La région Grand Est ne sera pas épargnée par l'amplification des phénomènes extrêmes en lien avec le changement climatique. Pour anticiper leurs effets sur notre santé, une grande conférence se tenait ce vendredi à Reims avec notamment des membres du GIEC, des élus et des professionnels de la santé.
"Pendant longtemps, quand on parlait du réchauffement climatique on pensait aux lointains ours polaires. Mais aujourd'hui on le constate sur notre territoire". Le président de la région Grand Est, Franck Leroy ne manque pas d'exemples pour illustrer l'impact du changement climatique dans la région : les feux de forêt dans les Vosges, l'absence de neige cet hiver, la perte de raisin à cause de la chaleur ...
Le Grand Est est d'autant plus concerné que les canicules risquent d'y être plus intenses, en raison de sa position continentale, éloignée des cotes et de l'air marin qui apporte de la fraîcheur.
Des bébés plus petits et plus faibles
Quand on parle des effets du changement climatique sur la santé, le premier exemple qui revient est la canicule de 2003. Elle a causé la mort de 15 000 personnes en France. Et pourtant, le mercure s'était élevé "seulement" à 42 degrés. D'ici 2050, il faut s'attendre à des canicules plus chaudes d'une dizaine de degrés, pour atteindre 50 degrés, et surtout plus longues.
Avoir un bébé plus petit c'est avoir une probabilité d'avoir des maladies plus importantes tout au long de la vie
Professeur Jean-François Toussaint
Les répercussions de ces vagues de chaleur sur notre santé sont aujourd'hui bien connues. Notamment par le professeur Jean-François Toussaint, cardiologue, professeur de physiologie et membre du GIEC. Il nous explique que tous nos systèmes sont impactés par les canicules : le système cardiaque, vasculaire, les reins, le cerveau .. "Et encore davantage pour les personnes vulnérables, par exemple celles qui présentent des insuffisances cardiaques".
Mais le plus surprenant concerne les femmes enceintes. "Les chaleurs importantes diminuent les conditions optimales de grossesse". Un nouveau-né perd 17 grammes de poids par degré de température supérieur à la normale, par mois. Et cela est valable encore plus pour les derniers mois de grossesse.
Concrètement, une femme enceinte pendant une canicule présentera plus de risques d'avoir un bébé plus petit, avec un poids de naissance plus faible qu'une femme enceinte l'hiver. "Avoir un bébé plus petit, c'est avoir une probabilité d'avoir des maladies plus importantes tout au long de la vie. C'est un facteur de fragilité et de diminution des conditions de résistance contre les agressions virales, bactériennes, infectieuse ..."
L'agressivité augmente avec la chaleur
Parmi les intervenants, la docteure Alice Desbiolles, experte dans le domaine des conséquences sanitaire du réchauffement climatique, notamment sur la santé mentale. Elle explique que pour chaque degré d'augmentation d'une canicule, on observe une augmentation du risque d'agressivité. "A la fois l'agressivité sur soi-même, avec l'augmentation du risque de suicide. Et à la fois l'hétéro-agressivité, c'est-à-dire des crimes, de la violence au sein de la population".
Cette augmentation de la violence en même temps que la chaleur peut s'expliquer par le confinement dans un lieu clos qu'oblige une canicule, l'inconfort lié à la chaleur, le manque de sommeil, car nos nuits sont perturbées quand il fait chaud. "On sait aussi que le cortisol, l'hormone du stress, peut être augmentée en cas de forte chaleur".
Le cortisol, l'hormone du stress, peut être augmentée en cas de forte chaleur
Docteure Alice Desbiolles
Au-delà des effets directs sur la santé, un effet plus insidieux, plus profond a été apporté avec le changement climatique : l'éco-anxiété.
C'est Alice Desbiolles elle-même qui a popularisé ce concept en France, notamment avec son livre faire de son éco-anxiété un moteur de changement, même s'il existe depuis les années 1990. "L'éco-anxiété,c'est un état d'âme, une prise de conscience, une sensibilité au monde. C'est la conscience douloureuse que notre manière d'habiter le monde peut avoir des impacts négatifs sur l'environnement et sur notre bien-être" explique-t-elle.
Cela peut se traduire par un sentiment de tristesse, de colère, par le sentiment d'avoir été floué (notamment chez les jeunes générations).
Mais cette éco-anxiété ne se traduit pas forcément par une dépression, ce n'est d'ailleurs pas une pathologie mentale. On peut être éco-anxieux sobrement, en étant conscient de notre impact sur l'environnement, sans forcément y penser tous les jours, sans que cela n'altère notre qualité de vie. Dans certains cas, l'éco-anxiété peut même être positive : "elle peut nous pousser à une transition intérieure pour effectuer une transition écologique et sociale".
Notre sociabilité menacée
Autour de la table il y en un qui a des chiffres très précis pour illustrer les limites de l'humain face à la chaleur. Christian Clot est explorateur-chercheur. Il a mesuré l'effet de la chaleur directement sur des femmes et hommes mis en condition. "S'il fait 40 degrés avec 70% d'humidité, l'Homme n'a que six heures de survie".
S'il fait 40 degrés avec 70% d'humidité, l'Homme n'a que six heures de survie
En fait, tout est une question d'humidité : à 40 degrés, en dessous de 30% et au-dessus 70% d'humidité, on est dans une zone dangereuse pour l'Homme. Les organes cognitifs sont altérés, le corps a du mal à réguler sa température, la sudation fonctionne moins bien.
Et quand le corps va mal, le mental s'en mêle : "plus la température augmente, moins le cerveau fonctionne bien. Et moins le cerveau fonctionne bien, moins on peut réfléchir, même nos compétences sociales se dégradent".
Peut-on se sortir d'affaire ?
On ne pourrait pas résumer les effets du changement climatique sur la santé à ces trois aspects. D'autres facteurs suscitent de l'inquiétude dans le Grand Est : le moustique tigre est installé dans quasiment tous les départements de la région suite à l'élévation moyenne des températures, 700 communes ont manqué d'eau dans la région en 2022, la pollution de l'air engendre 100 000 décès par an en France, 43% des établissements de santé de la région sont situés dans un territoire à risque d'inondation ...
Nos actions des dix prochaines années vont déterminer le degré de hausse des températures que nous subirons à la fin de notre vie
François Gemenne
Malgré tous ces points noirs, tous les interlocuteurs sont d'accord pour en venir au même point : il ne faut pas céder au fatalisme. Il est encore temps d'atténuer les risques du changement climatique.
François Gemenne, membre du GIEC présent à la conférence, estime que nos actions des dix prochaines années vont déterminer le degré de hausse des températures que nous subirons à la fin de notre vie. Mais il ne faut pas tarder, et il renchérit : "Vous avez déjà essayé de faire un régime ? Plus on attend, plus c'est difficile". Ce qui encourage Alice Desbiolles à conclure "un petit acte vaut mieux qu'une grande intention".