C'est une native de Vroncourt-la-Côte (Haute-Marne), qui a eu un destin national : Louise Michel. Au cours de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques (JO) de Paris 2024, le vendredi 26 juillet, le tableau de la Sororité a été marqué par l'élévation de dix statues dorées de femmes, parmi lesquelles Louise Michel. Depuis, il est régulièrement question de les conserver. La mémoire de l'anarchiste, communarde, et féministe, serait ainsi perpétuée.
"Ah ça ira, ça ira, ça ira..." La cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de Paris 2024, le vendredi 26 juillet, n'a pas été émaillée que d'une référence au passé révolutionnaire français. On retient surtout la décapitation de Marie-Antoinette, accusée de complot contre l'État, pendant le tableau Liberté.
Mais durant celui de la Sororité, alors que retentissait La Marseillaise, dix statues dorées se sont élevées de leur piédestal, sur la Seine. Y compris celle de Louise Michel. Elle est née en 1830, sous la Restauration monarchique des Bourbons. Plus précisément au château de Vroncourt-la-Côte (Haute-Marne).
L'institutrice a épousé les causes anarchiste et féministe, et participé aux événements de la Commune de Paris. Depuis le mercredi 31 juillet, il est question à Paris de conserver cette statue (et les autres) pour perpétuer la mémoire de ces grandes dames de l'histoire de France. On en a parlé pendant toute la première quinzaine d'août, car il existe bien peu de statues féminines dans l'espace public qui ne soient pas des saintes ou, des déesses ou créatures mythiques à moitié nues. Et encore plus rares sont les femmes politiques statufiées : les artistes féminines ont plus la côte.
Pour en apprendre plus sur cette figure révolutionnaire, France 3 Champagne-Ardenne a fait appel à Alexandre Niess, professeur agrégé d'histoire au lycée François Ier de Vitry-le-François (Marne). Il raconte que "c'est une fille illégitime. Sa mère est une servante qui travaille au château. Ça serait la fille du fils du châtelain." Mathilde Larrère, maîtresse de conférences à l'université Gustave Eiffel et spécialiste des mouvements révolutionnaires du XIXe siècle, que nous avons également sollicitée, ajoute que "son père ne l'a pas reconnue". Elle est l'autrice de Rage against the machisme, qui raconte l'histoire des féminismes de la Révolution française jusqu'à nos jours.
Une jeune femme éduquée et inspirée
Selon Alexandre Niess, "aucun document ne l'atteste, mais pendant toute sa jeunesse, elle porterait le nom Demahis : c'est celui des châtelains, qu'elle considère comme ses grands-parents. Elle a de la chance : ils ont eu à cœur de lui fournir une bonne éducation."
"Je pense que son vécu la pousse beaucoup à s'intéresser au sort de ceux en situation de fragilité. C'est ce qui mènera par la suite à ses convictions sociales. Comme elle a reçu une éducation, elle constate rapidement que c'est un élément essentiel de la construction d'un individu. Théoriquement, cette fille de servante n'aurait pas dû y avoir accès. C'est donc un vecteur de promotion sociale très important."
C'est pourquoi elle va "tout mettre en œuvre" pour devenir institutrice, son éducation l'aidant à passer ses certificats. Mais nous sommes à nouveau en période troublée : Louis-Napoléon Bonaparte met fin à la Deuxième République au profit du Second Empire.
"Elle devrait prêter serment, en tant que fonctionnaire, auprès de l'empereur. Mais elle refuse de le faire." Ne désirant pas sacrifier ses idéaux, elle commence alors à fonder des écoles dites libres en Haute-Marne grâce aux lois Guizot et Falloux. Ces projets sont facilités depuis la mort des châtelains Demahis, qui lui ont laissé de l'argent. Elle doit toutefois cesser de porter leur nom de famille, et prend celui de sa mère, Michel. On ne peut pas visiter ce château, qui n'existe plus après son écroulement, mais le village rappelle en plusieurs endroits la mémoire de son illustre citoyenne.
Des penseurs et des combats
"Elle est républicaine mais n'est pas la seule", précise Mathilde Larrère. "Un certain nombre d'hommes et de femmes qui ont refusé de prêter ce serment. Beaucoup d'instituteurs et d'institutrices l'ont fait, mais aussi d'autres professions. Ce serment concerne toute la fonction publique : justice, administration..."
