Mulhouse : un retraité sans retraite ni allocation pour cause de dysfonctionnement administratif

Marcel Burgy, 65 ans, se retrouve presque sans ressources depuis deux ans, alors qu'il a droit à une retraite. Et, en parallèle, il est ponctionné pour un soi-disant trop-perçu de RSA qu'il n'a jamais touché. Victime de dysfonctionnements administratifs, il tente de survivre.

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"Ma vie est détruite." Marcel Burgy, un jeune retraité de 65 ans qui habite à Mulhouse, n'en peut plus. Physiquement et psychiquement, le cauchemar qu'il subit  depuis deux ans le mine. La Caisse d'assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) de Nord Picardie - dont il dépend - ne lui verse pas les 1040 euros mensuels auxquels il a droit. Et dans le même temps, la Caisse d'allocations familiales (CAF) du Haut-Rhin lui retire 49 euros par mois pour le remboursement d'un RSA (revenu de solidarité active) qu'elle prétend lui avoir versé indûment, alors qu'il n'en a pas vu la couleur.

Marcel Burgy et sa fille adolescente doivent se débrouiller avec presque rien, et vont être expulsés de leur appartement. Une histoire tellement incroyable, tellement contraire à toute logique, que beaucoup de personnes prennent Marcel pour un menteur – ce qui est pour lui une humiliation supplémentaire. Heureusement, des amis et des associations le soutiennent, et lui permettent de ne pas sombrer, en attendant de réussir à faire respecter ses droits.     

La retraite n'est pas versée

Depuis deux ans, toute l'énergie de Marcel Burgy passe dans la lutte pour sa survie quotidienne. Pourtant, rien ne le prédisposait à devoir affronter une telle situation. Pasteur d'une église évangélique, il a travaillé en Afrique avant de rentrer en France pour raison de santé. Reconnu handicapé à 80% suite à des problèmes cardiaques, il a pu toucher l'allocation adulte handicapé (AAH). "A 62 ans, je recevais 830 euros plus 100 euros car je suis encore autonome" précise-t-il.

Pour bien préparer sa retraite, il avait contacté la CARSAT de Nord Picardie, où il résidait alors. Tout semblait en règle – il avait cotisé dans une caisse privée – et il avait l'assurance de toucher 1040 euros de retraite mensuelle.

En 2018, Marcel Burgy est revenu en Alsace, sa région d'origine, avec sa fille lycéenne. "Pendant deux mois, j'ai reçu les 1040 euros promis" raconte-t-il. "Puis, seulement 750 euros le troisième mois." Depuis, seuls 225 euros mensuels sont virés sur son compte. Sans explications, malgré d'innombrables démarches et appels téléphoniques. "Ça fait plus de deux ans" que rien ne bouge… sauf pour aller de mal en pis. Contacté, le service communication de la CARSAT s'est engagé à se pencher sur le cas du retraité et essayer de trouver une solution.

Le remboursement d'un RSA qu'il n'a jamais touché

Sur le conseil d'un service social, Marcel Burgy s'est tourné vers la CAF, dans l'espoir de pouvoir toucher au moins le RSA. Celui-ci lui a été versé durant un mois. Puis suspendu, car non compatible avec la retraite qu'il est censé recevoir. En effet, de leur côté, les impôts attestent qu'il perçoit tous les mois ses 1040 euros de retraite, comme si la situation suivait son cours normal. Ce qui est loin d'être le cas.  

Cette affaire de fous s'embrouille encore lorsque la CAF se met à lui ponctionner 49 euros sur les 115 euros de pension alimentaire qu'il reçoit pour sa fille, au prétexte qu'elle lui aurait versé indûment le RSA durant un an (plus de 5.000 euros à rembourser, alors que cette somme, il n'en a jamais vu la couleur.)
 

C'est une situation totalement ubuesque.

Roger Winterhalter, maire honoraire de Lutterbach et soutien de Marcel Burgy


"Je me demande si la CAF n'a pas confondu deux bénéficiaires" estime Roger Winterhalter, maire honoraire de Lutterbach, représentant de la Maison de la citoyenneté mondiale de Mulhouse et l'un des soutiens sans faille de Marcel Burgy. Pour lui, cette situation prise dans sa globalité, et sur laquelle tous les services sociaux – dont celui de la ville de Mulhouse – se sont cassé les dents, est "totalement ubuesque".

