale parmi la population pénale sur le dos des collègues."
Que comptez-vous faire pour résoudre les problèmes ?
"Le jeudi 20 octobre, on a une réunion avec le comité technique interrégional. Avec le nouveau directeur interrégional ça va être l'occasion de revoir les points de dysfonctionnement, tant sur l'aspect immobilier que sur les ressources humaines."
"Par exemple, on est très loin d'avoir le nombre d'agents suffisant pour faire fonctionner pas seulement cet établissement mais tous les autres. Tout est sous-calibré. On nous demande, en plus de nos missions, de reprendre les extractions judiciaires, ce que faisaient la gendarmerie et la police, de faire les extractions médicales armées. Cela à effectif constant, quasiment sans création de poste alors que certains agents sur certaines structures sont entre 600 et 800 heures supplémentaires par an."
"Au centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach, depuis l'ouverture, on recense quatre suicides de détenus et plus de 300 agressions sur personnel, qu'elles soient verbales ou physiques. Ce n'est pas spécifique à cet établissement mais on s'attendait avec ce nouvel outil de travail, paysagé, ouvert, avec un cadre magnifique, que les choses évoluent. Malgré tout ça, ça ne fonctionne pas."
"On va aussi parler du problème des drones. Ils sont capables d'emporter jusqu’à 1 kg de charge. Si les dronistes viennent livrer des choses, ce n'est pas un steak ni un téléphone portable. On est sur des choses beaucoup plus ambitieuses, beaucoup plus profitables, sur un business bien juteux, par exemple la cocaïne, l’héroïne ou le shit en grosse quantité mais aussi des armes artisanales. "
"Malgré tous ces constats de dysfonctionnement récurrents, depuis l'ouverture de l'établissement, la direction s'entête dans une forme de déni. On est chacun de notre côté plutôt que de travailler ensemble à essayer d'améliorer toutes ces dispositions, toutes ces conditions de travail. La direction continue de dire que c'est une belle ouverture. Elle minimise tout et pendant ce temps ce sont les agents, ceux qui vivent dans l'établissement, qui sont là jour et nuit, le week-end et les jours fériés, qui sont mis à mal."