Le temps de Paris vient peu après, "à partir de 1856", raconte Alexandre Niess. Elle y enseigne, et vit de sa plume, publiant poèmes, nouvelles et romans. Elle en envoie à Victor Hugo, qui la remarque et l'estime. C'est réciproque. "Son nom de plume est Enjolras, un personnage de Victor Hugo." Il (c'est un homme) apparaît dans Les Misérables. Son auteur signera un poème dédié à Louise Michel pour la défendre après la Commune. "C'est un homme de lettres, mais aussi politique. Leurs idées ne sont pas similaires, mais proches."
Elle s'entoure aussi de figures militantes. Ses convictions politiques étaient déjà un peu ancrées : on ne refuse pas d'honorer l'empereur sans raison, et elle éprouve un désir ardent "d'égalité pour tous". Mais la capitale va renforcer cet idéal via les pensées du socialisme utopique, et les thèses de Pierre-Joseph Proudhon et Auguste Blanqui, préfigurant "l'anarchosyndicalisme ou l'anarchisme révolutionnaire". Ces idées, "confortées par Paris et les groupes de pensée" qui s'y trouvent, vont "trouver leur point d'orgue lors de la Commune de Paris, et jusqu'à la fin de sa vie."
Mathilde Larrère cite de nombreuses femmes avec qui Louise Michel échangeait. "Avant la Commune, elle était proche de Paule Minck et Andrée Léo. Pendant, elle a rencontré Élisabeth Dmitrieff." Cette dernière était l'une des cheffes de file des Communardes. "Même si Louise Michel n'appartenait pas à l'Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés." Et elle a donné de nombreuses conférences avec d'autres femmes. Sans oublier sa grande proximité avec l'anarchiste Nathalie Lemel, et sa rencontre avec Emma Goldman, qui a connu quantité de révolutions.
Des ami(e)s mais aussi pas mal d'ennemis
Assez logiquement, Louise Michel reçoit des quolibets en quantité, et d'horribles propos injurieux, rapporte Mathilde Larrère. "Comme toutes les femmes avant et après elle, mais peut-être elle plus encore car elle est particulièrement révolutionnaire, elle a concentré tous les discours" de haine contre les femmes militantes. "On l'a présentée comme laide, folle et hystérique. Il y a eu tout un tas de discours sur sa sexualité, ce qui est assez classique quand on attaque les femmes en politique."
"On la qualifie de Vierge rouge [un terme réanalysé de nos jours; NDLR]. Maintenant, le terme est parfois utilisé en sa faveur, mais au début, c'était un terme utilisé par la droite pour la déconsidérer. Pour dire, en gros, que si elle avait un homme et une vie sexuelle, elle ne serait pas révolutionnaire. On la dit travaillée par sa vie sexuelle, soit d'une asexualité inquiétante... C'est un véritable florilège." On en retrouve une bonne part dans l'ouvrage de Sidonie Verhaege, Vive Louise Michel, célébrité et postérité d'une figure anarchiste. Paradoxalement, dans son propre camp, on l'érige parfois comme une figure... lesbienne, que l'histoire aurait hétérosexualisée (voir le tweet ci-dessous).
On peut évidemment s’interroger sur le fait que le mot « lesbienne » ne soit jamais prononcé, même comme adjectif. Il n’y a visiblement aucun consensus des historien•ne•s sur ce qu’était la vie sexuelle de Louise Michel. Faute de sources.
— Rachel Garrat-Valcarcel (@Ra_GarVal) August 31, 2021
"Le problème, c'est qu'on n'en sait pas grand-chose... Ce qui est sûr, c'est qu'elle n'a pas été mariée. Les liaisons hétérosexuelles qu'on lui prête ne sont pas prouvées. C'est difficile de savoir. Elle avait des activités avec des hommes, avec des femmes. Avec qui avait-elle des activités érotiques, si elle en avait ? On ne sait pas." La possibilité est suggérée dans l'ouvrage de Sidonie Verhaege. "Cela n'aurait rien d'étonnant. Mais on n'a aucun texte, papier, archive, qui permette de le dire." En attendant de trouver une nouvelle source dans un grenier ou une brocante, comme ça arrive parfois...
