Gérald Claudet a passé une nuit hospitalisé dans un garage de l'hôpital de Langres, faute de place ailleurs dans l'établissement. Loin d'être une exception, cette situation est liée à la suppression d'une trentaine de lits l'an dernier. Un arbre qui cache la forêt.
"J'en viens à me demander pourquoi on paye des impôts ? On est une des plus grandes puissances mondiales et on en est réduit à ça !". Les mots ne manquent pas à Gérald Claudet pour qualifier sa mésaventure à l'hôpital de Langres.
Le 26 octobre, il est hospitalisé pour une douleur intestinale. On lui annonce qu'il sera hospitalisé deux à quatre jours en fonction de sa guérison.
Un premier élément surprend le patient : il reste hospitalisé aux urgences et non pas à l'étage de l'établissement. Un membre de l'équipe soignante lui annonce avec une pointe d'ironie "vous avez de la chance, on ne vous a pas mis dans le garage".
Mais ce qu'il pensait être une plaisanterie devient réalité à une heure du matin : "On m'annonce qu'il y a trop de monde aux urgences et que je dois libérer la place que j'occupe pour récupérer les appareils que je n'utilise pas". Gérald est alors transféré dans un endroit pour le moins insolite dans un établissement de santé : on l'installe dans le garage qui sert habituellement à garer l'ambulance du SAMU.
On m'annonce qu'il y a trop de monde aux urgences et que je dois libérer la place que j'occupe pour récupérer les appareils que je n'utilise pas
Gérarld Claudet, patient des urgences de Langres
"Les bras m'en tombent, c'est le désarroi total" confie l'habitant de Seine-et-Marne venu voir sa famille en Haute-Marne. Il se retrouve entouré de deux portes de garages, dans un endroit rudimentaire, recouvert de béton brut, séparé de ses trois autres camarades de "chambre" par un paravent recouvert de draps.
Pour documenter sa péripétie, il a capté cette vidéo dans laquelle on voit des chambres improvisées dans le garage entre des lits, des brancards et du matériel médical.
L'endroit semble abriter régulièrement des patients : il est équipé de lampes chauffantes et d'un radiateur. On lui confie que parfois, c'est jusqu'à 9 patients qui occupent ce garage.
Gérald ne dort pas de la nuit : les bruits autour de lui dépassent les 55 décibels selon les mesures qu'il a faites avec son téléphone.
Le lendemain, sa décision est prise : "je ne veux pas rester une heure de plus ici, quitte à être perfusé chez moi". En accord avec son médecin, il quitte l'hôpital après seulement une nuit au lieu de deux à quatre initialement prévues.
Certains, désabusés, ont ironisé de cette triste situation, comme cet urgentiste de Langres ayant démissionné récemment. Dans un post Facebook, il partage une caricature accompagnée du commentaire "Accueil 24H/24H pour travaux en tous genres : vérification de la température moteur, contrôle de la pression, vidange, graissage, correction d'optiques, changement de rotules, passage à la valise diagnostique, implantation de carburateur électrique, décalaminage des échappements..."
Un garage utilisé depuis au moins un an
Dès le lendemain de sa nuit blanche chaotique, Gérald décide de ne pas en rester là : il contacte plusieurs médias, écrit au directeur de l'hôpital, à l'ARS, au ministère de la Santé. Pour l'instant, il n'a pas reçu de réponse à part l'ARS qui l'informe de l'ouverture d'une réclamation "un peu comme pour du SAV, ça me fait rire" confie le patient désabusé.
Selon les associations de santé qui militent pour de meilleurs accès à la santé en Haute-Marne, le cas de Gérald, c'est la partie immergée de l'iceberg : "ce monsieur, c'est le porte-parole de tous ces patients qui ont passé une nuit, un jour dans ce garage" confie Mathieu Thiebaut, président de l'association Avenir santé sud Haute-Marne. Selon lui, une centaine de personnes ont subi un passage dans cet endroit plus apte à abriter des véhicules utilitaires que des citoyens en quête de soins.
Un ancien patient nous a d'ailleurs envoyé une vidéo tournée il y a un an dans laquelle on voit déjà des lits d'hôpitaux installés dans le même garage.
Une trentaine de lits remplacés par des bureaux
Cette situation n'est pas une surprise pour les professionnels de santé : "voilà un an qu'on alerte sur la situation" confie le docteur Véronique Midy, médecin généraliste et coprésidente de l'association Égalité santé. Une trentaine de lits, situés à l'étage supérieur ont été supprimés ces dernières années. "Au début, c'était en raison d'un manque de personnel soignant, mais maintenant il n'y a aucune volonté de rouvrir ces lits de la part de l'administration". En effet, tout l'étage a été récemment transformé en bureau pour l'administration. Ces derniers occupaient initialement un bâtiment voisin qui a été vendu à un célèbre brocanteur.
Initialement, ces fermetures de lits avaient lieu l'été pour permettre au personnel de partir en vacances. Mais le temporaire est devenu définitif et les urgences sont de plus en plus surchargées.
Pire : la surcharge ne se limite plus aux deux pics saisonniers, pendant la période hivernale et l'été, mais toute l'année.
"Les soignants sont très affectés, ils savent que ce n'est pas humain. Mais ils n'ont pas le choix. Ils sont victimes des fermetures de lits" confie la généraliste, elle qui redoute d'annoncer à ses patients qu'ils vont être hospitalisés, vu les conditions d'accueils.
Un combat de longue haleine
La situation de l'offre de soin dans le sud de la Haute-Marne mobilise régulièrement citoyens et soignants. Le 19 octobre, environ 1500 personnes ont manifesté à 35 kilomètres de Langres, à Chaumont pour dénoncer l'implantation d'un nouvel hôpital dans la capitale administrative du département, au détriment de l'actuelle offre de soins à Langres.
Les associations Égalité santé et Avenir santé sud Haute-Marne militent pour l'ouverture d'une unique structure à mi-chemin dans la ville de Rolampont, ce qui permettrait, selon eux, que seulement 10% des habitants du secteur, soient à plus de 40 minutes du plateau technique de l'hôpital, contre 25% en cas d'implantation à Chaumont.
Mais l'avenir ne semble pas s'éclaircir : le président d'Avenir santé sud Haute-Marne, Mathieu Thiebaut, dit se sentir méprisé de la part des élus qui feraient la sourde oreille face à leurs préoccupations. Et il s'interroge : "faut-il brûler une voiture pour être écouté ?".
Moins visible qu'un feu de voiture mais aux conséquences plus destructrices sur le système de santé : une infirmière sur deux a quitté l'hôpital après dix ans de travail.