D'après le chef de l'Etat, l'exemple à suivre se situe outre-Rhin. Qu'en pensent les intéressés ?
Lors de son intervention télévisée hier soir, le président de la République Nicolas Sarkozy, n'a cessé de faire référence à l'Allemagne. D'après le chef de l'Etat français, l'exemple à suivre se situe bien outre-Rhin. Qu'en pensent les intéressés?
Lors de son intervention télévisée hier soir, le président de la République Nicolas Sarkozy, n'a cessé de faire référence à l'Allemagne. D'après le chef de l'Etat français, l'exemple à suivre se situe bien outre-Rhin. Qu'en pensent les intéressés?
Sarkozy présente des mesures "choc" contre la crise, fait un pas vers sa candidature - AFP
Nicolas Sarkozy a dévoilé dimanche soir à la télévision des mesures "choc" pour sortir de la crise, dont une hausse de la TVA et de la CSG, et a livré des signes clairs de son envie d'entrer dans la course à l'Elysée face au favori PS François Hollande.
S'il s'est refusé à entrer officiellement dans la course, il a clairement fait un pas de plus vers sa candidature, qu'il envisage d'annoncer en mars. "J'ai un rendez vous avec les Français, je ne me déroberai pas", a-t-il dit. "Si un jour je dois rentrer en campagne, à ce moment-là je serai le candidat", a-t-il dit aussi, "parfois je peux en avoir l'impatience tant je constate d'arrogance déplacée".
A moins de trois mois du premier tour de la présidentielle, le chef de l'Etat était attendu sur la question de sa candidature à un second mandat lors de cette interview télévisée d'une heure en direct sur six chaînes (TF1, France 2, LCI, BFMTV, iTélé, LCP). Malgré les appels pressants du pied de nombreux responsables et élus de sa majorité
qui s'inquiètent de l'avance prise dans les sondages par François Hollande, Nicolas Sarkozy n'a donc pas, comme prévu, franchi le Rubicon et a défendu sa posture de "président courage" face à la crise.
"Je suis là en tant que chef de l'Etat pour rendre des comptes aux Français", a-t-il précisé d'emblée. Mais, comme un candidat, il a truffé son discours de piques contre ses futurs rivaux, dénonçant un "climat de démagogie" en visant explicitement son rival PS, sans le nommer. "Ce qui rend (les Français) inquiets, c'est quand on leur propose n'importe quoi", a-t-il lancé.
Il a annoncé plusieurs réformes d'urgence en se concentrant sur la bataille contre le chômage, qui a atteint son plus haut niveau depuis douze ans, et la nécessité d'améliorer la compétitivité des entreprises. "Nous sommes exactement dans la trajectoire de réduction du déficit", s'est réjoui le président en pronostiquant que les déficits publics pour 2011 seraient ramenés à "5,4% et peut-être à 5,3", contre 5,7% prévus initialement. Mais la question du retour de la croissance reste entière. En fin de soirée une source gouvernementale a annoncé que la prévision d'une croissance à 1% en 2012 allait être révisée à la baisse en février.
Sans surprise, le président a annoncé à partir du 1er octobre une hausse du seul taux normal de TVA de 1,6 point, qui passera de 19,6% à 21,2%, les taux réduits n'étant pas affectés. La CSG sur les revenus financiers sera relevée de deux points. Ces deux mesures doivent compenser une baisse de 13 milliards d'euros des charges patronales. "La France se vide de son sang industriel, il faut arrêter ça (...) je veux qu'on garde nos usines", a-t-il plaidé en s'appuyant à plusieurs reprises sur l'exemple allemand des réformes menées en 2003-2004 par l'ex-chancelier Gerhard Schröder, avant d'être battu par Angela Merkel.
Avant même la confirmation présidentielle, cette réforme a suscité de nombreuses critiques, accusée par l'opposition d'amputer le pouvoir d'achat. "Je ne crois en rien à une augmentation des prix", a répliqué le chef de l'Etat. Il a aussi annoncé la création, dès février, d'"une banque de l'industrie", qui sera dotée d'1 milliard d'euros de fonds propres, car, a-t-il justifié, les entreprises "de taille intermédiaire qui sont le coeur de l'économie n'ont pas assez de crédit". "Un rendez-vous avec les Français" "Le courage, ce n'est pas l'injustice et Nicolas Sarkozy fait payer son courage aux autres", a jugé dimanche soir Pierre Moscovici, directeur de la campagne de François Hollande.
