TEMOIGNAGE - Coronavirus : "On n’est pas habitué à ça", constate un médecin de Pau en renfort à Mulhouse

Franck Decamp est arrivé à Mulhouse le 2 avril avec 16 autres soignants d’Aquitaine. Depuis, ce médecin anesthésiste volontaire passe douze heures par jour aux côtés de patients contaminés par le covid19 au centre hospitalier de Mulhouse.

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En temps normal, Franck Decamp officie dans une clinique à Pau. Sa région a été plutôt épargnée par l’épidémie de coronavirus. Alors il a décidé d’aller au front. Il a choisi de passer trois semaines à Mulhouse, loin de sa famille, de ses deux enfants. Comme ses collègues, depuis son arrivée le 2 avril, il est hébergé au centre de réadaptation Albert Camus.
 
Une cinquantaine de volontaires sont déjà venus prêter main forte au centre hospitalier. Certains sont repartis, d’autres arrivent, d’Aquitaine, encore, et aussi de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Pour soulager les soignants mulhousiens fatigués après plus d’un mois de travail ininterrompu.
 


"Il faut des bras"

En deux semaines, Franck a pris la mesure de la situation. Il a vu tout ce que ses confrères ont mis en place pour sauver des vies. "Nous, nous arrivons après la guerre quand même parce que les choses se sont posées, les services se sont organisés. C’est assez incroyable tout ce qu’ils ont mis en place.Que ce soit dans l’établissement mais aussi à l’hôpital militaire. J’ai eu l’occasion d’y travailler une journée, c’est quelque chose d’assez spécial, on est pas habitué à ce genre de scénario. Il y a un énorme professionnalisme, c’est hallucinant."

Franck Decamp a aidé à mettre en place une nouvelle unité : l’unité post-réanimation. Ouverte depuis le 6 avril, elle prend place dans le service de chirurgie plastique de l’hôpital Emile Muller. Il a fallu l’équiper de 12 lits de réanimation avec des matelas fluidifiés, des ventilateurs. "La plupart des patients sont trachéotomisés avec un ventilateur pour pouvoir les aider à respirer. Ils sont sortis de la phase aigüe de réanimation mais nécessitent énormément de soins infirmiers, de soins de kinésithérapie, et il faut une présence médicale."

Beaucoup de monde s’est investi pour la mise en place de ce nouveau service : des médecins et des infirmières bien-sûr, mais aussi des réservistes de l’armée. Franck Decamp a même convaincu d’autres soignants de sa clinique de Pau à venir le rejoindre. "Il faut du monde, les patients sont très dépendants de soins, c’est lourd. Ils ont besoin de nursing régulièrement, toutes les quatre heures donc il faut des bras."

Franck parle calmement. Il apparaît serein dans cette situation de crise. Pourtant, après plusieurs années à travailler en réanimation, il reconnaît n'avoir jamais "vu un truc pareil". Il assure que quand on est à l’extérieur de l’hôpital, on ne peut pas imaginer comment cela se passe à l’intérieur. La première fois, ça a été un choc. "C’est vrai que quand on n’est pas dedans et que l’on voit des patients sur le ventre, intubés, ventilés…des gens encore jeunes, il n’y a pas que des vieilles personnes, c’est frappant."
 

"On a l’impression d’être utile"

Lutter contre le covid19. Une expérience inédite, difficile. Mais nécessaire pour ce médecin anesthésiste heureux de pouvoir soutenir des confrères fatigués après un plus d’un mois de travail non stop. Heureux aussi de pouvoir aider des patients encore fragiles. "ll faut bien imaginer que les gens qui sortent du coma artificiel, qui se réveillent ils ne savent pas tout ce qu’il s’est passé. Ils sont arrivés à l’hôpital et puis hop un blanc. Il y a aura un stress post-traumatique à gérer chez ces patients parce que c’est traumatisant. Certains qui  peuvent regarder la télé voient ce qu’il se passe et découvrent. Nous on vit ça depuis un mois, eux découvrent."

Franck Decamp explique à quel point la réanimation est quelque chose de très lourd sur le plan physique mais aussi psychique. En se réveillant, c’est la prise de conscience de la situation qui entraine bien souvent un stress post-traumatique chez le patient. Des psychiatres et psychologues sont là pour gérer cette partie. Lui aimerait pouvoir sourire à ces patients pour les rassurer. Mais il est masqué, casqué, avec des lunettes et il a conscience du stress que ça peut générer chez les patients.
 

"A Pau, on a des patients de Nancy et d’Île-de-France"

Franck Decamp rentrera chez lui lundi prochain. Si l’épidémie se développait à Pau, il se sentirait désormais armé pour la combattre. Déjà, dans sa clinique, des lits de réanimation supplémentaires ont été installés. Il y a aussi une unité post-réanimation mais Franck espère ne jamais avoir à l’utiliser.

"On a même mis en place un suivi de rééducation car on a des patients transférés de Nancy ou d’Île-de-France, on ne peut pas les renvoyer tout de suite, il faut attendre que les choses se calment un peu. C’est pourquoi, pour ne pas leur faire perdre de temps sur leur évolution, il y a tout un circuit de rééducation mis en place sur Pau". 

En attendant, Franck s’occupe des douze patients en post-réanimation à Mulhouse jusqu’à la fin de la semaine. Ce nouveau service risque de fonctionner encore quelques mois. Il aura contribué à sa mise en oeuvre. Une expérience professionnelle et humaine inoubliable. Lui qui n’avait jamais mis les pieds en Alsace retient l’accueil chaleureux qu’il a reçu et l’humilité des soignants. Des volontaires, il va en falloir encore dans les semaines à venir. Le groupement hospitalier de Mulhouse Sud Alsace a besoin de renfort de personnel soignant durant cette crise sanitaire.
 
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