Des témoignages recueillis samedi matin à Strasbourg
Perte du triple A : réactions en Alsace
Le couperet est tombé vendredi soir, la France a perdu son sacro-saint triple A. Ce matin tout le monde en parle mais il est difficile pour le commun des mortels d'en appréhender les conséquences directes.
La France perd le AAA, Berlin épargné, les négociations grecques en suspens AFP
La France a perdu vendredi son précieux AAA auprès de Standard & Poor's (S&P), qui a aussi dégradé la note de huit autres pays de la zone euro mais pas de l'Allemagne, ravivant la crise au moment où des négociations vitales sur la Grèce semblent en passe d'échouer.
Ce coup de tonnerre, attendu depuis début décembre, consacre un décrochage entre les deux premières économies de la zone euro. Paris et Berlin bénéficiaient tous deux jusqu'ici de la meilleure notation financière, qui permet de s'endetter à moindre coût. Dans un communiqué publié en fin de soirée, S&P juge que les récentes "initiatives" des dirigeants européens risquent d'être "insuffisantes pour répondre totalement aux problèmes systémiques en cours dans la zone euro". L'agence critique notamment des solutions faisant la part belle aux seules cures d'austérité.
La Commission européenne a immédiatement dénoncé une "décision aberrante" prise au moment où l'Union monétaire "agit de manière décisive sur tous les fronts pour répondre à la crise". L'agence d'évaluation financière menaçait depuis le 5 décembre d'abaisser la note de 15 Etats de la zone euro, dont les six "triple A".
Elle a finalement privé la France et l'Autriche de leur AAA, abaissé d'un cran à AA+. Malte, la Slovaquie et la Slovénie descendent aussi d'une marche. S&P a aussi abaissé de deux crans la note de l'Italie, de l'Espagne, du Portugal et de Chypre. Ces deux derniers Etats sont relégués dans la catégorie des investissements spéculatifs.
En revanche, les quatre autres AAA (Allemagne, Finlande, Pays-Bas et Luxembourg) conservent leur prestigieuse distinction. La Belgique, l'Estonie et l'Irlande ne sont pas non plus dégradées.
S&P place désormais tous les pays de la zone euro, hormis l'Allemagne et la Slovaquie, sous "perspective négative", ce qui signifie que l'agence estime à une sur trois les chances d'un nouvel abaissement d'ici fin 2013. La France conserve, pour l'instant, un "triple A" auprès des deux autres grandes agences internationales de notation, Moody's et Fitch.
Mais la dégradation par S&P intervient au pire moment pour le président français Nicolas Sarkozy, qui a longtemps fait du maintien du AAA une priorité, à cent jours de l'élection présidentielle à laquelle il sera candidat selon toute vraisemblance. "Ce n'est pas une bonne nouvelle" mais ce n'est "naturellement pas une catastrophe", a réagi le ministre français des Finances François Baroin, qui a lui-même annoncé la perte du AAA à la télévision après une réunion de crise à l'Elysée.
"Ce ne sont pas les agences de notation qui font la politique de la France", a-t-il plaidé. Son homologue allemand Wolfgang Schäuble a aussi estimé qu'il ne fallait pas "surestimer les jugements des agences de notation". "La France est sur la bonne voie", a-t-il ajouté, se montrant solidaire avec le principal partenaire de l'Allemagne. Berlin a assuré que la zone euro allait "stabiliser" ses finances et "rétablir la confiance des marchés". Rome affirme pour sa part que la dégradation "renforce la détermination" du gouvernement à "poursuivre sur la route entreprise" pour désendetter l'Italie et relancer la croissance.
L'abaissement de la note de la France, deuxième contributeur derrière l'Allemagne du Fonds européen de stabilité financière (FESF), risque d'ébranler ce mécanisme de secours qui peine déjà à endiguer la propagation de la crise. Le chef de file des ministres des Finances de la zone euro, Jean-Claude Juncker, a fait part de leur "détermination à explorer les options pour maintenir le triple A du FESF".
Cette rafale de dégradations de notes, annoncée dès vendredi après-midi par diverses sources européennes à l'AFP, a fait basculer dans le rouge les places financières en Europe, auparavant en hausse après de nouvelles émissions de dette réussies en Italie, perçues initialement comme un début d'accalmie après des mois de turbulences. Mais les marchés obligataires et les Bourses, qui avaient déjà intégré le risque d'une dégradation, ont résisté, Paris perdant seulement 0,11% et Francfort 0,58%. De son côté, l'euro a chuté vendredi, proche de ses plus bas niveaux depuis août 2010, un peu au-dessus de 1,26 dollar.
"Depuis le début de l'année, les investisseurs se focalisent moins sur les commentaires d'agences de notation, mais davantage sur la capacité des Etats sous pression à se refinancer", a expliqué Renaud Murail, gérant d'actions chez Barclays Bourse. Or l'Espagne et l'Italie, les pays les plus exposés, ont réussi leurs premières émissions de dette de l'année jeudi et vendredi.
En revanche, une autre mauvaise nouvelle est arrivée vendredi d'Athènes, épicentre de la crise de la dette depuis début 2010. Les banques ont suspendu leurs négociations avec la Grèce, toujours au bord de la faillite. Elles ont laissé entendre qu'elles pourraient revenir sur leur engagement à effacer volontairement la moitié de la dette grecque qu'elles détiennent.
L'Institut de la finance internationale (IIF), lobby des banques, a ainsi affirmé que sa proposition n'avait "pas abouti à une réponse ferme et constructive de la part de toutes les parties". Les créanciers privés de la Grèce s'étaient engagés le 27 octobre auprès de la zone euro à renoncer d'eux-mêmes à recouvrer environ 100 milliards d'euros sur leurs créances afin d'éviter une faillite incontrôlée du pays.
Le Premier ministre grec Lucas Papademos a rappelé que son pays faisait face à de "graves" dangers économiques en l'absence d'un accord, tandis que le Fonds monétaire international a appelé à une reprise des négociations pour rendre la dette grecque viable.