Alsace : connaissez-vous ces cinq traditions oubliées mais surprenantes du Sundgau ?

La vie rurale du Sundgau, dans le sud de l'Alsace, était très riche en traditions locales, aujourd'hui tombées en désuétude. Un livre très richement illustré nous les remémore. En voici cinq d'entre-elles, parmi les plus surprenantes.

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Jusqu'au milieu du 20ème siècle, les villages sundgauviens, principalement agricoles, pratiquaient d'innombrables traditions liées aux travaux des champs, au passage des saisons, et parfois à d'anciennes croyances. Avec l'avènement de la mécanisation et l'évolution des modes de vie, elles ont peu à peu disparu. Pour lutter contre l'oubli, les habitants de Kappelen (Haut-Rhin) ont organisé dès 1975 et jusqu'en 2001 une fête annuelle durant laquelle ils rejouaient ces scènes rurales d'antan. Un livre souvenir retrace cette aventure villageoise et surtout, par-delà, raconte par le détail ce patrimoine local immatériel qui n'existe plus que dans certaines mémoires. Nous vous en avons sélectionné cinq, parmi les plus insolites.  

1) Le rite de la petite poignée de bonheur ("Glickhampfalé")

Dans le Sundgau, la fin des moissons était marquée par un cérémonial autant religieux que populaire : le "Glickhampfalé", ou "petite poignée de bonheur". Dans un dernier carré d'épis, épargné par les faucheurs, le couple d'agriculteurs cachait des friandises et quelques pièces de monnaie. Puis la famille s'agenouillait pour prier cinq Notre Père à haute voix.

Après avoir rendu grâces pour la récolte, la mère, en trois coups de faucille, coupait le reste de blé encore debout, tandis que les enfants ramassaient les sucreries et les trésors qui venaient ainsi d'apparaître. Puis la mère choisissait neuf épis pour les placer derrière le crucifix accroché au mur de la "Stubb" (le salon-salle à manger), en guise de protection pour toute la maisonnée. L'année suivante, les grains de ces épis étaient mélangés à ceux destinés aux nouvelles semailles.

2) Le "jour du baluchon" ("Bindalétag"), où l'on changeait d'employeur

En ces temps d'avant la mécanisation, les paysans les plus aisés embauchaient des ouvriers agricoles pour les seconder.

Mais même si les notions de CDD ou de CDI n'avaient pas encore été inventées, il y avait un jour dans l'année (d'ordinaire fin décembre) où ces contrats implicites entre ouvriers ("Chnachta" – le mot signifie aussi "valets" ou "domestiques") et patrons pouvaient être rompus. C'était le "Bindalétag" (le "jour du baluchon"), durant lequel les employés donnaient leur congé, réunissaient leurs affaires dans un tissu, et se mettaient en quête d'un nouvel employeur. Dans l'espoir de quelques sous de plus ("a pààr Groscha mehr"), d'une meilleure table ou d'un peu plus de chaleur humaine.  

3) La danse de l'ours de Pentecôte ("Pfingschtabar")

Cette tradition d'origine païenne se retrouvait sous d'autres formes dans la région, mais aussi dans le Bade-Wurtemberg et en Suisse. Mais c'est uniquement à Kappelen qu'elle se déroulait de cette manière. La veille du jour de Pentecôte, les jeunes gens qui avaient quitté l'école l'année précédente préparaient un déguisement en branches de hêtres fixées sur des cercles de tonneaux.

Le jour venu, l'un d'eux enfilait ce costume d'"ours", puis le groupe faisait le tour du village. Devant chaque maison, l'ours tenu en laisse dansait au son d'un harmonica et les jeunes chantaient : "Aujourd'hui, l'ours de Pentecôte est là. Les oiseaux survolent la maison, les jeunes filles cherchent les œufs." Les habitants leur donnaient des œufs, que le groupe de jeunes dégustait en fin d'après-midi sous forme d'œufs au plat, jusqu'à l'indigestion. Puis les œufs restants était vendus.   

4) La grande lessive bisannuelle ("d'Büüchi")

Au printemps et à l'automne, on procédait à une grande lessive. Un travail collectif, vu l'ampleur de la tâche, car draps, nappes, serviettes, torchons et sous-vêtements, tout y passait. Dès l'aube, tous les protagonistes se rassemblaient dans une cour de ferme, et on allumait le poêle sous les bassines pleines d'eau. Chaque femme apportait son matériel : planche à laver ("Waschbratt"), brosse à chiendent ("Wurzelbirschta") et savon, et les hommes tendaient les cordes à linge. 

