Malika Fistil et Didier Ast sont des survivants du covid19. Infectés mi-mars, conduits en réanimation, transférés à l'autre bout de la France, les deux Haut-Rhinois sont de retour. En rééducation, ils témoignent.
Six semaines que Malika Fistil et Didier Ast n'ont pu revoir leur famille. Six longues semaines de combat contre le covid19. Aujourd'hui, ils sont heureux de se sentir en vie, émus de témoigner de ce qu'ils ont vécu. Deux récits terrifiants mais plein d'espoir aussi. "Ce n'était pas mon heure comme on dit chez moi!", s'exclame tout sourire Malika.
Et la mère de famille de 58 ans de raconter. Un flot ininterrompu de paroles. Comme s'il fallait évacuer très vite ces six semaines sans paroles. Difficile en effet de s'exprimer quand on est intubée et dans le coma. Malika travaille à l'Ehpad de l'Arc de Mulhouse. Ce 13 mars au matin, un collègue lui prend la température à l'entrée, c'est la règle. "J'avais 39, il me dit que je suis blanche, me fait asseoir et me prend la saturation, j'étais à 80 de sat', je n'avais jamais fait ça, alors je suis rentrée che moi sans vraiment voir la route". Sur place, la fille de Malika appelle le 15, le samu est là dans les cinq minutes. Arrivée aux urgences, la quinquagénaire est renvoyée chez elle, ce n'est pas le covid.
"Je croyais que j'étais dans un rêve"
"Le lendemain, j'ai cru que j'allais mourir à la maison, et le dimanche j'ai carrément fait un malaise. Ma fille a rappelé le samu et cette fois ils m'ont gardée. Ils m'ont dit que j'étais dans un état critique par rapport à la repiration, que malgré l'oxygène apporté, je désaturais et que donc je devais aller en réanimation." A partir de là, c'est flou dans la mémoire de Malika. Le 20 mars, la Mulhousienne est transférée par avion à l'hôpital de Brest. Elle ne se réveille que le 28 sans comprendre ce qu'elle fait dans un établissement qu'elle ne reconnaît pas. "J'ai un vide dans la tête, j'étais dans le coma, j'entendais des petits trucs mais je croyais que j'étais dans un reve. J'étais attachée pour ne pas ôter les tuyaux d'intubation, oh oui j'ai souffert", raconte la quinquagénaire dans un souffle.Intarissable aussi sur la solidarité. "J'ai été très touchée par l'Humain que j'ai côtoyée là-bas. Tenez, l'aumônier musulman par exemple, est allé m'acheter des habits parce que j'ai débarqué sans rien à Brest, pas d'habits, pas de portable, rien ! Il y a même une aide-soignante qui m'a donnée ses baskets, elles les a désinfectées et me les a données! Ça m'a beaucoup émue, et je lui ai dit, ne vous inquiétez pas, je ne vais pas vous oublier, je vous enverrai une carte postale d'Alsace avec une cigogne!", raconte-t-elle, émue, ravie de se souvenir de cette parenthèse enchantée dans son calvaire. "Et puis j'ai eu beaucoup de soutien de la part de mes collègues, de ma direction, qui prenaient de mes nouvelles régulièrement". Parce que la solitude quand on est malade du covid est terrible. Pas de visite bien sûr, même pas de téléphone, incapable que l'on est de prononcer le moindre petit mot.
Profiter de la vie
Finalement, Malika rentre en avion à l'hôpital de Mulhouse le 14 avril. C'est là qu'elle a entamé sa rééducation. Parce qu'il a fallu tout réapprendre. A manger, à marcher, à parler. La mère de famille a aussi pu récupérer un téléphone et, enfin, parler avec ses enfants. "Ils pleurent c'est normal, le petit, il a 20 ans, il m'a dit, maman, sans toi la maison, c'est pas possible, c'est vide, c'est là qu'ils se sont rendus compte de ce que c'est une maman", sourit-elle avec malice. Maintenant, la Mulhousienne veut simplement profiter, elle a eu de la chance. Sa soeur est tombée malade de même que le mari de celle-ci. Et si sa soeur a pu s'en sortir, son beau-frère, lui n'a pas survécu, il avait 56 ans. "Je veux profiter de la vie, de mes enfants, vous voyez, si on n'a plus la santé, ça ne sert à rien d'avoir tout l'or du monde". Frôler la mort pour se souvenir de l'essentiel.C'est exactement le ressenti de Didier Ast. Ce Haut-Rhinois de 53 ans habite la vallée de Thann. A la mi-mars, il se rend chez le médecin après une forte fièvre. Celui-ci appelle le 15. "J'ai été amené à l'hôpital de Mulhouse, ensuite je sais qu'on m'a parlé mais après je ne me souviens de rien. Je sais simplement, parce qu'on me l'a raconté, que je suis passé par l'hôpital militaire, le deuxième patient admis là-bas". Le coma donc, pour Didier comme pour Malika. L'Alsacien est ensuite transféré à Toulouse le 1er avril dans une petite unité d'une dizaine de patients dédiée au covid.
La solitude et l'isolement
"Je sais que j'ai eu des complications, j'ai aussi enlevé une fois le tube qui devait me gêner, mais encore une fois, ce sont des choses que l'on m'a racontées. Quand je me suis réveillé, les soignants me parlaient en coupant soigneusement leurs mots pour que je comprenne bien et ils avaient un accent charmant, c'est comme si j'étais en vacances, tellement reposant. Cet accent m'a vraiment aidé, insiste Didier, un lien très fort s'est tissé avec les soignants, on a même fait une photo tous ensemble avant que je ne parte". Le quinquagénaire est visiblement ému.Et pour lui, comme pour Malika, la solitude, l'isolement sont difficiles à vivre. "Je n'ai pas revu ma femme, seulement en visio, heureusement qu'il y a les tablettes. D'être seul comme ça, loin, de ne pas savoir s'ils savent, et puis quand vous partez, vous ne savez pas si vous reviendrez". Didier est un miraculé en effet. Qui n'en a pas terminé avec les soins. "Vous revivez quand vous pouvez enfin vous laver pour la première fois tout seul, avant, vous vous sentez diminué, vous vous sentez comme si vous n'étiez rien. Alors, dès que vous pouvez à nouveau faire les choses de la vie courant, ça vous fait un bien fou, vous revivez, oui c'est ça, c'est comme une renaissance".
Aujourd'hui, Didier peut à nouveau faire quelques pas. Il ira en maison de repos la semaine prochaine pour finir de se retaper avant de pouvoir, enfin, rentrer chez lui. Après quasi deux mois de calvaire. "J'ai des amis, plus âgés que moi, qui ne sont pas revenus, c'est une maladie qui fait peur. On travaille, on travaille, on travaille et des fois on s'oublie un peu, raconte encore Didier. Le covid comme un rappel à l'ordre donc. "Oui, je suis en vie, je veux profiter maintenant". Les mêmes maux que Malika.