Les tourbières de la Bar dans les Ardennes : connaître, c'est aimer, aimer, c'est protéger

Dans les Ardennes, près de Vouziers, existe un coin de paradis pour les animaux en tout genre, dont certains humains, eux aussi raffolent : les tourbières de la Bar. Un endroit magique qui risque pourtant de disparaître, un milieu à sauver et à faire connaître, pour mieux le protéger.

La lumière de novembre est pâle et déclinante en cette fin d'après-midi de novembre. On pourrait croire que la nature est figée, qu'elle s'endort doucement sur les différents plans d'eau qui constituent les tourbières de la Bar, un espace naturel protégé, situé non loin de Vouziers, à l'est du département des Ardennes. Mais lorsque nous prêtons un peu mieux l'oreille, mon guide et moi, on se rend compte que le bruit de l'eau n'est jamais loin. Il y a ce son caractéristique de l'oiseau qui se pose sur les étendues aquatiques : un mélange de battement d'ailes et d'éclaboussures. Il y a les chants des différentes espèces qui retentissent parfois. Celui du martin-pêcheur se reconnaît aisément. Et puis, il y a les passages, récurrents, des insectes volants qui accompagnent la marche.
 


Les tourbières de la Bar, du nom de la rivière qui s'écoule paisiblement le long du site, représentent une zone humide d'une centaine d'hectares, qui abrite pas moins de 152 espèces d'oiseaux, dont certains sont classé "en danger" au niveau national, comme le bruant des roseaux, qui niche sur place. Les experts comptent aussi 50 espèces de libellules, et une centaine d'espèces de papillons. Les criquets, les sauterelles et les grillons complètent cette faune grouillante, qui n'aspire qu'à un peu d'eau et de tranquillité.

Le castor d'Eurasie, roi des tourbières


Mon guide pour cette promenade humide en Ardennes, c'est Thomas Lorich. Il travaille au conservatoire d'espaces naturels de Champagne-Ardenne. Et lorsqu'il marche, sur des sentiers parfois à peine dessinés, ce ne sont pas les plans d'eau qui retiennent son attention. Son regard à lui est concentré sur les bas-côtés, sur les berges, là où les arbres prennent racine. "Regardez par ici : là, le castor a bientôt fini son travail", s'exclame mon guide. Et de fait, deux arbres sont parfaitement écornés (la nourriture préférée de l'animal), et suffisamment grignotés à la base pour que le mammifère puisse raisonnablement espérer qu'ils tombent un jour.
 

 

Son objectif, c'est de faire monter le niveau de l'eau. Le castor se sent beaucoup plus en sécurité sous l'eau que sur la terre ferme. Alors pour se déplacer, il construit des barrages pour faire monter le niveau de l'eau, et pouvoir passer en sécurité là où il le souhaite.

Thomas Lorich, chargé d'études scientifiques au conservatoire d'espaces naturels


La mission de Thomas, c'est donc de suivre et d'observer l'évolution de l'espèce sur les tourbières de la Bar. Le castor d'Eurasie s'y sent particulièrement à son aise, et la population n'a cessé d'augmenter ces dernières années, pour atteindre en moyenne une vingtaine d'individus.
 


Un site, deux ambiances

Nous poursuivons notre promenade initiatique le long des différents plans d'eau qui se succèdent, quand tout à coup, arrivés sur une digue de quelques mètres de large, le paysage n'est plus le même. Devant nous s'étend un marais silencieux, quasiment endormi, recouvert de cette plante si caractéristique des lieux : la calamagrostis des marais. Ses hautes herbes brunes qui nous arrivent jusqu'aux genoux. L'astuce, pour traverser le marais, c'est donc de suivre les traces des sangliers et autres gibiers qui ont déjà frayé leur chemin à travers cette jungle de ras du sol. "La voie est déjà faite, pourquoi ne pas en profiter ?", me demande avec un sourire, Thomas Lorich.
 


D'autres herbes apparaissent ensuite, d'autres vestiges de plantes, pensai-je plutôt, en ce début d'hiver. Si le roi des animaux du coin est le castor, ici la reine des près mérite aussi sa couronne. Dans le marais, de vastes espaces marron foncé délimitent son territoire. "Tout a brûlé cet été, les reines des près n'ont pas pu se développer correctement à cause de la sécheresse", constate Thomas Lorich.
 
Et la sécheresse, c'est bien ce qui menace de disparition des zones comme les tourbières. Peu à peu la nappe aquatique, qui permet le phénomène de dégradation des végétaux qui constitue la tourbe, baisse drastiquement. Les terres deviennent sèches et peuvent être alors transformées en terres cultivables. "Le drainage, la plantation de peupliers ou la transformation de ces zones en cultures, comme celles du maïs, par exemple, sont des activités qui consomment beaucoup d'eau", poursuit Thomas Lorich. La nappe se réduit encore plus, le milieu disparaît petit à petit, avec lui, toute sa biodiversité. Et cela, ça a une conséquence directe sur nous, êtres humains.
 

Les zones humides sont souvent considérées comme des puits de carbone. La végétation présente va stocker beaucoup de CO2, et donc va contribuer à la qualité de l'air.

Thomas Lorich, chargé d'études scientifiques au conservatoire d'espaces naturels

Autre avantage pour les humains : les végétaux vont aussi naturellement filtrer l'eau et donc filtrer les éventuels polluants qu'elle pourrait contenir. Or, avoir une eau plus saine contribue à préserver toutes les espèces, y compris la nôtre.
 


Pour protéger, sensibiliser

Le conservatoire d'espaces naturels de Champagne-Ardenne s'est donc porté acquéreur en 2018 des tourbières de la Bar. Une centaine d'hectares constituée de marais et de plans d'eau à protéger rapidement, à la fois de l'assèchement mais aussi de la fréquentation trop assidue de l'homme, qui pourrait déranger les espèces qui trouvent refuge ici.
 


"Pour le moment, le site est fermé au public, confirme Thomas Lorich, mais nous avons un projet pour le mettre en valeur et le rendre accessible. L'idée, c'est que les plans d'eau puissent rester vierges de toute fréquentation humaine, afin de créer un espace de quiétude pour les animaux. En revanche, une bonne partie du marais pourrait être ouvert à tous, avec des panneaux explicatifs". Des balades nature sont d'ailleurs d'ores et déjà organisées par le conservatoire pour faire découvrir les lieux aux curieux. Quand les curieux en question ne sont pas confinés, bien sûr.
 

On protège ce que l'on connaît bien. Si les gens ne connaissent pas le milieu, ils n'ont pas conscience des richesses du lieu. Il faut qu'ils y soient sensibilisés.

Thomas Lorich, chargé d'études scientifiques au conservatoire d'espaces naturels

 

Le conservatoire réflechit donc à l'aménagement d'un espace qui allie préservation et information. D'ailleurs, il y a un exemple tout proche, de cet équilibre savant : à quelques centaines de mètres de là où nous achevons notre promenade, se trouve le petit village d'Harricourt. De la pierre de taille jaune, ardennaise, des bâtisses réconfortantes, une église pleine de charme. De là, part un autre sentier nature, qui conduit aux sablières du coin. Il a été baptisé "le sentier des castors". Un appel à suivre ces animaux et à les découvrir. Pour, encore une fois, mieux les aimer et donc mieux les protéger.
 
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