Tandis que les lavandières frottaient le linge sur les planches, lavaient, rinçaient et essoraient, les langues allaient bon train. C'était l'occasion d'échanger les derniers ragots, mais aussi de prédire l'avenir. Ainsi, lorsque deux femmes tordaient ensemble un drap pour l'essorer, il arrivait qu'une bulle d'air se forme dans le tissu, signe annonciateur d'une prochaine grossesse. 

5) Le repas des moissons et les "beignets des faucheurs"

Vers la mi-août, après la moisson, tous les faucheurs étaient remerciés par un festin : généralement du coq avec des nouilles, et en dessert, des "Schnitterchiachlé" ("gâteaux des faucheurs"). En réalité, il s'agissait de beignets à la pâte très fine, préalablement formée et étalée sur le genou de la pâtissière, d'où leur surnom de "Chniplatzer" ("Chni" = genou). On les dégustait également à carnaval sous le nom de "Fàsnàchtschiachlé" (gâteaux de carnaval).

La recette  :

  • battre 3 œufs avec 30g de sucre et 1 pincée de sel pendant 5 minutes
  • verser 1 dl de crème fraîche et mélanger
  • incorporer peu à peu 300grammes de farine, former une boule et laisser reposer une heure
  • diviser la pâte en morceaux d'environ 50g, les façonner en petites boules, puis les abaisser le plus finement possible au rouleau (ou, mieux, sur votre genou recouvert d'un linge) pour obtenir des disques d'environ 1mm d'épaisseur
  • faire dorer ces disques dans de l'huile moyennement chaude (175-180°). Les égoutter sur du papier et les saupoudrer de sucre glace.

De 1975 à 2001 : une fête annuelle pour ne pas oublier

Pour que ces traditions, et bien d'autres, ne tombent pas dans l'oubli, Pierre Specker, alors maire de Kappelen, a lancé dès 1975 dans son village une fête populaire qui a mobilisé des centaines d'acteurs et des milliers de spectateurs, chaque été durant plus d'un quart de siècle.

Chaque année, dix tableaux vivants évoquant des traditions du Sundgau d'antan étaient rejoués par les habitants du village, en costume, tandis que Pierre Specker faisait les commentaires en direct, en puisant dans ses propres souvenirs. "Les 10 tableaux doivent démontrer comment nos ancêtres ont vécu, comment ils passaient le temps et s'entraidaient" expliquait-il en 1981 à France 3 Alsace. En réalité, le spectacle n'était constitué que de neuf scènes inédites, car invariablement, la dixième reconstituait le rite du "Glickhampfalé", qui a donné son nom à la fête.   

A la mort de Pierre Specker, en 1995, la fête villageoise a lentement périclité, pour s'arrêter définitivement en 2001. Mais ce vécu commun, 27 étés durant, ces joyeux préparatifs annuels de juin à août, ce plaisir de remonter ainsi dans le temps, ont laissé beaucoup de nostalgiques. "En enfilant ma jupe et ma chemise de lin, je devenais quelqu'un d'autre" racontait encore récemment l'une des participantes. "Quelqu'un qui avait vécu un siècle auparavant."

Et aujourd'hui un livre 

Pour préserver tous ces souvenirs, et, plus profondément, la mémoire des traditions bien plus anciennes que cette fête faisait revivre, une petite association de Kappelen, les "Linsispàlter" ("fendeurs de lentilles") a donc décidé d'en faire un livre. D'autant plus que les documents visuels et sonores ne manquaient pas. Les membres de l'association ont mis cinq ans pour collecter, numériser et trier les 2.000 photos, 40 heures de vidéos et 700 articles de journaux dont ils disposaient. Et pour raconter par écrit les 10 scènes jouées lors de chacun des 27 spectacles.

Le résultat vient d'être publié : un livre de 350 pages, bilingue (avec de nombreux poèmes en alsacien) illustré de près d'un millier de photos et accompagné d'un DVD de quatre heures de vidéos. Une belle manière de "feschtnaawle" ("clouer solidement" – selon l'expression d'Irène Foehrler, membre des "Linsispàlter") un passé à la fois récent et plus lointain, et de le transmettre. Et un superbe travail de conservation d'un patrimoine populaire local, qui touche à l'universel.

Le livre, au prix de 24,50 euros, est principalement vendu dans les librairies et certains supermarchés du Sud Alsace, à Mulhouse, Altkirch, St-Louis, Sierentz et Blotzheim. Il peut également être commandé à l'adresse suivante : bernardlambert68@gmail.com - 0685748257 (+ 10 euros frais de port).  

 

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