Les coccinelles asiatiques se multiplient : quels dangers, comment les reconnaître ?

Les coccinelles asiatiques de plus en plus nombreuses au détriment des coccinelles autochtones. Ces insectes ont soulevé bien des inquiétudes lors de leur apparition en Europe. Qu'en est-il vraiment ? (première publication en 2021).

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Dans les jardins, mais aussi dans les maisons, les faux plafonds... on trouve de plus en plus de coccinelles asiatiques : si ces bêtes à bon dieu sont noires à taches rouges, vous avez affaire à des Harmonia axyridis, la branche asiatique de la coccinelle. Un insecte qui lors de son apparition en Europe avait suscité bien des craintes. On prédisait alors qu’elle allait faire disparaître ses cousines autochtones et provoquer des ravages sur les cultures. Nous avons vérifié auprès de scientifiques si ces inquiétudes s’étaient vérifiées.

Comment est-elle arrivée en Europe ?

L’introduction de la coccinelle asiatique partait d’une bonne intention. Elle a volontairement été importée en Europe et aux Etats-Unis dans les années 1980 pour lutter de manière biologique contre les pucerons. Car la petite bête d’origine orientale (on la trouve originairement en Chine, au Japon et dans l’est de la Russie) a gros appétit.

Adulte, elle peut ingurgiter de 90 à 270 pucerons par jour, contre une cinquantaine pour ses cousines indigènes. Et elle est encore plus vorace quand elle n’en est encore qu’au stade de larve. Sa fécondité élevée (jusqu’à 2.500 larves en une vie qui dure deux à trois ans) conjugué au fait qu’elle soit facile à nourrir en milieu artificiel ne font qu’ajouter à ses charmes : la petite bête, en plus d’être redoutablement efficace, a un coût de production bien moindre que sa cousine à deux points, l’Adalia bipunctata, également utilisée comme insecticide naturel.

"En France, dans les années 1980, l’Inra importe cette coccinelle réputée vorace, de Chine, pour tester ses capacités de lutte biologique contre les pucerons", explique Arnaud Estoup, généticien et directeur de recherche à l’Inra, l'Institut national de recherches agronomiques, au centre de biologie et gestion des populations de Montpellier. Depuis douze ans, il étudie l’évolution et la propagation des coccinelles asiatiques. "Au début, quand on lâchait les coccinelles asiatiques dans la nature, elles mangeaient les pucerons mais ne s’installaient pas. La plupart mourraient. La souche de coccinelles asiatiques choisie par l'Inra avait des ailes atrophiées et était peu mobile, donc non susceptible d'être invasive. Elle ne s’est jamais installée durablement. Et le coléoptère ne résiste guère au froid de l’hiver européen."

Serein face à ces observations, l'Inra transmet alors cette souche à biotop, une société spécialisée dans la lutte biologique pour qu’elle puisse la commercialiser comme insecticide naturel dans les jardineries du sud de la France.

Mais le scénario biologique tourne mal. En parallèle de cette commercialisation, d’autres contingents d’Harmonia Axyridis arrivent en France de manière clandestine. "À partir de 2003, la coccinelle asiatique est entrée sur le territoire français depuis la Belgique qu’elle avait colonisée. Elle est aujourd’hui très présente partout dans les plaines du Grand Est, comme dans toutes les régions de France", constate Raynald Moratin, responsable scientifique de l'Odonat, l'office des données naturalistes du Grand Est, une fédération d'associations naturalistes de la région.

Sont également observées des coccinelles venues du continent américain, où elles avaient également été introduites par l’homme. "On a analysé le génome des coccinelles envahissantes en France, explique Arnaud Estoup. On retrouve une fraction de gènes provenant de la souche de l’Inra et une grande proportion de gènes des coccinelles asiatiques venant d’Amérique du Nord. C’est cet hybride qui se propage dans le nord-est de la France, notamment en Alsace, depuis dix ans."

Un hybride qui a soulevé bien des polémiques, au point que la société Biotop décide en 2011 de cesser la commercialisation de cette coccinelle comme insecticide naturel. "On a décidé de la remplacer par d'autres espèces, comme les coccinelles à 2 points et celles à 11 points", précise le chargé de marketing de Biotop, Sébastien Roussel qui déplore toutefois ce retrait du marché : "le front de l'invasion est arrivé par le nord de la France alors que la majorité des coccinelles que l'on commercialisait étaient vendues et disséminées dans le sud de la France. Mais c'est difficile de faire comprendre aux gens que notre espèce n'était pas invasive."

Comment la reconnaître ?

On dénombre près de 5.000 variétés de coccinelles dans le monde, dont environ 900 sur le territoire français. Parmi elles, les variétés asiatiques peuvent être difficiles à repérer. Car elles peuvent avoir différentes allures. Les plus distinctives sont les noires à pois rouges.

Mais elles peuvent également prendre la même couleur rouge ou orangée que leurs cousines indigènes. C'est alors au nombre de points qu'on les différencie : l'Européenne n’a en général que deux ou sept points. L'Asiatique, elle, peut compter de 0 à 19 points. Elle se distingue également par sa taille. C’est l’une des plus grandes coccinelles au monde. Elle mesure entre 5 et 7 millimètres.

