Le scoop du siècle de Reims enfin reconnu

En 1945, le journaliste américain Edward Kennedy avait annoncé en exclusivité la reddition des troupes allemandes.

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Reims-51 : 8 mai 1945

En 1945, le journaliste américain Edward Kennedy avait annoncé en exclusivité la reddition des troupes allemandes.

L'agence de presse américaine Associated Press (AP) a présenté ses excuses posthumes à un journaliste qu'elle avait licencié. Edward Kennedy avait brisé un embargo
militaire en annonçant avant l'heure la capitulation de l'Allemagne, dès le 7 mai 1945.

Cette nouvelle, le plus gros scoop de la guerre, avait également entraîné l'expulsion du journaliste, Edward Kennedy, de l'armée américaine auprès de laquelle il était accrédité.
"C'était un jour affreux pour AP. Cette affaire a été gérée de la pire des manières", a déclaré le patron de l'agence américaine, Tom Curley.

M. Kennedy faisait partie d'un groupe de 17 journalistes présents à Reims le 7 mai 1945 pour couvrir la réunion lors de laquelle les forces allemandes ont signé leur reddition. Mais l'Union soviétique de Staline souhaitait que la victoire soit annoncée à Berlin, que l'Armée rouge venait de prendre quelques jours avant, et les journalistes avaient accepté d'attendre qu'une deuxième cérémonie y soit organisée avant de diffuser l'information.

Edward Kennedy - Journaliste Associated Press.

Crédit : AP Photo / Sam Golstein

Les journalistes s'étaient vus demander de retenir l'information pendant quelques heures, puis finalement 36 heures, soit jusqu'à 15H00 le 8 mai 1945, ce que le journaliste d'AP n'avait pas fait. A raison, selon le patron de l'agence de presse. "Lorsque la guerre est terminée, on ne peut pas retenir l'information de cette manière. Le monde a besoin de savoir", a déclaré Tom Curley. Edward Kennedy est mort dans accident de voiture en 1963, mais sa fille Julia Kennedy Cochran, a estimé qu'il aurait été touché par les excuses présentées par son ancien employeur. "Je crois que cela aurait signifié beaucoup de choses pour lui", a-t-elle déclaré.

Le journaliste avait expliqué avoir demandé à un militaire chargé de la censure de lever l'embargo. Devant son refus, il avait utilisé un téléphone militaire non surveillé pour envoyer l'information au bureau d'AP de Londres, qui l'avait diffusée quelques minutes plus tard.

>> Voir la UNE du New-York Times du 8 mai 1945 (cliquez ici).

>> Voir l'acte de capitulation allemande signé à Reims le 7 mai 1945 par le maréchal Alfred Jold (cliquez ici).

Le récit...

Le lundi 7 mai à 2 h 41, dans une salle du Collège moderne et technique de Reims, les Alliés mettent fin à la Seconde Guerre mondiale en obtenant la reddition sans condition des armées du IIIe Reich. Mais le premier ministre britannique Winston Churchill et le président américain Harry Truman acceptent de ne pas en parler pour permettre au dirigeant soviétique Joseph Staline d'organiser une seconde cérémonie à Berlin : c'est le 8 mai 1945 qui restera dans l'histoire.

À Reims, 17 journalistes américains, dont Edward Kennedy, qui est mort en 1963, assistent à la reddition, mais s'engagent à attendre quelques heures avant de l'annoncer. Finalement, l'embargo sur l'information est prolongé de 36 heures, jusqu'au 8 mai à 15 h.

Edward Kennedy ronge son frein, trouvant "absurde d'essayer de retenir une information d'une telle importance", comme il l'écrira plus tard. Cependant, ce 7 mai, à 14 h 03, les autorités allemandes annoncent la capitulation sur une radio diffusée de la ville allemande de Flensbourg, contrôlée par les Alliés. La transmission a donc été autorisée par les censeurs militaires, qui n'ont toujours pas donné leur feu vert à la presse.

Furieux, Edward Kennedy va voir le chef de la censure américaine, mais ce dernier ne cède pas. Le journaliste rumine pendant un quart d'heure avant de se décider. Utilisant un téléphone militaire non surveillé, il appelle le bureau de l'Associated Press à Londres, qui diffuse l'information quelques minutes plus tard : l'Allemagne a capitulé.

Pour certains de ses confrères et concurrents, il vient de commettre une trahison aussi grave que l'attaque de Pearl Harbour, surtout qu'ils n'osent pas casser à leur tour l'embargo, que les censeurs militaires s'obstinent à maintenir. L'Associated Press gardera l'exclusivité de son scoop pendant toute une journée.

Les sanctions tombent: l'armée empêche brièvement l'Associated Press de diffuser toute information en provenance d'Europe. Quand l'interdiction levée, une cinquantaine de correspondants de guerre signent une lettre de protestation pour qu'elle soit prolongée.

Edward Kennedy est expulsé de France par l'armée. Le 10 mai 1945, le président de l'Associated Press, Robert McLean, présente des excuses pour avoir violé l'embargo et le journaliste est mis à la porte pour avoir violé l'engagement qu'il avait pris envers sa source.

Des journalistes soutiennent pourtant leur confrère, comme A.J. Liebling, qui dénonce «la reddition d'AP» dans un essai publié dans la revue «The New Yorker» le 19 mai 1945. Wes Gallagher, qui succède à Edward Kennedy à Paris, déclare au commandant suprême des Forces alliées, le futur président américain Dwight Eisenhower, qu'il aurait agi exactement comme son confrère, "sauf que je vous aurais d'abord appelé", selon le journaliste John Hightower, aujourd'hui décédé.

Après son renvoi de l'Associated Press, Edward Kennedy a continué à travailler dans la presse, à Santa Barbara, en Californie, puis au «Monterey Peninsula Herald». Il est mort dans un accident de la route en 1963, à l'âge de 58 ans.

Soixante-sept ans après les faits, le patron de l'Associated Press, Tom Curley, a présenté des excuses à la fille d'Edward Kennedy, Julia Kennedy Cochran.

"Cela a été un jour terrible pour l'Associated Press. Cela a été géré de la pire manière qui soit. Edward Kennedy a tout fait exactement comme il fallait", a-t-il dit la semaine dernière, en estimant que le journaliste n'avait plus de raison de respecter un embargo manifestement imposé pour des raisons politiques, et non pour protéger les soldats.

"Quand la guerre est finie, vous ne pouvez pas retenir une telle information. Le monde doit savoir", a estimé Tom Curley. Le renvoi d'Edward Kennedy a été "une énorme, énorme tragédie», a-t-il dit, saluant les journalistes qui «ont résisté au pouvoir".

Julia Kennedy Cochran s'est déclaré "folle de joie" que l'Associated Press présente enfin les excuses réclamées par son père. "Je pense que cela aurait beaucoup compté pour lui", a-t-elle dit.

AP

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