En décortiquant le dossier d'étude du projet de blanchisserie de linges radioactifs à Suzannecourt, près de Joinville, un ingénieur annonce avoir découvert que le projet émettra plusieurs pollutions, notamment aux métaux lourds. Des associations ont déposé un recours contre le permis de construire.
Le projet d'installation d'une blanchisserie de linge radioactifs à Suzannecourt, près de Joinville, suscitait déjà une vive opposition chez certains habitants, élus et associations en Haute-Marne. Une inquiétude qui se focalisait principalement sur des éventuels rejets d'eaux contaminées directement dans la Marne, à 30 kilomètres du lac du Der.
Mais, alors qu'un ingénieur vient de révéler que le dossier d'étude d'impact du projet de laverie prévoit que l'installation pourrait rejeter des métaux lourds dans l'atmosphère, le mouvement pourrait prendre de l'ampleur. Deux associations et 101 habitants ont déjà déposé un recours pour faire annuler le permis de construire.
Quand on lit l'ensemble des éléments on s'aperçoit qu'il y a une minimisation de l'ensemble des rejets.
- Bertrand Thuillier, ingénieur
Mercure, plomb et arsenic rejetés
Bertrand Thuillier, professeur à l'université Lille 1, a décortiqué les 1.600 pages du dossier d'études d'impact du projet de l'entreprise Unitech. Et selon cet ingénieur de formation, les futures installations pourraient rejeter des métaux lourds dans l'atmosphère.- Le projet d'implantation d'Unitech, et les habitations et écoles les plus proches, dans un rayon de 1 km-
En cause, non pas la laverie, mais les deux autres activités qu'Unitech prévoit de développer sur le terrain de 1,9 hectare de la ZAC de la Joinchère : de la décontamination de matériel faiblement radioactif et une activité de location de matériel pour les entreprises dans le domaine nucléaire.
Le dossier d'impact estime que l'installation émettra plus de 500 kg de polluants dans l'atmosphère par an : mercure, arsenic, plomb ou encore du sélénium. Bertrand Thuillier accuse les auteurs de l'étude d'avoir négligé l'impact de ces émissions sur les populations voisines, dont plusieurs écoles.
Le directeur général d'Unitech Services France, Jacques Grisot, ne partage pas du tout les conclusions de l'ingénieur. "C'est une analyse que je qualifierais de contre-discours plutôt que de contre-expertise. Elle est pseudo-scientifique, partisane, voire dans certains cas même mensongère", nous explique-t-il par téléphone.
"Faire croire aux gens que notre installation sera très pénalisante pour l'environnement, c'est un pur mensonge", ajoute Jacques Grisot. "L'avis de l'autorité environnementale est très clair. Je peux même le citer : 'Bien que portant sur le traitement de linge radioactif, les flux d'éléments radioactifs sont très limités. Les enjeux environnementaux et de santé publique liés à la radioactivité restent faibles.' C'est la première phrase du rapport."
Le rapport estime que "les habitations les plus proches, situées […] à 100 m environ au sud et à 300 m à l'est devraient être peu concernées par les émissions". Le site WindFinder indique que les vents dominants viennent le plus souvent de l'ouest.
On dit que les vents dominants viennent d'est alors qu'il n'y a pas besoin d'être un spécialiste pour savoir que les vents dominants dans la régions viennent principalement de l'ouest.
- Bertrand Thuillier, ingénieur
"C'est un mensonge pur et dur, répond-on du côté d'Unitech. Notre étude est basée sur la rose des vents de la station météo qui est la plus proche, celle de Saint-Dizier. Ça montre bien la prédominance de deux types de vents dans la région, les vents de sud-ouest et les vents d'est."
Parmi les bâtiments et les habitations à proximité, l'étude d'impact révèle elle-même que les premières habitations se trouvent à moins de 200m du site. Dans un rayon de moins d'un kilomètre autour de la parcelle achetée par Unitech, se trouvent également deux écoles primaires et un collège.
Eléments radioactifs, polluants rejetés dans la Marne
Ces conclusions, l'ingénieur les a compilées dans un document, présenté à des opposants au projet, à Joinville le 14 mai 2019. Il y pointe également des rejets de polluants radioactifs dans l'atmosphère, dont il estime que la quantité est "très fortement minoré[e]", ainsi que des rejets de sels et de polluants chimiques et radioactifs dans la Marne, dont l'impact aurait lui aussi été minimisé.Pour le professeur, le dossier d'étude aurait notamment sous-estimé l'étiage du cours d'eau en été, et les risques d'inondations sur la zone. Via des canalisations longues de 1,17 km, chlorures, strontium (une substance cancérigène), antimoine (un perturbateur endocrinien) et phosphore risqueraient donc de stagner dans une Marne au niveau bas, ou au contraire de se répandre si la rivière venait à sortir de son lit.
"Avec un débit d'eau le plus faible possible, nos rejets c'est l'équivalent en volume d'un verre d'eau dans une baignoire de 200 litres", répond le directeur général d'Unitech. Le risque d'inondation par remontée de la nappe phréatique a également été anticipé, affirme-t-il : "On a décidé de remonter la totalité du bâtiment de plus d'un mètre afin d'être très loin du niveau le plus haut de la nappe phréatique".
Plus globalement, Bertrand Thuillier s'inquiète du sérieux du dossier, dont les résultats servent de base aux différentes autorisations administratives : "il y a une expertise des autorités sanitaires, explique-t-il. Mais elles sont toutes basées sur les éléments fournis par le dossier, qui sont faux".
C'était assez aisé de voir toutes ces erreurs, je ne comprends pas. Je suis sidéré par le manque de rigueur et de relecture du dossier.
- Bertrand Thuillier, ingénieur
Peu après cette présentation, trois associations, Nature Haute-Marne, le Cedra et le réseau "Sortir du nucléaire", ainsi que 101 Haut-marnais habitant dans un rayon de 5 kilomètres autour du futur site de Suzannecourt ont déposé un recours en référé devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne. Ils demandent la suspension et l'annulation du permis de construire de la laverie nucléaire et des autres activités prévues par Unitech.
Une phase d'enquête publique est prévue à la rentrée 2019. Si les autorités rendent ensuite un avis favorable, la construction de la blanchisserie pourrait débuter début 2020. Les travaux prendraient alors 18 mois.