46 brebis tuées depuis le 26 novembre en Haute-Marne. Les éleveurs subissent des attaques de loups de plus en plus fréquentes et mortelles. En plus de la perte de bétail, l’impact psychologique devient lourd. Les éleveurs demandent un soutien pour préserver leur travail et leur bien-être. (Attention : les images contenues dans cet article peuvent choquer).
"L’état psychique des éleveurs après toutes ces attaques est catastrophique." Pour Pierre-Edouard Brutel, éleveur de brebis à Bassoncourt, il ne s’agit plus que de "simples" moutons tués par le loup. Le canidé gagne de plus en plus de terrain en Haute-Marne, ses attaques se multiplient ces dernières semaines, toujours plus mortelles. L’éleveur, membre du syndicat des jeunes agriculteurs et membre du réseau Sentinelle, s’attriste : "la santé mentale des éleveurs devient aujourd’hui une priorité absolue".
Cette semaine du 6 janvier, les cheptels de deux éleveurs ont subi de nouvelles attaques, opérées toujours de nuit, au petit matin. Jeudi 9 janvier 2025, à Audeloncourt, six brebis sont retrouvées mortes par leur éleveur. La veille, c'est celui de Jean-Charles Bablon, à Maisoncelles. Cette fois, huit brebis tuées.
46 brebis tuées depuis le 26 novembre 2024
Pire : "elles étaient toutes prêtes à agneler d’ici une dizaine de jours", souligne Tom Bablon, le fils de l’éleveur, travaillant également sur l’exploitation. "L’OFB (Office de la biodiversité française) est venue constater les dégâts. Pour eux, ce n’est encore qu’une suspicion de loup…"
Qu’on arrête l’hypocrisie qu’il n’y a qu’un seul loup en Haute-Marne. Parce que ce n’est pas vrai… Surtout qu’il attaque maintenant à seulement quelques dizaines de mètres des habitations. Nous commençons vraiment à avoir peur.
Tom Bablon, éleveur
La plupart des brebis montrent les signes d’une attaque directement à la gorge, les trachées sectionnées. D’autres sont éventrées, dévorées. Des attaques ont aussi eu lieu les jours précédents : 14 brebis le 3 janvier à Damblain, 18 brebis et 16 blessés les 1 et 2 janvier à Contrexéville.
"Au total, depuis le 26 novembre, 46 brebis ont été abattues par huit attaques. Des bêtes reconnues tuées par le loup, par l’OFB. Sans compter toutes celles blessées, et le stress accumulé dans les troupeaux. Car il y a encore une inconnue, c’est le taux d’avortement qui risque d’être très important !", pose Pierre Edouard Brutel.
À Tom Bablon d’ajouter : "Qu’on arrête l’hypocrisie qu’il n’y a qu’un seul loup en Haute-Marne. Parce que ce n’est pas vrai… Surtout qu’il attaque maintenant à seulement quelques dizaines de mètres des habitations. Nous commençons vraiment à avoir peur."
« Je suis vraiment inquiet pour ces gens-là »
Pierre-Edouard Brutel est allé à la rencontre de ces éleveurs, "des pères de familles, d’une trentaine d’années pour l’un deux. Ils n’arrivent plus à dormir depuis l’attaque. Chaque soir, ils font le tour de leurs parcelles pour surveiller. Ce n’est plus une vie. Leur état psychique est terrible. Je suis vraiment inquiet pour ces gens-là ".
De plus en plus, l’éleveur est touché en son for intérieur : la perte de ses bêtes, l’incertitude par rapport à la fertilité de son troupeau, le choc et le stress peuvent conduire à un sentiment d’isolement et un impact sur la vie de famille. La MSA (mutualité sociale agricole) a mis en place un accompagnement, Agri’écoute, pour être mis en relation avec professionnel pour parler des difficultés. "C’est une maigre solution, mais c’est toujours ça. Chez les éleveurs, la détresse est telle que je ne suis vraiment pas sûr que ces personnes soient en mesure de faire la démarche d’appeler", déclare Pierre-Edouard Brutel.
Solutions inexistantes, éleveurs impuissants
Lorsque l’attaque du loup est officiellement reconnue, l’éleveur peut demander un dédommagement financier, à hauteur de 266 euros par bête tuée. "À l’heure actuelle, le prix est de 10 euros le kilo de viande. Un agneau représente environ 200 euros", explique Tom Bablon. "Le problème, c’est que le dédommagement ne prend pas en compte les agneaux qui allaient naître. Dans le cas de notre exploitation mon père et moi, certes, nous avons perdu 8 brebis, mais avec leurs petits, on perd une quinzaine de bêtes en une seule attaque. Donc on est loin du compte. Ce dédommagement ne prend pas non plus en compte la hausse des avortements et des morts-nés qui va suivre à cause du stress des bêtes."
"Six ans qu’on tourne en rond et le loup tape toujours plus fort…"
Pierre Edouard Brutel, éleveur
Un loup de moins en moins craintif de l’homme, des attaques toujours plus sanglantes, "et nous n’avons aucun moyen de nous protéger, ni même nos bêtes", poursuit-il. La direction départementale des territoires (DDT) préconise aux éleveurs de parquer leurs pâtures. Même si des subventions sont octroyées, cela reste un coût important pour l’éleveur et lui demande du temps.
"Ces clôtures ne sont pas un moyen de protection efficace. Cela fait six ans que nous rencontrons la DDT, qu’on leur explique. Ces moyens-là ne sont pas adaptés à notre territoire. On ne protège pas un troupeau de la manière que l’on soit en Corse, dans les Alpes, ou en Haute-Marne. Notre territoire à sa propre topographie. Mais ils ne veulent pas entendre", s’exaspère Pierre-Edouard Brutel. "Six ans qu’on tourne en rond et le loup tape toujours plus fort… La seule fois, où nous sommes tombés d’accord, c’est quand il était question de venir dans les exploitations pour réaliser des études de vulnérabilité, et d’établir un diagnostic au cas par cas. On attend encore les experts."
Des agriculteurs attachés à leur territoire
Pierre-Edouard Butrel a sollicité Régine Pam, préfet de Haute-Marne, pour un rendez-vous dans les jours prochains. Il se présentera face à elle avec deux points importants : la fragilité psychologique des éleveurs, et des moyens de protection adaptés au territoire. "Je considère qu’il y a aujourd’hui une non-assistance de personnes en danger concernant nos éleveurs. Cela me met hors de moi. S’il ne se passe rien, nous prendrons nos propres mesures pour défendre nos troupeaux", dit-il.
De plus, il souhaite se rapprocher des éleveurs des Vosges et de la Bourgogne-Franche-Comté, départements où là aussi le loup fait des ravages, "pour associés nos chiffres. Actuellement, chaque département se bat de son côté. Il faut désormais s’associer pour donner une réponse d’envergure face à ses attaques".
Il conclut : "La jeune génération d’éleveurs veut bien faire. Ils sont passionnés. Le loup n’attaque pas les agricultures hors-sols, les élevages industriels. Il s’en prend au pastoralisme. Nous sommes dans un bassin d’élevage qui vit grâce à des agriculteurs attachés à leur territoire, qui n’ont que faire des indemnités. Ils veulent simplement faire leur travail en paix".