Couvre-feu : les mineurs privés de sortie la nuit par le maire de Joinville pour réduire "la délinquance"

Jusqu'au lundi 15 août, un arrêté municipal empêche les mineurs non-accompagnés de sortir la nuit à Joinville (Haute-Marne). Par ce couvre-feu, la municipalité entend ainsi réduire la "délinquance" sévissant selon elle dans ses rues.

Aux grands maux, les grands remèdes. Bertrand Ollivier, le maire (DVD) de Joinville (Haute-Marne), a fait grand bruit en prenant une mesure peu conventionnelle : un couvre-feu.

Pour lutter contre les incivilités qui se multiplieraient la nuit dans sa cité, l'édile a interdit aux mineurs non-accompagnés de moins de 16 ans de sortir la nuit, entre 23h00 et 06h00. L'arrêté municipal court jusqu'au lundi 15 août, et ne s'applique pas si les mineurs en questions sont accompagnés d'une personne majeure (plus de 18 ans), quelle qu'elle soit. 

France 3 Champagne-Ardenne a voulu en savoir plus, mais monsieur le maire étant parti en vacances, c'est sa première adjointe, Sandrine Jean dit Pannel, qui a expliqué ce qu'il se passait. "C'est pour éviter des dégradations qui se répètent : tags, vitres de maisons brisées, petits feux... Les gens commencent à avoir un peu peur dans certaines rues, et on veut éviter que ça n'empire les prochaines semaines, pendant les vacances."

Prévention d'abord, puis des amendes

Une réunion de coordination a eu lieu avec la gendarmerie le mercredi 20 juillet pour commencer à appliquer cette mesure. "On a pris cette décision pour la sécurité de toutes les personnes. Les gendarmes vont être plus présents sur le terrain.

La crainte de la municipalité, c'est que "si on ne fait rien tout de suite, on va arriver à des choses qu'on ne pourra plus maîtriser". Les rondes de la gendarmerie ne versent pas directement "dans la répression complète" et viseront "dans un premier temps à avertir, pour ne pas que ça se reproduise", mais pourront, in fine, "aller jusque des amendes"

Si on ne fait rien tout de suite, on va arriver à des choses qu'on ne pourra plus maîtriser.

Sandrine Jean dit Pannel

première adjointe au maire de Joinville

On ne doute pas que la majorité de la jeunesse de Joinville, petite ville de 3 000 âmes, soit fort paisible et bien élevée et ne fasse ainsi pas régner la chienlit dans les rues à la tombée de la nuit. Ne risque-t-elle pas de se sentir punie collectivement pour les agissements de quelques uns ? "Je ne pense pas. C'est pour la sécurité, et on ne veut pas que ça se transforme en pugilats dans les rues. J'ai eu de très bons retours sur Facebook, il y a juste un commentaire qui dit effectivement que ça restreint certaines choses." (voir cette publication Facebook qui parle de "délinquance" ci-dessous)

"On l'avait d'ailleurs fait il y a quelques années, quand il y avait déjà pas mal d'insécurité, et ça s'était très bien passé." Il est vrai, c'était en 2014. Toutefois, le Journal de la Haute-Marne (JHM), qui a révélé l'existence de ce couvre-feu, rappelle que la dernière fois, "l'État l'a attaqué". Étonnée, la première adjointe précise, après renseignements pris auprès de la directrice générale des services (DGS) de la ville, que "sa durée était trop longue et on a juste dû le réduire. Mais ça a bien été appliqué." 

Que dit la justice ?

Un célèbre avocat rémois, maître Emmanuel Ludot, se montre plus prudent auprès de France 3 Champagne-Ardenne. "Ce n'est pas une première, ces arrêtés ont déjà été pris, notamment dans des villes du sud. Comme Béziers, la ville de Robert Ménard [dont le parcours et les positions peuvent étonner; ndlr]. Attaqués, ces arrêtés avaient été annulés [au terme d'une procédure ayant duré quatre ans; ndlr] car ils sont attentatoires aux libertés publiques."

"Un arrêté pris doit être ciblé, et précis sur les risques encourus, notamment sur les troubles à l'ordre public. S'il n'est pas ainsi motivé sur cette notion précise, et limité aux mineurs, sans justifier d'un péril, il sera probablement annulé. Généralement, des associations de défense des libertés publiques, des grosses organisations de défense des droits de l'Homme, s'emparent de ça. S'il n'est pas attaqué sous deux mois, l'arrêté devient définitif. À moins que le préfet s'en empare et considère que c'est attentatoire aux libertés publiques." 

S'il n'est pas attaqué sous deux mois, l'arrêté devient définitif.

Maître Emmanuel Ludot

avocat au barreau de Reims

La procédure est "paradoxalement peu coûteuse", pour les structures associatives notamment. Mais pas que. "Il y a l'exemple du mineur en formation professionnelle, qui va faire son stage de boulangerie - c'est ça qui s'est passé à Béziers - et part à 03h00 pour aller faire pain : il ne peut pas sortir. On a aussi les mineurs qui rentrent de soirée, surtout l'été, qui peuvent rentrer vers minuit sans avoir l'intention de saccager quoi que ce soit. Ceux qui ont surtout intérêt à attaquer l'arrêté, ce sont les directeurs de restaurants, bars... C'est de la clientèle en moins pour eux."

L'avocat n'est donc pas très optimiste. "Ça me paraît très fragile comme arrêté, c'est une mauvaise stratégie. Tout est dans la motivation par rapport à un évènement. Imaginez que par exemple, le pape vienne à Joinville. On prend un arrêté parce que les mineurs risquent de faire quelque chose, en le limitant du samedi au dimanche." Un mois d'été, même sujet à des dégradations, risque donc de ne pas suffire pour l'arrêté de Joinville (localisée sur la carte ci-dessous).



Pour prendre la température, France 3 Champagne-Ardenne a fait la tournée du centre névralgique d'une petite ville : ses boulangeries. Si la situation est telle, ça aurait fait l'objet de discussions de part et d'autre. Chez les Lys comme les Petits plaisirs, ainsi que chez Marie Blachère, on n'a respectivement "pas eu de retours même si on a entendu parler de l'arrêté", "c'est tranquille", et "les clients n'en ont pas parlé".  À voir ce que ça donnera par la suite...

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