"Cette politique ne vaut rien de bon pour la France. Les mots utilisés ne sont qu'un habile enfumage d'un triste et banal plan d'austérité et de soumission aux exigences du capital financier", a renchéri Jean-Luc Mélenchon, candidat du Front de gauche.
Dès samedi, François Hollande avait dénoncé la hausse de la TVA, "un mauvais principe et un mauvais instrument". Cette mesure "n'aura aucun effet sensible sur le coût du travail", a déclaré dimanche le candidat du MoDem François Bayrou. M. Sarkozy "termine son mandat comme il l'a commencé": il "protège les couches aisées", a réagi dimanche soir l'écologiste Eva Joly, tandis que Marine Le Pen (FN) a estimé qu'il proposait des "remèdes ultralibéraux à double dose".
Pour faire face à la crise du logement, Nicolas Sarkozy a promis le relèvement de 30% des droits à construire sur les habitations, ainsi que de "libérer" des terrains publics. Pour doper l'apprentissage, il a promis de doubler les sanctions visant les entreprises de plus de 250 salariés qui n'ont pas "au moins 5% de jeunes en alternance". Pour préserver l'emploi, il a demandé aux partenaires sociaux d'entamer des négociations our permettre aux entreprises d'adopter "dans les deux mois" des accords de flexibilité pour leur permettre de "décider de privilégier l'emploi sur le salaire ou le salaire sur l'emploi". Autre promesse, Nicolas Sarkozy a confirmé que la France adopterait "au mois d'août de cette année" une taxe sur les transactions financières de 0,1%.
Le "modèle allemand" obsède la France - AFP
En ces temps de crise et de campagne électorale, la France perçoit de son voisin allemand une image de réussite économique et de sérieux, qui se diffuse de plus en plus dans la société, jusqu'aux dirigeants qui semblent obsédés par l'idée de convergence avec Berlin. Le message est martelé par le président Nicolas Sarkozy et ses ministres. "Nous allons faire converger, Mme Merkel (la chancelière allemande) et moi, l'économie allemande et l'économie française" en commençant par la fiscalité, déclarait-il en pleine tempête sur l'euro, quelques semaines avant la perte du triple A.
Angela Merkel soutiendra Nicolas Sarkozy dans ses meetings de campagne. Mais c'est de son prédécesseur social-démocrate, Gerhard Schröder, que le président s'est inspiré pour soumettre aux Français une dernière série de réformes douloureuses pour restaurer la compétitivité de l'économie française, en particulier la fameuse TVA sociale. "Du point de vue des remises en ordre nécessaires, on est naturellement fasciné, côté français, par tout ce que les Allemands ont réalisé au cours des dernières années et qui leur permet maintenant d'avoir une situation nettement plus solide que nous", observe René Lasserre, directeur du Centre d'information et de recherche sur l'Allemagne contemporaine (Cirac).
"On a beaucoup à apprendre des Allemands, admet Marcel Grignard, secrétaire général adjoint de la CFDT. Mais, pour autant, il n'y a pas de modèle parfait et l'Allemagne a des côtés critiquables, le tableau n'est pas tout blanc ou tout noir". "Le modèle social allemand a beaucoup de trous", ajoute le syndicaliste, évoquant une couverture sociale inégale et un nombre de salariés pauvres "très élevé et très inquiétant". Il n'existe pas de salaire minimum en Allemagne.
Le gouvernement met en avant l'idée d'un échange de bonnes pratiques avec Berlin. Les Allemands pourraient par exemple s'inspirer de la politique familiale de la France, qui lui permet d'avoir pour les décennies à venir une démographie beaucoup plus favorable, note-t-on à Paris. Les données économiques françaises et allemandes ne sont pas si différentes, relève de son côté Thomas Klau, de l'European Council on Foreign Relations. "Alors pourquoi l'Allemagne est-elle souvent apparue comme un pays plus compétitif ?" L'Allemagne a su engager des réformes "extrêmement douloureuses" avec une "relative facilité", explique-t-il, et l'un de ses atouts majeurs réside dans son riche réseau de PME exportatrices de produits réputés fiables.
"La fascination pour les produits allemands, vous la voyez dans la rue. Les Allemands font 30% du marché automobile français à eux seuls", souligne René Lasserre. Le constructeur Opel ose même à destination du public français des publicités en allemand qu'il ponctue en français d'un "Pas besoin de parler allemand pour comprendre que cette Opel est une vraie voiture allemande!" La crise de l'euro et la bataille franco-allemande sur le rôle de la Banque centrale européenne (BCE) ont cependant donné lieu début décembre à des déclarations assimilées par certains à de la "germanophobie", le socialiste Arnaud Montebourg s'en prenant à "la politique à la Bismarck de Mme Merkel".