Solidarité jusqu'au bout
Des idées qui vont causer pour la Louise Michel plusieurs démêlés avec la justice. "Quand on met Louise Michel en prison", s'amuse Mathilde Larrère, "ça pose souvent un certain nombre de problèmes aux autorités. Elle est connue, donc ça crée des mouvements de protestation. Et les autorités essaient souvent de gracier Louise Michel... ce qu'elle refuse tant que les autres, moins célèbres, ne peuvent pas sortir aussi. Elle a une grande tendance à refuser de sortir de prison..."
Pour Alexandre Niess, "quand elle se fait arrêter parce qu'elle fait des conférences et que ses propos tombent sous le coup de la loi, elle est arrêtée, jugée, et emprisonnée. Jamais elle n'essaye de s'y soustraire. Toujours, elle revendique ses actes, assume."
Elle veut même être condamnée comme les hommes, c'est-à-dire plus sévèrement... en théorie. "Parfois, ses homologues masculins avaient tendance à vouloir assouplir leurs peines." Pas elle. "Heureusement qu'elle n'a pas été condamnée comme les hommes, quelque part. Sinon, elle aurait été fusillée en 1871", après les évènements de la Commune. "Elle l'a réclamé."
La Commune...
On limite souvent la Commune à Paris, "mais il y en a aussi eu une à Lyon" (Rhône), rappelle Alexandre Niess à titre d'exemple. C'était d'ailleurs la première d'entre elles. C'est aussi le cas de Marseille (Bouches-du-Rhône). "Ces mouvements insurrectionnels naissent au lendemain de la chute de l'Empire, et de la reprise des affaires courantes par un gouvernement d'union nationale. C'est une coalition, plutôt républicaine, où on retrouve toutes les tendances politiques, y compris monarchistes."
L'Empire est tombé avec la capture à Sedan (Ardennes), le 2 septembre 1870, de l'empereur Napoléon III, ex-président Louis-Napoléon Bonaparte. "Mais ce n'est pas la fin de la guerre. Les Prussiens continuent à avancer et vont dresser le siège de Paris. Ce qui explique l'exil du gouvernement à Bordeaux, avant de se réinstaller à Versailles."
"Les Parisiens vont créer cette Commune en résistance au siège des Prussiens. Ils réclament dans le même temps une radicalisation du gouvernement pour l'instauration d'une République plus sociale, dans la veine des courants libertaires de gauche du XIXe siècle. Cette Commune de Paris va se rendre autonome, car exclue du territoire en partie occupé par les troupes prussiennes, notamment le nord de la France."
"Malgré la fin de la guerre franco prussienne, la Commune va poursuivre son action : pour elle, le combat n'est pas terminé, car il doit s'achever par la mise en place de cette République sociale. S'engage un bras de fer avec le gouvernement, principalement dirigé par Thiers." Il est officiellement chef du pouvoir exécutif, le poste de président de la République n'existant pas encore.
"La Commune devient vraiment révolutionnaire à partir du moment où il y a une confrontation, et que Thiers choisit une opposition militaire. C'est l'affaire des canons : il veut faire récupérer ceux du quartier de Belleville, qui ne sont pas protégés, pour s'en servir contre la Commune de Paris. C'est resté un épisode fondamental, parce que dans la mémoire des nouveaux libertaires, c'est la confirmation du fait que les élites s'opposent à l'imposition d'une véritable République, au nom de la défense leurs intérêts propres."
... et la Communarde
Et Louise Michel dans tout ça ? Alexandre Niess raconte que "d'abord, elle participe aux barricades, aux combats, notamment à Issy-les-Moulineaux. Ensuite, certains révolutionnaires sont arrêtés par les troupes soumises au gouvernement, la mère de Louise Michel aussi. Elle se rend donc à la police pour que sa mère puisse être libérée. Elle s'extrait donc du dernier temps de la Commune."
L'arrestation ayant lieu le 24 mai, La militante n'est plus présente pendant les derniers jours de la Semaine sanglante, qui voient se multiplier les incendies des grands monuments et des précieuses archives de Paris, et l'exécution de quelques dizaines d'otages. Les jours précédents, elle avait participé aux combats autour de la butte de Montmartre. La Commune s'achève le 28 mai 1871. Les troupes dites versaillaises, décrites comme impitoyables, seraient responsables de la mort de 10 000 à 20 000 personnes.
