Les chauve-souris des fortifications de Langres : un havre de paix pour une espèce parfois malmenée

Les fortifications de Langres, en Haute-Marne, et notamment le fort du Cognelot, ravissent les passionnés d'histoire, de vieilles pierres, mais aussi de chauve-souris. Elles y élisent domicile chaque hiver, sûres de ne pas être dérangées ou chassées, elles qui sont parfois malmenées, et mal aimées.

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C'est étonnant à quel point, lorsque l'on entre dans un endroit sans lumière, étroit et souterrain, nous avons cette tendance à baisser imperceptiblement la voix. Peut-être est-ce dû au mystère qui imprègne ces lieux, peut-être est-ce la peur de bouleverser par des sons une atmosphère silencieuse et immobile, qui était là avant nous et qui le sera après. Dans tous les cas, lorsque nous descendons, en cette matinée de novembre, les marches qui nous conduisent dans les artères souterraines du fort du Cognelot, près de Chalindrey, en Haute-Marne, chacun de nous murmure au lieu de parler à voix haute. Avec moi, le gardien du fort et Guillaume Geneste, chargé de mission pour la Haute-Marne du conservatoire d'espaces naturels de Champagne-Ardenne. Et si nous entamons cette descente dans les entrailles de l'édifice du XIXe siècle, c'est parce que nous sommes à la recherche de chauve-souris.

Les chiroptères sont en effet friands de ces fortifications pendant l'hiver : elles sont un habitat propice à la longue hibernation qui les attend. Avec l'épaisseur des murs, la température y reste constamment stable, l'hygrométrie aussi, il y a des cavités, des trous, des pierres de taille qui offrent un bon point d'accrochage. Et surtout, il y a peu de passage en hiver. 
 

 

Après avoir formé une épaisse couche de graisse en été pour faire des réserves, les chauve-souris hibernent en se mettant dans un état de léthargie profond. Elles ralentissent leur métabolisme, jusqu'à, parfois, un ou deux battements de cœur par minute.

Guillaume Geneste, chargé de mission Haute-Marne au conservatoire d'espaces naturels

Si elles sont réveillées, par l'homme ou un autre animal, elles devront énormément puiser dans leurs réserves pour s'envoler, se reposer et se rendormir ensuite. Le risque, c'est qu'elles n'aient donc plus assez de réserves pour terminer l'hiver.

Peut-être est-ce pour cela finalement, que nous baissons la voix dans les souterrains, animés par la conscience aiguë de ne surtout déranger personne. Mais au fur et à mesure que nous avançons dans l'obscurité à la lueur blanche des torches de nos téléphones portables, toujours pas de chauve-souris. Des araignées à foison, sur les murs et les plafonds, oui, mais des mammifères nocturnes, non. Pourtant, en gardant les yeux rivés au sol, Guillaume Geneste arrive à repérer leur présence : de minuscules crottes, pas plus grosses que des grains de riz, parsèment à divers endroits la pierre taillée du fort. Il lève alors sa lampe de poche, tentant de repérer la cavité qui pourrait abriter l'objet de nos recherches. Mais rien. "Peut-être fait-il encore trop chaud pour qu'elles cherchent à hiberner, constate Guillaume Geneste. On les voit encore parfois voler à la nuit tombante. Elles doivent encore être en train de parfaire leurs réserves".
 

Créer des espaces de quiétude

 Le fort du Cognelot, comme tous les édifices défensifs du plateau de Langres, abrite une grande population de chauve-souris : les plus courantes sont les barbastelles d'Europe aux oreilles larges en forme de trapèze et les grands rhinolophes, au pelage laineux, épais, de couleur grisâtre avec des nuances rousses sur le dos. Ces espèces, comme d'autres, sont en voie de disparition depuis le milieu du 20e siècle. "C'est essentiellement dû à l'intensification agricole et à la perte d'habitat de chasse, explique Aurélie Stoetzel, chargée de mission chiroptères au conservatoire d'espaces naturels. Comme ce sont des animaux insectivores, l'utilisation de pesticides a fortement fait baisser leur quantité de nourriture". Il faut donc compenser, et tenter de les protéger au mieux.
 

