2 canons construits en 1554 ont fait leur retour à Mulhouse, mardi 28 janvier 2020. Les pompiers les avaient enterrés pour les sauver de l’ennemi allemand en 1871. Ils ont réapparu en 2012 dans une vente aux enchères. La Ville a usé de l’arme judiciaire pour les récupérer.
Mulhouse vient de se réapproprier un pan de son patrimoine historique : les deux canons frappés de la roue qui orne le blason de la cité du Bollwerk retrouvés, en 2012, dans une vente aux enchères. Ils sont revenus ce mardi 28 janvier, transportés par camion.
Ces armes ont été coulées en 1554, quand la ville était une République (1347 – 1798) alliée à la Confédération suisse. Elles avaient été cachées pour les conserver lors du conflit entre la France et l’Allemagne, en 1870-1871,. Les deux vestiges pourraient être exposés au musée historique de Mulhouse.
Les deux canons, symboles de l'indépendance de la République de Mulhouse
Joël Delaine est le conservateur des musées municipaux depuis 2003, il mesure l’importance de la réappropriation des canons dans le patrimoine de sa ville : «Ils témoignent de l’histoire singulière de Mulhouse. Comme les costumes militaires ou les remparts, les armes, les canons surtout, symbolisent l’indépendance de la petite République qui devait se défendre elle-même avec sa milice bourgeoise, ses citoyens en arme.»Les deux pièces d’artillerie, d’1 mètre 20 de long et de 150 kilos chacune ont probablement été coulées sur place en 1554. Huit pièces ont été produites, mais six d'entre-elles ont été refondues par l’armée napoléonienne en 1811, pour fabriquer sans doute des armes plus modernes.
Le conservateur explique : «ces canons tiraient des boulets en métal ou en pierre qui ne déclenchaient pas d’explosion. Y figure l’aigle impérial qui montre l’appartenance de Mulhouse au Saint-Empire germanique et deux roues, les armoiries de Mulhouse. Elles datent du Moyen Age quand il y avait des moulins sur les bords de l’Ill, la rivière qui traverse la ville. Mühle signifie moulin en allemand."
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Des canons de cérémonie
Le responsable des musées poursuit : "Les canons servaient plus pour des tirs de prestige que sur un champ de bataille. Mais ils ont servi, c’est sûr. Au XIXe siècle, les pompiers les utilisaient lors des cérémonies officielles, comme le décrit Ernest Meininger, historien de Mulhouse.»Chaque année, la veille du 15 août, qui était le jour de la fête de l’empereur tout le corps se rendait musique en tête et en grande tenue, sur les bords de l’ancien bassin où avait lieu une revue d’honneur, pendant laquelle la section d’artillerie tirait une salve de 21 coups de canon en l’honneur du chef de l’Etat.
« L’histoire de Mulhouse » d’Ernest Meininger, poète, journaliste et historien mulhousien (1852 – 1925).
Des canons enterrés, puis disparus et enfin retrouvés
En 1870, Napoléon III perd sa guerre contre les Prussiens. Mulhouse est occupée par l’armée d’outre-Rhin qui somme les soldats français de rendre leurs armes. Le commandant de la caserne des pompiers du Werkhof, rue des Maréchaux, fait enterrer les deux canons pour qu’ils ne soient pas fondus par l’ennemi. Joël Delaine rajoute : «Peu de personnes savaient où ils avaient été enfouis, alors on a un peu oublié. Puis en 1900, on les a recherché et pas retrouvé jusqu’à… 2012 où ils sont réapparus miraculeusement dans une vente aux enchères. Retrouver des pièces du patrimoine mulhousien ainsi, c’est très rare.»Un médecin, amateur d’histoire militaire, le docteur Eschbach, a reconnu les canons dans le catalogue d'une vente prévue le 17 octobre 2012 à Munich et organisée par la société bavaroise Hermann Historica. Les deux objets y sont présentés comme des pièces majeures. L’homme a prévenu le Conseil consultatif du patrimoine mulhousien (CCPM) qui aussitôt a déposé un référé auprès de la justice allemande.
La vente a été annulée par ordonnance. Il y a ensuite eu un appel, ce qui explique la longueur de la procédure. Finalement, un accord a été trouvé avec Hermann Historica, ce qui permet à la Ville de récupérer aujourd’hui des objets évocateurs de son patrimoine.
Une plainte contre X pour vol et recel
La municipalité avait déposé aussi en 2012 une plainte contre X pour vol et recel auprès du procureur de Mulhouse contre le collectionneur colmarien qui avait mis aux enchères ces vestiges dans la vente de Munich avec une mise à prix de 75 000 euros.Il faudra attendre l'issue du procès contre le collectionneur, pour qu'une décision soit prise sur l'avenir des deux canons. Pour l'instant, une réflexion est menée : ils pourraient, d’après le conservateur des musées municipaux, rejoindre les quelques 70 000 objets de la collection du musée historique pour y être exposés et raconter leur part de l'histoire de la cité du Bollwerk. Les précieux canons sont désormais sous la protection de la ville de Mulhouse et gardés en un lieu tenu secret.