"Dans son procès, elle revendique toutes les actions qu'elle a menées pendant la Commune." On l'a dit, malgré sa volonté d'être jugée aussi sévèrement que ses comparses, elle ne sera pas exécutée. Elle s'est d'ailleurs attiré la sympathie de Georges Clemenceau (il signait sans l'accent), plus tard surnommé Le Tigre. Il est à l'époque maire du XVIIIe arrondissement de Paris, qui comprend Montmartre, l'épicentre de la contestation.
Déportée, bannie
"Elle va être emprisonnée pendant deux ans en maison centrale d'Auberive, en Haute-Marne, dans une ancienne abbaye." Condamnée au bagne en Nouvelle-Calédonie, c'est en 1873 qu'elle y est déportée, avec d'autres Communardes, explique Alexandre Niess.
"En Nouvelle-Calédonie, elle demande aussi à subir les mêmes peines que ses camarades masculins. Elle va y reprendre le fil conducteur de sa vie, garder sa colonne vertébrale, si je peux dire : défendre les opprimés, instruire les plus défavorisés. C'est vraiment sa pensée tout au long de sa vie. Elle va continuer son métier d'institutrice, en faveur des populations kanak notamment, dont elle va apprendre la langue. Elle va essayer de comprendre leurs us et coutumes pour participer à leur instruction."
Remises de peine et amnisties finissent par survenir. "Elle finit par revenir à Dieppe, puis s'embarque jusqu'à la gare Saint-Lazare où elle est accueillie par une foule de Parisiens venus la célébrer. Elle reprend une vie assez classique, où elle enseigne. Toujours teintée de militantisme, évidemment : elle va continuer à prendre la plume, faire des conférences et des discours. Ce qui va l'amener à être emprisonnée à nouveau, tantôt pour un mois, tantôt pour trois mois... Puisque ses prises de position restent très avancées, même si l'on est dans un cadre républicain : certains de ses propos restent condamnables par la loi."
Elle se rend aussi à Londres, la capitale de l'Empire britannique. "Pendant cinq ans, elle va y créer des écoles et donner des cours. Elle revient ensuite à Paris. Et termine sa vie avec des conférences qu'elle donne à droite à gauche : Vienne, Marseille... " C'est là qu'elle termine sa vie. "Elle était atteinte de bronchites chroniques. Elle aurait pris un coup de froid, qui se serait transformé en pneumonie." Elle disparaît le 9 janvier 1905. Mais pas son souvenir, loin de là : un grand hommage populaire lui est rendu.
Elle a travaillé à son image de femme en noir intransigeante qui renonçait à sa liberté pour les autres.
Mathilde Larrère, maîtresse de conférences à l'université Gustave Eiffel et spécialiste des mouvements révolutionnaires du XIXe siècle
Pour Mathilde Larrère, qui cite le livre de Sidonie Verhaeghe, Louise Michel fait partie de ces figures qui ont su construire et entretenir leur mythe de leur propre vivant. "Elle est restée active, très présente après la Commune, quand d'autres ont disparu. Et elle a beaucoup travaillé, elle-même, à sa communication et à son image de femme en noir intransigeante qui renonçait à sa liberté pour les autres. Elle a beaucoup sacrifié aux causes qu'elle défendait."
Elle prétendait aux journalistes s'être mariée, tous bondissaient pour l'interviewer (contre une forte somme d'argent, véritables enchères), et elle leur racontait tout autre chose avant de reverser l'argent à des proches se trouvant en prison, ou à leurs familles. "Elle jouait avec beaucoup d'habileté sur sa propre communication", d'une façon presque moderne. "Elle a énormément travaillé à se présenter comme figure de la Commune en multipliant les conférences." Sa correspondance atteste même qu'elle a longuement échangé avec le musée Grévin, qui n'a pas attendu sa mort pour la statufier : elle avait une idée bien précise de la robe que sa représentation devait porter, et a insisté là-dessus.
