PORTRAIT. Adepte du sadomasochisme, elle publie un livre témoignage, "des gens qui aiment avoir mal ou faire mal, il y en a toujours eu, il suffit de s'accorder"

Muriel Ojeda est mère de deux enfants, secrétaire de direction, coiffeuse à ses heures perdues. Elle est aussi ce qu'on appelle une domina. Une maitresse femme adepte du BDSM (Bondage, Domination, Soumission, Sado-Masochisme). Elle raconte comment cette pratique l'a sauvée d'un ennui mortel. Sans fard et sans pincette.

Pour dresser ce portrait, il m'a fallu, moi, prendre mille pincettes. Probablement pas celles de Muriel mais quand même. Être fidèle à cette femme épanouie dans ses pratiques violentes et sadiques, à ce rire grave venu des catacombes, à sa gouaille canaille, tout en ne heurtant pas le lectorat censément pudique... un vrai challenge. Mais comme m'a dit justement cette dernière, "le challenge c'est la vie". C'est parti mon kiki.

L'ennui 

Et d'ailleurs, je ne suis pas la seule à rencontrer la difficulté sus-citée. Muriel Ojeda m'explique qu'elle-même a bien du mal à promouvoir son livre autobiographique Chroniques d'une femme ordinaire, ou comment le sadomasochisme a sauvé mon âme tout en restant décente ou tout du moins acceptable. "On vit dans une société bien-pensante qui nie même ses propres fondements. La violence. Le BDSM n'est rien d'autre que cela : une violence contrôlée, consentie et salvatrice."

Salvatrice pour Muriel en premier lieu qui s'empresse, comme si elle devait se justifier de quoi que ce soit, de me préciser qu'elle "a grandi dans une famille stable et bienveillante", qu'elle "a quand même reçu une éducation." Je pars dans un rire fou. Elle aussi. Nous voilà liées. "Non mais je veux dire que je sais me tenir un minimum quoi."

J'avais une vie super chiante en fait. J'étais traversée de sentiments contradictoires. Entre la soumission et la joie de la famille.

Muriel Ojeda, auteure

Et Muriel s'est tenue tranquille, trop tranquille, pendant vingt ans. Mariée à 21 ans, maman à 25 puis 28, la vie ronronne comme dans une mauvaise sitcom. "J'étais comme on l'attend d'une femme aujourd'hui, enfin non pire encore, j'étais une caricature presque tu vois ?" Mère au foyer, Muriel se consacre à la carrière de son mari, à ses enfants "la plus grande réussite de sa vie" et ... s'ennuie. Beaucoup.

"J'avais une vie super chiante en fait. Je ne suis pas la seule dans ce cas-là, c'est sûr mais faut le dire. J'étais traversée de sentiments contradictoires. Entre la soumission et la joie de la famille. L'épanouissement et la frustration." Les années passent, trépassent, mortifères. "Tu l'as choisie cette vie, tu l'as voulue alors tu te l'avales. J'ai fait le taff."

Le déclic

Muriel en a assez d'avaler ces journées mornes, ses fades soirées mais il lui faudra attendre un choc pour renverser la nappe à carreaux. 

En 2007, pendant sa seconde grossesse, on lui détecte un cancer de l'utérus. Il évolue "rapidement et salement". En 2012, "c'est l'ablation de l'appareil génital, pas le choix". Tandis que là en bas il ne reste plus rien, en haut c'est aussi le néant, le vide, "le trou".

C'est comme si j'avais perdu tout ce qui faisait de moi une femme, ce qui me représentait en tant qu'individu : les règles, la maternité.

Muriel Ojeda

"C'est comme si j'avais perdu tout ce qui faisait de moi une femme, ce qui me représentait en tant qu'individu : les règles, la maternité." Muriel fait une dépression brutale, violente, non consentie. "On m'a mise sous traitement, j'ai complètement perdu pied, j'étais un zombie, je ne savais plus où étaient ni le sol ni le plafond. Ça m'a fait réfléchir sur le sens de mes priorités, le sens de ma vie." Un ébranlement psychique qui va bientôt atteindre les fondations de son propre foyer.

"J'ai arrêté ce traitement de misère et en me détendant le coquillard, grâce à la musique entre autres choses, j'ai retrouvé un certain bien-être tout en ayant ce sentiment, toujours, d'inassouvi". Muriel se met alors en quête : combler ce vide qui l'habite.

BDSM CQFD

"Je creuse, je creuse et je finis par trouver". Muriel tombera sur Franck via un réseau social. Ce sera son guide spirituel, d'un genre particulier. "Il m'a mise sur la voie du sadomasochisme. Pas du tout d'ordre sexuel mais disons historique : celui traditionnel, ancestral, de la flagellation, tu vois. De la douleur. Ça a réveillé des choses profondément ancrées en moi depuis toujours."

"Franck me pousse à me regarder dans le miroir telle que je suis, sans filtre et sans tabou. À accepter ma dualité, ouverte et farouche, chaude comme la braise et froide comme la glace. Après une période de honte, j'ai fini par accepter."

J'aime le sang oui

Muriel Ojeda

La glace se fissure. Muriel se souvient. Des émois adolescents en Suisse, lors des soirées clandestines. "Un show sadomasochiste où un mec dominant "s'occupait" d'une femme. J'étais fascinée, j'avais 18 ans. Je me suis dit alors je suis exactement là où je dois être." Désormais, Muriel suivra la voie du sang. "J'aime ça oui." 

Bain de sang

Pas évident de passer à l'acte quand on est néophyte et mariée. Après avoir discuté avec son mari "compréhensif" de son attirance désormais assumée "pour le glauque, le morbide, le lourd, le dégueu", Muriel sort les griffes... et les bottes. 

