Le domaine de l'artiste suisse Rémy Zaugg, estimé à 750 000 euros, au centre d'une polémique

L'artiste suisse Rémy Zaugg est mort en 2005, sa maison est en vente, un acquéreur privé a été trouvé mais la mairie de Pfastatt (Haut-Rhin) pourrait préempter le domaine. Elle a jusqu'au 8 mai pour le faire. Une éventualité qui fait des remous dans la commune.

Que va devenir la propriété de l'artiste suisse Rémy Zaugg, connu pour ses peintures, ses sculptures et ses projets architecturaux ? Mise en vente, elle aurait trouvé un acquéreur privé : il a signé un compromis de vente pour un total de 707 000 euros (750 000 euros avec les frais de notaire). L'histoire aurait pu se terminer là.

Mais au moment de la signature du compromis de vente, début mars, la ville de Pfastatt, où est située la propriété a été informée et elle dispose de deux mois pour préempter le bien, comme prévu par la loi. Ce droit arrive à échéance le 8 mai, et c'est maintenant que tout s'accélère : la ville aurait décidé de faire jouer son droit de préemption et de créer un musée selon les proches de l'acquéreur.

Le maire de Pfastatt, Francis Hillmeyer a répondu sur ce point à France 3 Alsace. "Le droit de préemption est à l’étude, mais c’est le conseil municipal qui décidera, après une visite et l’avis des domaines. Rien n’est écrit, pas plus que la création d’un musée. Il n’empêche que l’atelier de Rémy Zaugg a effectivement été construit par les architectes Herzog et De Meuron. Lauréats du prix Pritzker 2001, Jacques Herzog et Pierre de Meuron font partie des architectes les plus célèbres."

Le droit de préemption est à l’étude, mais c’est le conseil municipal qui décidera, après une visite et l’avis des domaines. Rien n’est écrit, pas plus que la création d’un musée.

Francis Hillmeyer, maire de Pfastatt

"Par ailleurs, le jardin fait aussi partie de l’œuvre de Rémy Zaugg, visité par des Japonais et des Américains qui souhaitaient le reproduire dans leur pays, avant le décès de Rémy Zaugg [en 2005, nldr]. Il est à noter que ce quartier est déjà suffisamment dense pour avoir à l’esprit de conserver un espace naturel de qualité, qui de plus accueille des bâtiments qui font partie du patrimoine historique de la commune."

L'intérêt patrimonial pour l'atelier de l'artiste et la grande propriété arborée ont retenu l'intérêt de la commune. Un rapide coup d'œil sur les photos extérieures et intérieures de cet atelier suffit à comprendre pourquoi.

Il s'agit d'une propriété de près de 7 000 m2, avec trois bâtiments : l'atelier mais aussi une maison de maître et une dépendance. Aucun n'est classé. "Mais une demande de label "Maison des illustres" est en cours pour l’atelier et le jardin dessiné par Zaugg", selon le maire.

C'est actuellement l'Etat qui gère la vente du bien, puisque la fille de Rémy Zaugg a été mise en examen pour le meurtre de sa mère Michèle Röthlisberger-Zaugg le 20 janvier 2014, le corps de la veuve avait été retrouvé dans un cabanon attenant à la dépendance quelques jours plus tard.

Qui est l'acquéreur qui a signé le compromis de vente ?

Selon l'un de ses proches, l'acquéreur qui a signé le compromis de vente serait un médecin des environs. Il souhaiterait habiter la maison de maître et il n'aurait pas encore décidé de ce qu'il compte faire du reste de la propriété. "Peut-être vendre le reste pour financer les travaux de rénovations nécessaires ? Les bâtiments sont dans un mauvais état, il faut tout refaire."

L'acquéreur, qui souhaite pour l'instant rester discret regrette que la mairie ait mis autant de temps à se manifester. La propriété était inhabitée depuis 2014. Lors de la vente, qui s'est terminée en mars 2024, "plusieurs personnes ont fait des propositions, dont un groupe d'amis suisses de Rémy Zaugg. Finalement, c'est l'offre du médecin qui a été retenue parce qu'elle était mieux-disante." Les amis de Rémy Zaugg seraient les architectes Herzog et De Meuron de Bâle et le directeur de la galerie Mai 36 de Zurich.

L'ami de l'acquéreur continue : "ce que nous dénonçons, c'est la pression de ces amis de Rémy Zaugg sur la mairie pour préempter le bien et ensuite faire les travaux à leurs frais et gérer le site. Ce n'est pas possible de procéder ainsi. Si la mairie préempte, il faut qu'elle ait d'abord un projet viable et qu'elle montre son intérêt ancien pour le site et son devenir. Et là ce n'est clairement pas le cas."