Anarchisme et drapeau noir
Il peut paraître étonnant de voir presque sacralisée une figure souvent associée à l'anarchisme. Alexandre Niess postule que la proximité avec Auguste Blanqui a influé dans les idées de Louise Michel. "Cette pensée anarchiste se développe dès les années 1830 et 1840. Et Louise Michel va s'inscrire dans cette veine assez rapidement. Même si au départ, elle est révolutionnaire dans le sens où elle veut la défense des opprimés. Le système politique lui importe peu, tant que celui-ci est en faveur des plus pauvres."
"Or, le pouvoir bonapartiste dérive assez rapidement : l'empereur veut l'ordre avant les mesures sociales. Une fois l'ordre revenu, viendront les mesures sociales. Sauf qu'on est au XIXe siècle. Et l'ordre, il ne revient jamais vraiment : c'est un perpétuel bouillonnement d'idées politiques très fortes et radicales qui vont s'opposer."
Ainsi, "Louise Michel souhaite la République en tant que système d'égalité pour tous, quels que soient : la condition sociale, le genre, les opinions politiques. C'est pour ça qu'elle est républicaine au départ. Mais ses idées se radicalisent au fur et à mesure, sous l'influence des Blanquistes notamment, et elle glisse petit à petit vers l'anarchisme. Avant tout car elle se sent obligée de prendre la voie révolutionnaire. Pour elle, la République ne pourra se mettre en place que par la révolution; la réforme ne pourra pas suffire. Comme la révolution n'aboutit pas, cela radicalise le discours."
Certains historiens considèrent que c'est la première à véritablement défendre l'idée du drapeau noir.
Alexandre Niess, professeur agrégé d'histoire sociale et politique contemporaine
"Ce qui fait que nous, on la considère comme une anarchiste. Elle revendique le drapeau noir" des anarchistes, précise Alexandre Niess. "Certains historiens considèrent que c'est la première à véritablement défendre l'idée du drapeau noir, par rapport au drapeau rouge. Non pas pour signifier que le rouge n'est pas assez vindicatif, mais pour le dépasser. Pour elle, le drapeau rouge, c'est le drapeau du sang de tous ceux qui sont tombés pour la Commune, qui sont tombés pour rien. Et quand elle prend le drapeau noir, c'est le drapeau du deuil, si vous voulez. C'est une façon de célébrer les morts de la Commune, notamment ceux de la Semaine sanglante."
"De là à dire qu'elle aurait préféré un système anarchiste - sans état ni système - à une République ? Je ne suis pas certain qu'in fine, ça aurait pu convenir à Louise Michel. Si la République avait été plus sociale, elle n'aurait pas forcément été dans un mouvement révolutionnaire qui aurait cherché à déstabiliser cette République. Contrairement à d'autres anarchistes, pour qui le système politique quel qu'il soit ne peut être que mauvais."
Pour Mathilde Larrère, c'est plutôt après la Commune que Louise Michel épouse les thèses anarchistes, "au contact de Nathalie Lemel. On raconte beaucoup que c'est à son contact qu'elle y est devenue de plus en plus favorable. Au départ, Louise Michel était une Républicaine, une démocrate sociale, proche du socialisme." Si l'on cite souvent Blanqui, l'historienne le présente "plutôt comme un Républicain, un démocrate social. Il n'est pas favorable à l'anarchisme; il est au contraire assez favorable à l'État." Ses actions au cours de la Commune l'ont aussi amenée à "rencontrer un grand nombre d'anarchistes".
Pas la première femme révolutionnaire
Après ces événements, rappelle l'historienne Mathilde Larrère, "lors d'une manifestation dans un contexte de chômage et de crise, la foule s'en prend à des boulangeries pour les piller. Les gens ont faim. Et à ce moment-là, elle arbore le drapeau noir. Elle le justifie en expliquant qu'elle ne peut plus prendre le drapeau rouge de la Commune, parce qu'il est rouge du sang des Communards. Elle choisit, elle assume à ce moment-là ce drapeau qui existait déjà avant. Il était connu, il a déjà utilisé lors [des révoltes] des canuts."
Alexandre Niess raconte que Louise Michel a été inspirée par des femmes révolutionnaires. "Il y a eu la création de la Société des femmes révolutionnaires de Paris, pendant la Révolution, avec des femmes comme Claire Lacombe et Pauline Léon." Cette dernière a participé à la prise de la Bastille, rien que ça. "Elles ne sont pas très connues du grand public. Elles réclamaient l'égalité entre les femmes et les hommes, demandaient qu'elles puissent participer à la Garde nationale, au même titre que les hommes."