Il est également possible de distinguer les coccinelles asiatiques adultes par leur comportement. En automne, elles cherchent à entrer dans les bâtiments et les maisons pour hiverner en groupes de plusieurs dizaines à plusieurs milliers d'individus. Elles s’installent et s’agglutinent alors au plafond, dans les angles des murs, ou encore dans les caissons de volet. Les coccinelles locales n'ont pas ce comportement. Quand elles pénètrent dans les bâtiments pour hiverner, c'est isolément ou par groupes de quelques individus seulement.

Un redoutable prédateur

La coccinelle asiatique ne se contente pas d'envahir les maisons une fois l'hiver venu pour se mettre à l'abri. L'insecte peut aussi faire des ravages sur d'autres espèces. Quand il s'agit de pucerons ou de cochenilles, les jardiniers s'en félicitent. Les entomologistes un peu moins. "Elle a été définie comme espèce envahissante, explique le généticien de l’Inra Arnaud Estoup, car elle a un impact négatif sur les espèces locales de coccinelles. Elle est plus grosse et plus vorace qu’elles. Elle mange d’énormes quantités de pucerons. Quand elle passe quelque part, les coccinelles autochtones n’ont souvent plus rien à manger."

Et non contente d’être vorace, elle se révèle également cannibale. Au stade larvaire comme à l’âge adulte, la coccinelle asiatique attaque les œufs des autres espèces d’insectes comme les coccinelles locales. Elle peut aussi être friande de syrphes ou de chrysopes communes.

Plus vicieux encore, elle transporte un poison mortel, comme le révèle Christophe Brua, président de la Société alsacienne d'entomologie : "les coccinelles asiatiques véhiculent des parasites pathogènes dans leurs œufs. S’ils sont inoffensifs pour elles, ils peuvent être très toxiques pour les coccinelles locales. Quand ces dernières les mangent, elles meurent."

L’impact de ces effets nocifs a été calculé en 2012 par le centre britannique d’écologie et l’hydrologie qui a réalisé des études en Belgique et en Grande-Bretagne : plusieurs espèces indigènes montraient alors un déclin démographique attribué à l’Harmonia. La plus menacée était la coccinelle rouge à 2 points noirs. Sa population locale avait diminué de 40 %.

Pour autant, Arnaud Estoup n’est pas inquiet : "de mon point de vue, nos coccinelles vont sûrement devenir résistantes et s’adapter, et sa population va s’accroître à nouveau. Il reste 60 % de l’espèce, note-t-il, confiant, donc cela signifie qu’il y a un potentiel pour qu'elle s’adapte à cette concurrence et reconstitue sa démographie initiale avec le temps."

Dangereuse pour l’homme ?

Selon les spécialistes, l’Harmonia axyridis ne représente pas de risque sanitaire majeur pour la santé des humains. Toutefois, selon Arnaud Estoup, "elles émettent des toxines qui peuvent provoquer des allergies chez certaines personnes. Leurs déjections peuvent aussi être source de mauvaises odeurs. Mais ce sont seulement des nuisances mineures."

Le plus gros inconvénient pour l’homme reste donc la prolifération des bestioles dans les habitations. Un phénomène que nous explique Raynald Moratin, de l’Odonat : "l’automne, quand arrive le froid, les coccinelles asiatiques cherchent un endroit abrité. Elles se regroupent, par milliers, sur des murs de bâtiments, de préférence sur les façades ensoleillées. Et elles profitent des moindres fissures pour s’introduire dans les bâtiments pour hiberner." Une fois qu’une coccinelle découvre un site propice, elle envoie des signaux à ses congénères via ses phéromones. "C'est pour cela, explique Christophe Brua, de la société alsacienne d'entomologie, que l'on peut retrouver des murs envahis de coccinelles sur une maison, tandis que celle d’à côté n'en a aucune."

Comment s'en débarrasser ?

Les coccinelles asiatiques qui hibernent dans les maisons peuvent entraîner quelques désagréments, en déclenchant des allergies ou en salissant murs et rideaux. Pour les éliminer, pas besoin d'insecticide, rien ne vaut le système D : vous pouvez les recueillir dans un sac plastique à fermer hermétiquement ou avec un aspirateur. Glissez votre sac dans le congélateur. Sous l'action du froid, les coccinelles vont s’endormir puis mourir. Passé un délai de 24 heures, vous pouvez sortir le sac et le mettre à la poubelle ou vider son contenu au compost.

Quant à les voir disparaître définitivement de nos jardins et intérieurs, des scientifiques britanniques ont tenté des expériences, mais en vain. Arnaud Estoup est formel : "On ne parviendra pas à les éliminer car ce sont des populations énormes qui sont présentes sur 4 continents. Mais on ne va pas voir pour autant disparaître la biodiversité des coccinelles. On va laisser faire la nature." Selon l'expert de la coccinelle asiatique, cette espèce finira par bien s’intégrer à l’écosystème européen.

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