"Ce qui nous dérange, c'est que la mairie s'active au tout dernier moment, qu'elle ne respecte pas les lois et agit sous la pression d'intérêts privés."

L'acquéreur envisage de faire un recours en annulation du droit de préemption.

Pourquoi le maire veut-il user de son droit à la préemption ?

De son côté le maire se dit surpris "de l'activisme des proches de l'acquéreur probable de la propriété": "L’acquéreur du terrain, que j’ai rencontré, à ma demande, a déclaré qu’il n’avait aucun projet sur ce terrain. Difficile à croire lorsque l’on investit 707 000 €, et encore moins quand on voit l’agitation sur les réseaux. Rien ne garantit, dans leur projet, le maintien de l’atelier en termes d’architecture remarquable. Nous attendions des propositions concrètes."

Le maire s'inquiète du devenir du lieu. "L'acquéreur n'a pas dit ce qu'il va faire sur ce terrain, donc nous ne pouvons pas exclure une destruction ou des constructions sur les espaces verts. On ne peut pas se permettre de ne pas réfléchir à cet espace remarquable, et aussi au devenir du terrain. Si 600 habitants viennent habiter ici, après d'éventuelles constructions, ça pose un problème dans ce quartier déjà densément peuplé. Et on se priverait d'un bel espace vert qu'on pourrait ouvrir au public."

Le maire n'annonce pas formellement qu'il va faire usage de son droit de préemption. Il veut d'abord pouvoir visiter la propriété, ce qui pourrait décaler d'un mois la date limite de préemption. "Mon devoir c'est de protéger le patrimoine. La polémique n'a pas lieu d'être, le processus est en cours, comme prévu par la loi. Et je ne prendrai pas la décision tout seul, ce sera discuté et décidé en conseil municipal. Il sera souverain."

"Ce serait une mauvaise décision", dit de son côté Nicolas Zimmermann, élu d'opposition à la mairie de la liste "Pfastatt décidons ensemble". 

L'élu d'opposition n'a pas connaissance de beaucoup d'éléments. "Il y a eu une réunion des commissions le 8 avril dernier, se souvient-il. "Je n'y ai pas assisté mais mes collègues m'ont dit qu'a été simplement évoquée la possibilité de faire cette préemption. Pas plus. Aucun projet ne nous a été soumis. La somme ne peut être qu'un emprunt, elle ne figure pas au budget de cette année, peut-être sera-t-elle ajoutée ?"

Je ne vois pas l'intérêt de faire valoir ce droit de préemption, la ville de Pfastatt est endettée : nous avons 6,7 millions de dettes, et un projet de création de centre socioculturel.

Nicolas Zimmermann, élu d'opposition

Ce qui inquiète cet élu, ce sont les sommes avancées : 750 000 euros pour l'achat de la propriété, de fortes sommes pour faire les travaux et accueillir le public. "Je ne vois pas l'intérêt de faire valoir ce droit de préemption, la ville de Pfastatt est endettée : nous avons 6,7 millions de dettes, et un projet de création de centre socioculturel. Le déménagement et la création d'un bâtiment vont coûter 5,7 millions. Un emprunt de 2 millions est prévu sur le budget en 2025, le reste en 2026." Une dépense supplémentaire semble impensable à l'élu, d'un point de vue financier.

Il ne comprend pas plus les pressions exercées par les investisseurs privés sur le maire. "On ne mène pas une politique sous la pression d'intérêts privés. Et le conseil municipal n'a toujours pas été informé de cet éventuel achat. Et d'ailleurs le prochain conseil municipal prévu le 6 mai a été annulé cette semaine, alors qu'il aurait permis d'aborder ce sujet."

Le maire veut d'abord attendre l'avis des domaines, un service au niveau des impôts qui permet d'estimer le bien, "une obligation légale au cas où le bien aurait été sur ou sous-évalué. Cette information sera rendue d'ici trois semaines, il est impossible de prendre une décision avant cela." Et il a également contacté "les services concernés en matière d'art".

Il assure que, si la mairie use de son droit de préemption, ce sera avec l'aval du conseil municipal, avec un projet précis et un plan de financement. "Et comme pour toute préemption, tout cela prend du temps, surtout avec un tel domaine. La mairie a un droit de préemption, c'est étrange qu'un acquéreur cherche à faire pression avant. Il pourra, bien sûr, contester la décision, s'il se trouve lésé. La justice garantit son droit au futur acheteur".

La bataille autour du domaine de Rémy Zaugg a commencé. Affaire à suivre.

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