"Ce qui est intéressant, c'est que Louise Michel reprend les idées de ces femmes, et va les appliquer. Sous la Commune de Paris, elle va s'engager militairement, porter les armes au sein du 161e bataillon de la Garde nationale pour la défense de Paris."
L'historien cite aussi Anne-Josèphe Théroigne de Méricourt. "Certains surnomment Louise Michel la nouvelle Théroigne." Elle aussi réclamait les mêmes droits que les hommes. Ses salons étaient courus par de grands noms de la Révolution. Et elle appelait carrément les femmes à s'inspirer des Amazones pour participer à la guerre. Elle passera plus de 20 ans à l'asile, un sort pas bien enviable à la lame de la guillotine qui viendra faucher Olympe de Gouges.
Cette dernière (qui a aussi eu sa statue lors de la cérémonie des JO) est la rédactrice de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Sans grande surprise, les députés de la première Assemblée nationale législative ne s'empresseront pas de s'y intéresser, encore moins de la voter et appliquer (ça n'arrivera jamais).
"Toutes ces femmes vont lui servir de modèle. Quand elle arrive à Paris, elle n'est pas la seule femme présente dans les cercles qu'elle fréquente. Pour l'essentiel, elle les appelle ses compagnonnes. Comme Louise Michel, certaines vont participer à la Commune de Paris."
Égalité des droits... pour les animaux aussi
Par ses positions révolutionnaires pour l'époque, la France n'a pas oublié Louise Michel. Quantité d'écoles portent son nom (même si sans surprise, ses idées révolutionnaires n'ont pas toujours inspiré les gouvernants). Et on se surprend à découvrir ses positions tranchées au sujet de la condition animale.
"Un point a été soulevé par des historiens", relève Alexandre Niess. "Pour elle, les êtres vivants sont un peu tous sur le même plan. Que ce soit les hommes et les femmes, mais aussi les animaux, notamment les bêtes de somme. Pour reprendre une expression de Hannah Arendt, 'ce qu'elle repousse, c'est la domination d'un individu sur un autre être vivant'. C'est ainsi qu'elle rejette de la domination de l'homme sur la femme, tout comme sur l'animal. En tant que défenseuse de la liberté, elle fait primer la liberté, naturelle notamment."
"Celle-ci fait que la femme et l'homme possèdent la même liberté naturelle de base, et c'est aussi le cas pour l'animal et l'homme. Ainsi, il est inhumain de réduire un autre humain en esclavage, autant il l'est aussi de réduire en esclavage un animal. Les travaux forcés des bêtes de somme lui sont donc aussi insupportables que le travail des mineurs au fond des mines. Pour elle, il n'y a pas de hiérarchie. Ce qui fait qu'elle adopte des positions qui sont très avant-gardistes pour son époque, vis-à-vis de cette cause."
Jamais oubliée
Si Louise Michel a été fortement mise en avant dans l'espace public (Mathilde Larrère verrait bien sa statue olympique devant le Sacré-Coeur), c'est paradoxalement moins le cas dans les programmes scolaires. Depuis 2019, Alexandre Niess précise qu'"on peut évoquer très rapidement la Commune de Paris dans le programme de première. Et Louise Michel fait l'objet d'un point de passage et d'ouverture." (revoir sa ville de naissance sur la carte ci-dessous).
"Mais dans la mémoire collective, [il y a] sa célébrité de son vivant. Elle était très connue. Elle a défendu ses convictions, certes en outrepassant la loi, mais toujours en les assumant. Ça en fait une figure droite, un modèle pour une partie de la gauche révolutionnaire : un modèle qui a ancré sa mémoire dans tous les courants de gauche, des socialistes jusqu'aux anarchosyndicalistes et révolutionnaires."
"Et il y a le fait que des personnages comme Victor Hugo ou Georges Clemenceau aient pris sa défense de son vivant, et participé, entre guillemets, à la construction de sa légende. Tout ceci fait que Louise Michel est une figure très particulière de son époque." Donnant un souvenir particulier. Sa mémoire vivra encore longtemps.