Certains y voient un reste de méfiance de la société française à l'égard du voisin allemand. "On voit ressurgir en France dans les journaux, dans les commentaires, des images assez anciennes, des stéréotypes contre l'Allemagne", observe Joachim Umlauf, directeur en France du Goethe-Institut. Un sentiment apparemment battu en brèche par un sondage Ifop commandé récemment par l'ambassade d'Allemagne et publié le 23 janvier. Selon cette enquête, 82% des Français disent avoir une image positive de l'Allemagne, et ils sont exactement la même proportion à se dire impressionnés par l'efficacité de son modèle économique.
Vu d'Alsace...
Vu d'Alsace, le modèle allemand attire, mais avec des réserves - AFP
Pour les quelque 30.000 frontaliers alsaciens employés outre-Rhin, le "modèle" économique allemand, souvent vanté en France, reste attractif au regard des rémunérations proposées mais cache de fortes disparités salariales et une protection sociale moins généreuse.
La région allemande limitrophe de l'Alsace affiche une prospérité insolente face aux performances hexagonales: Offenbourg et ses environs, à 25 km de Strasbourg, affichent un taux de chômage de 3,2%, contre 8% dans le Bas-Rhin.
Ce taux de chômage très bas attire les Français, de même que le niveau élevé des salaires dans secteurs secteurs industriels. "Dans mon entreprise, les ouvriers qualifiés débutants gagnent 2.300 euros net, c'est deux fois plus que ce qu'ils toucheraient en France!" témoigne Guy Henches, qui travaille à 10 km de la frontière, dans une filiale de Siemens spécialisée dans les équipements pour aciéries.
"Certains collègues viennent tous les jours de Moselle, à 90 km, ça vaut le coup vu la différence de salaire", ajoute M. Henches, qui s'estime "heureux" dans cette entreprise où il travaille 38 heures par semaine et dispose de six semaines de vacances. "Pour les Français qualifiés, c'est intéressant mais sans diplôme, il n'y a rien pour nous", nuance-t-il. Du côté du patronat, le président du Medef en Alsace, Olivier Klotz, ne voit que des avantages au modèle allemand mis en avant par la droite française: celui d'une compétitivité gagnée au prix de mesures d'austérité. "Bien sûr que nous envions aux Allemands la flexibilité du marché du travail obtenue par le gouvernement Schröder. Ils n'ont pas les 35 heures, ils bossent davantage, les charges sociales sont plus faibles", énumère-t-il.
Ces différences conduisent à une "fuite des talents" vers l'Allemagne, dont pâtissent les entreprises alsaciennes, selon lui. Pour Albert Riedinger, responsable des questions transfrontalières à la CGT à Strasbourg, la flexibilité à l'allemande a du bon quand elle conduit les patrons à recourir au chômage partiel, dans l'attente de la reprise, plutôt qu'à licencier.
Mais il faut nuancer selon lui cette vision de l'eldorado à l'allemande. Le problème principal, analyse-t-il, c'est que l'absence de salaire minimal généralisé crée une situation à deux vitesses: des secteurs industriels où les accords de branche garantissent aux salariés des rémunérations confortables, et des secteurs sans aucun minimum garanti, qui conduisent à une "paupérisation considérable d'une bonne partie de la population". "On trouve énormément de salaires entre 5 et 7 euros de l'heure. Le modèle social allemand, c'est intéressant pour les patrons, pas forcément pour les salariés", raille le syndicaliste.
Pour Cédric Rosen, président de l'Association des frontaliers d'Alsace et de Lorraine (AFAL, 6.500 membres), "de plus en plus de frontaliers nous disent aujourd'hui +dès que je peux, je rentre en France+". "Près de Strasbourg, il y a des entreprises de confection où les salariés, surtout des femmes, gagnent péniblement 1.400 euros net par mois pour 42 heures par semaine. On est loin des hauts salaires", affirme-t-il. En outre, "la protection sociale en Allemagne est de bien moindre qualité qu'en France. En cas d'arrêt maladie de longue durée, vous êtes très mal couvert, et c'est la catastrophe". Pour M. Rosen, plutôt que de s'extasier sur le "modèle allemand", les Français feraient mieux de s'intéresser au modèle suédois, pour sa protection sociale. "L'Allemagne, elle, est en train de prendre le chemin de l'Angleterre: les gens y sont de plus en plus exploités".