Et pour cela, le conservatoire d'espaces naturels a installé des grilles toutes particulières à l'entrée de certaines salles et tunnels du fort. Leurs barreaux ne sont pas verticaux mais horizontaux. Fermées à clé, c'est derrière ces portes que nous poursuivons nos recherches dans le froid glacial de ce début d'hiver sur le plateau langrois. "Ce sont des grilles à chauve-souris, indique Guillaume Geneste. Le fait que les barreaux soient horizontaux permet aux chauve-souris de passer au travers des grilles en plein vol et donc, de ne pas se blesser". L'idée est aussi de réserver quelques espaces de quiétude aux chiroptères en interdisant l'accès - du public et des autres espèces - à certaines zones du fort.
 


Car ces fortifications attirent de nombreux curieux, même si leur rôle dans l'histoire de France a surtout été dissuasif. Les grandes salles du fort du Cognelot, chacune équipée de sa cheminée, le four à pain d'origine et surtout le point de vue sur le plateau de Langres délient l'imagination et nous font voyager dans une Haute-Marne qui sort tout juste de la guerre de 1870. Aujourd’hui, le fort est le théâtre de nombreuses animations publiques ou privées et accueille notamment tous les ans, au mois d'octobre, la Fête des sorcières. Préserver des espaces de tranquillité pour les chauve-souris est donc d'autant plus important que, pour elles, les sources de perturbation peuvent être nombreuses.
 

Les chauve-souris utilisent le fort particulièrement en hiver, donc on se dit que ce n'est pas forcément nécessaire de le mettre sous cloche toute l'année.

Aurélie Stoetzel, chargée de mission chiroptères au conservatoire d'espaces naturels

L'idée étant aussi de ne pas crisper la population vis à vis d'une espèce avec qui les choses ne se passent toujours bien.
 

Une cohabitation parfois difficile avec l'être humain


Avec la destruction de nombreuses cavités naturelles, que ce soit en hiver pour l'hibernation ou en été pour nicher, les chauve-souris ont eu tendance à trouver refuge dans les habitations et notamment dans les caves ou les greniers. Lors de l'hibernation, elles se font discrètes et posent rarement des problèmes aux être humains. En revanche, en été, la cohabitation est parfois plus difficile. Il y a souvent la crainte de voir les chiroptères pulluler ou apporter des maladies. "Ce n'est pas toujours évident, poursuit Aurélie Stoetzel. La première chose que l'on fait en cas de cohabitation difficile, c'est d'informer sur le cycle des chauve-souris, d'indiquer qu'il n'y a pas de maladies particulières dans le guano (les excréments, ndlr). Il s'agit d'informer et de rassurer. Mais lorsque des centaines de chauve-souris élisent domicile à côté d'une chambre, cela peut créer de fortes nuisances. On essaie alors de trouver des solutions au cas par cas".

Et parfois, ces solutions sont difficiles à mettre en place, le compromis impossible, ce qui accentue la pression qui pèse sur l'espèce déjà en voie de disparition. Or, la chauve-souris étant en haut de la chaîne alimentaire, c'est tout un écosystème qui se mettrait à dysfonctionner s'il n'y en avait plus.
 
 

Les chauve-souris, c'est un peu le relais des hirondelles, mais la nuit. Elles se nourrissent de beaucoup d'insectes dont certains peuvent entraîner des maladies pour les arbres ou les plantes.

Aurélie Stoetzel, chargée de mission chiroptères au conservatoire d'espaces naturels

Ainsi, par voie de conséquence, des espèces végétales pourraient se retrouver à leur tour malades et en danger, et avec elles, toute la faune et la flore qui leur sont associées. Un effet "domino" que les protecteurs de la nature essaient d'éviter à tout prix.

Alors comment cohabiter avec le monde naturel qui nous entoure, qui parfois nous semble hostile, destructeur, gênant ou inabordable ? Il n'y pas tant de solutions que cela, hormis celle de s'informer davantage, d'essayer de comprendre les forces qui sont en jeu, la beauté, parfois, de cet univers que l'on ne peut pas vraiment contrôler. On peut alors tenter, en tant qu'être humain, tous les jours, de trouver la bonne place, notre place, au sein de l'écosystème géant dans lequel nous habitons.
 
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