Un cauchemar depuis deux ans

Marcel Burgy, lui, paie un très lourd tribut à ces erreurs administratives en série. Après avoir éclusé toutes ses économies, il n'a plus réussi à payer ses factures, ni son loyer. Il est en phase d'expulsion de son logement, pour se retrouver avec sa fille adolescente dans un hébergement provisoire mis à disposition par l'Armée du salut. "Quand j'ai pris mon logement en arrivant à Mulhouse, le propriétaire de l'appartement me faisait confiance" se souvient-il. "J'étais pasteur, un homme de Dieu, j'ai pu signer le bail." Puis, par la suite, "devant le juge, il m'a fait passer pour le roi des menteurs… Je le comprends, mais je n'y suis pour rien."
 

Le pire, c'est que tout le monde le prend pour un menteur.

Laurent Schneider, diacre et soutien de Marcel Burgy

La victime passe pour un affabulateur. Pour Marcel Burgy, être ainsi perçu comme quelqu'un de malhonnête, même par sa propre famille, est une souffrance supplémentaire : "La médisance et tout le reste, c'est aussi un préjudice." - "Le pire, c'est que tout le monde le prend pour un menteur" confirme Laurent Schneider, diacre de la paroisse catholique voisine, et également un proche soutien. "Car en toute logique, en France, quelqu'un qui n'a rien touche au minimum le RSA. Même l'assistante sociale qui le suit actuellement était dans cet état d'esprit au début." 

Une assistante sociale, actuellement en congés et que nous n'avons pas réussi à la joindre. Mais qui, depuis des mois, Marcel Burgy comme ses soutiens le confirment, se démène pour tenter de débloquer la situation… En vain, malgré ses nombreux courriers recommandés et coups de fil à l'organisme de retraite. "Il est impossible d'avoir un autre interlocuteur que les personnes qui travaillent sur une plateforme téléphonique d'accueil, mais qui n'ont pas accès à mon dossier" précise Marcel Burgy. "A chaque fois, on lui assure que les choses devraient se régler rapidement, mais rien ne bouge."
 

Un  ami aide le retraité sans retraite à acheter les livres scolaires pour sa fille, et des associations leur procurent une aide alimentaire. Mais il avoue avoir déjà dû faire la manche "pour avoir de quoi acheter à manger à ma fille", par crainte qu'on lui en retire la garde. Seul baume au cœur, dans la rue, il a vécu de belles solidarités avec des SDF qui lui ont offert à manger, avec "des jeunes du quartier" ainsi qu'une dame "qui n'avait rien elle-même", mais lui a fait "un grand pain arabe" dont il s'est nourri durant plusieurs jours. Des aides bienvenues, mais qui restent difficiles à accepter : "Vous faites de moi un clochard", regrette-t-il.

Au quotidien, l'énergie déployée pour garder la tête hors de l'eau prend le pas sur tout le reste. Marcel Burgy le reconnaît : "J'ai tellement de problèmes dans ma tête que je ne m'occupe plus de moi." Pourtant, avec ses gros soucis de santé, il aurait besoin de soins réguliers.

Vivre normalement, une demande légitime

Un service social lui a même conseillé de monter un dossier de surendettement. Ce qu'il ressent comme une nouvelle punition, et une stigmatisation supplémentaire, contraire à son éthique. Car s'il était reconnu surendetté, "(ses) loyers de retard, le propriétaire pourrait s'asseoir dessus." Or le vœu le plus cher de Marcel, c'est simplement de pouvoir un jour payer ses dettes le plus honnêtement possible. Après avoir, bien entendu, enfin touché son dû.

Sa demande est claire : "Qu'on me paie mes droits et qu'on me paie mes arriérés." Ce qui lui permettrait de pouvoir "reprendre un logement, reprendre une vie", et "redonner une vie à (son) enfant." Des aspirations on ne peut plus légitimes.
 

Vous faites de moi un clochard.

Marcel Burgy

"Marcel est un cas extrême, mais il y a d'autres situations où on fait des gens des mendiants de l'assistance publique", estime Laurent Schneider. Comment expliquer de tels dysfonctionnements de l'administration ? Une case mal remplie et jamais corrigée ? un document laissé en suspens… durant deux ans ? une usurpation d'identité ? un "détournement de fonds" ? En tout cas, le diacre en est certain : "Il se passe des choses dans cette caisse de retraite."
 
Roger Winterhalter, de son côté, dénonce un système absurde et de plus en plus déshumanisé, où "les services administratifs (CARSAT comme CAF) n'ont plus assez de personnel." Les bénéficiaires n'arrivent plus à rencontrer de véritables interlocuteurs, et les erreurs qui ne sont pas rectifiées font boule de neige. En broyant des vies.
 
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