"Je suis allée traîner sur des sites dédiés, un peu trash. À la recherche de gens comme moi qui ont décidé de ne plus nier leur part d'ombre, leur noirceur." En avril 2021, là voilà chez son premier partenaire pour une séance casse-gueule. Au sens propre."J'avais un peu peur, j'ai respiré un grand coup."

"C'était un homme plus âgé, plus expérimenté, un pilote toujours dans le contrôle mais qui aimait avoir mal. Je suis arrivée dans sa grande maison, décorée avec soin. Il n’était pas caréné comme une Ferrari mais il a flatté mon esprit. Tous les ingrédients étaient réunis pour une bonne soupe." Cette soirée sera fondatrice pour Muriel qui, plus jamais, ne retrouvera ses premières sensations, électrisantes. "Il aimait qu'on lui fasse mal sur la bouche. J'ai sorti ma veste kaki, mes bottes militaires pas mes talons, fallait pas non plus lui ruiner la gueule. Ça a été un bain de sang, la salle de bains toute carrelée de blanc a fini rouge. On était bien." 

Le consentement est au cœur des relations BDSM, au cœur de toutes les relations d'ailleurs.

Muriel Ojeda

Le bonheur réside ici dans la violence. La violence consentie. "On a parlé de nos perversions, on a choisi ensemble lesquelles exploiter, quelles limites poser. Le consentement est au cœur des relations BDSM, au cœur de toutes les relations d'ailleurs. Si tu réfléchis bien, le BDSM est transposable à toutes les situations : regarde au boulot, on obéit à un patron parce qu'on est payé. C'est parfois violent oui. Donc au lit comme au boulot : soyons bienveillants, fixons les règles, relevons la tête." 

Il n'y aura pas de relations sexuelles lors de cette séance fondatrice. "J'étais mariée, c'était le deal avec mon compagnon, je trouvais ça beau ce deal parce que non conforme. C'est ça l'amour véritable". Il y en aura ensuite. Parfois. 

Violence consentie et maîtrisée

Muriel sait dorénavant que faire mal, voir le sang, lui procure une jouissance certaine. Et cette première expérience, sadique, sera libératrice. "Je sors de là comme sur un nuage, refaite comme un petit ange."

Les voies du seigneur sont impénétrables. Muriel fera du BDSM sa religion. "Cette pratique a été une révélation. J'ai enfin trouvé mon équilibre. Je suis une personne dévouée aux autres mais parfois j'ai besoin de prendre le contrôle, de pratiquer la domination. C’est une forme de développement personnel je dirais : des gens soumis qui aiment avoir mal, des gens dominants qui aiment faire mal, il y en a toujours eu, il y en aura toujours. Il suffit donc de s'accorder. De trouver les bonnes personnes." CQFD.

J'ai besoin parfois de remettre l'église au centre du village. C'est pas indispensable mais au bout d'un moment, l'ennui revient

Muriel Ojeda

Aujourd'hui divorcée, "la liberté de notre couple m'a pétée à la gueule", Muriel s'est trouvé un nouveau compagnon de vie. Tout en ayant un esclave sexuel régulier. "J'ai besoin parfois de remettre l'église au centre du village. Ce n’est pas indispensable mais au bout d'un moment, l'ennui revient. J'ai trouvé un autre Franck, décidément j'ai un abonnement, depuis deux ans nous pratiquons ensemble le BDSM. Il me satisfait, question de personnalité. Il trouve que les femmes sont des êtres supérieurs, alors forcément." 

Comment vivre avec ?

C'est la dernière phrase d'introduction de son ouvrage mais je sais, alors que notre conversation se termine, que Muriel ne se pose plus la question depuis belle lurette. "Pff ouais c'est pour le teaser de mon livre."

Comment vivre avec ce "besoin presque viscéral de côtoyer la violence, qu’elle soit d’ordre sexuel, moral ou physique" ? Le plus naturellement du monde. 

Muriel est secrétaire de direction, bien dans ses bottes et libérée de ses chaînes. "Je me sens plus sûre de moi, j'ai plus le contrôle sur ma vie et donc on me fait confiance. J'assume qui je suis, je laisse vivre mon leadership. J'arrêterai jamais." 

Muriel a donc écrit un ouvrage sur ses pratiques. Non pour faire l'apologie du sadisme mais pour tenter d'expliquer ce qui semble, pour certains, inconcevable. Sans masque, sans pseudo. C'est ça la confiance en soi.

On a tous des perversions, il faut savoir les écouter et les gérer

Muriel Ojeda

" À quoi bon ? On est jugé sur tout et tout le temps, un peu plus ou un peu moins." Son livre, publié en juin aux éditions Le Lys Bleu, a été vendu à une centaine d'exemplaires. "C'est déjà ça. Le plus important étant de démontrer que tu peux être atypique et heureux. Qu'il y a une place pour les gens qui ne tournent pas rond. Qu'on a tous des perversions, qu'il faut savoir les écouter et les gérer."

Avant de raccrocher, Muriel me glisse, d'une petite voix qui détonne, cette anecdote. Sa maman a pleuré "non pas de mes expériences BDSM, ça, elle est fière que j'assume mais du reste. De ces agressions sexuelles que j'ai subies chez ma nounou à l'âge de six ans."

La pudeur est parfois étrange, pour la première fois, je reste sans voix. "Ça a dû laisser des traces, des cicatrices oui, je ne sais pas si ça explique tout et notamment le reste." La question, nébuleuse,reste en suspens, rivée à une croix de St-André.

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