Un mois après le scandale du garage SMUR, le centre hospitalier de Langres (Haute-Marne) n'est toujours pas sorti de la crise. De nouvelles images des urgences qui montrent des patients pris en charge dans les couloirs, une réalité dénoncée par des médecins. De son côté, l'Agence régionale de Santé mène une enquête en interne.
"Ce n’est pas humain. On ne traite pas les gens avec la dignité qu’ils méritent." Le docteur François Molli est découragé devant les photos du service des urgences du centre hospitalier de Langres, en Haute-Marne. Ces clichés ont été transmis à la rédaction de France 3 Champagne-Ardenne anonymement. On peut y voir des patients pris en charge dans les couloirs, sur des brancards, séparés par des paravents de fortune.
"Au vu de l’argent qui est dépensé, on ne devrait pas être dans des conditions comme ça", ajoute encore le Dr Molli, médecin généraliste à Chalindrey. Plusieurs de ses patients se sont retrouvés dans cette situation ; il se dit également proche du personnel de l’hôpital : "Je ne remets pas en cause les soignants. Ils font du mieux qu’ils peuvent, avec les moyens qu’ils ont".
Une politique de l’autruche ?
Le 26 octobre 2024, le centre hospitalier est au cœur de la polémique lorsqu’un patient explique, appuyé par des images filmées avec son portable, qu’il a été pris en charge et suivi dans le garage SMUR des urgences. Cela faisait près de deux ans que ce garage sert parfois de salle de surveillance de soins.
Face au scandale, l’Agence régionale de santé (ARS) du Grand Est a demandé après injonction la fermeture immédiate du garage. Les patients sont replacés dans les couloirs, non plus sur des lits, mais sur des brancards. Toujours le même problème : un manque de place. Le personnel soignant et les médecins accusent l’ARS d’une "politique de l’autruche", déplaçant le problème plutôt que d’y répondre. Finalement, la situation actuelle est-elle pire ?
"Ce qui est sûr, c’est que cette décision "garage" était la moins pire des solutions de notre garde soignant", assure le docteur Véronique Midy, médecin généraliste à Fayl-Billot. Elle aussi est en lien étroit avec le personnel des urgences. "Cela permettait de délester les couloirs des urgences de Langres qui ne sont pas adaptés pour accueillir des brancards. Cela permettait d’héberger les patients sur des lits et diminuer ainsi le risque d’escarres. Cela leur permettait d’avoir des paravents pour pouvoir faire leur besoin et leur toilette intime avec le minimum de dignité qu’on peut leur garantir dans ces cas-là."
Une situation qui risque d’empirer
Des patients dans les couloirs, mais aussi dans les salles d’examens, des délais d’attente de plus en plus long, la faute d’un service engorgé. Et cette situation déjà tendue inquiète pour les semaines à venir ces médecins et le personnel soignant. En effet, la période hivernale est propice à la hausse de maladies telles que la grippe. La demande s’accentue avec, en face, une diminution de l’offre puisque les médecins généralistes et hospitaliers posent leurs congés.
"Pénurie de places, pénurie d’ambulance, les appels du SMUR sont surchargés. Tout cet engrenage médical où on devrait y mettre de la graisse, on y met du sable. Il y a 30 ans, c’était bien huilé, et cela fonctionnait bien".
Docteur François Molli
"Nous sommes dans un entonnoir qui nous étrangle. La situation est similaire partout que ce soit à Langres, Chaumont, ou Vesoul, pour ne parler que des établissements sur notre bassin de vie, avec des patients sur des brancards. C’est un problème national depuis des années", souligne le Dr Midy.
"Quelle que soit la taille des hôpitaux, on a quand même eu des fermetures successives de lits (une vingtaine en deux ans concernant l’hôpital de Langres, ndlr), avec une population qui vieillit, une population de plus en plus polypathologique. Et lorsqu’elle décompense, elle va aussi décompenser plusieurs maladies d’un coup".
Au docteur Molli d’ajouter : "Pénurie de places, pénurie d’ambulance, les appels du SMUR sont surchargés. Tout cet engrenage médical où on devrait y mettre de la graisse, on y met du sable. Il y a 30 ans, c’était bien huilé, et cela fonctionnait bien".
Une première injonction de l’ARS contre ce garage en 2023
La rédaction de France 3 Champagne-Ardenne a tenté de contacter la direction de l'établissement. Sans succès. L’Agence régionale de santé (ARS) du Grand Est a, en revanche, tenu à s'exprimer et assure avoir pris des dispositions à la suite du scandale. Cependant, elle rappelle qu’elle avait déjà adressé une première injonction à l’encontre de l’utilisation de ce garage comme hébergement des patients le 30 juin 2023.
Une enquête interne a également été demandée à l’établissement pour établir les causes, alors qu’une inspection est en cours et se poursuivra en janvier 2025. En parallèle, des réunions régulières avec le personnel soignant sont entretenues et une cellule de crise est mise en place depuis le 20 décembre avec les équipes.
"De plus, un audit sera réalisé auprès de la société française de médecine d’urgence (SFMU) qui posera un diagnostic et des mesures adaptées au territoire", poursuit l’ARS. "Nous travaillons avec l’ensemble de la communauté médicale du groupement hospitalier de territoire Aube/Haute-Marne pour promouvoir des solutions alternatives à l’hospitalisation avec des initiatives comme le développement de la prise en charge ambulatoire, une meilleure planification des hospitalisations et des consultations, ou encore l’amélioration des relations entre la ville et son hôpital." Objectif donc : améliorer le parcours de soins du patient.
Nouvel hôpital de Langres : bientôt la pose de la première pierre ?
Ces engagements à court et moyen terme s’inscrivent dans la logique du projet des hôpitaux du centre et du sud Haute-Marne : la construction de deux hôpitaux, l’un à Langres, l’autre à Chaumont, ainsi que la modernisation de celui de Bourbonne-les-Bains. Un projet déjà validé depuis décembre 2022.
L’ARS se veut optimiste : "Du concret arrive très prochainement". En effet, le Conseil départemental de Haute-Marne demeure intransigeant sur le calendrier du nouvel hôpital de Langres qui sera le premier des établissements à sortir de terre. Il presse l'INRAP (institut national des recherches archéologiques préventives) pour effectuer des fouilles archéologiques le plus rapidement possible.
Le diagnostic de l'ancienne base militaire, où doivent être construit le futur hôpital et le centre des pompiers, doit être réalisé dès la deuxième quinzaine de janvier 2025. "Il n'est pas question de reporter le calendrier", soutient le conseil départemental.