L'épisode de pollution présumée de la rivière Fensch à l'acide le 30 octobre 2019, dénoncé par la CGT et contesté par l'industriel, n'est pas le premier du genre. L'Etat avait reconnu un cas similaire début 2015, décrit dans l'autorisation d'exploitation de la cokerie de Serémange.
La formule est laconique, typique du style administratif de la Direction Régionale Environnement Aménagement Logement (Dreal). Mais elle est sans appel. Dans l’autorisation d’exploitation de la cokerie de Serémange-Erzange, un document établi par la Dreal Grand Est, signé par le Préfet de la Moselle et disponible en ligne ici, figure en préambule page 5 la mention suivante : "La fuite constatée début 2015 sur un des réservoirs de stockage d’acide sulfurique ayant mené à des rejets importants de polluants dans la Fensch a montré que la rétention associée à ces réservoirs n’est plus étanche".
Difficile de faire plus clair : un rejet d’acide sulfurique a provoqué une pollution de la rivière. Difficile de ne pas y voir une similitude avec l’épisode dénoncé par la CGT le 30 octobre, même si les détails de la pollution de 2015 ne figurent pas dans le document.
D'autres pollutions
La suite du préambule révèle également des "épisodes de pollution constatés au mois de juillet 2015 notamment dans la Fensch" et que "des analyses effectuées dans le cadre de cette pollution au niveau du rejet final en milieu naturel F16 (le même point de rejet que celui en cause le 30 octobre 2019) ont montré la présence d’hydrocarbures".Dès 2015, les services de l’Etat ont donc parfaitement connaissance d’épisodes de pollution répétés de la Fensch, et ils font le lien avec l’activité de l’industriel puisqu’ils écrivent toujours dans le même document que "le milieu récepteur, la Fensch, est actuellement classée en mauvais état au sens de la Directive Cadre sur l’eau ".
Les organisations syndicales interrogées n’ont pas souvenir d’avoir été alertées sur cet épisode de pollution incontestable, puisqu'il est établi par les services de l’Etat. Ni sur les épisodes suivants, que l’on retrouve dans d’autres documents administratifs eux aussi en ligne : un arrêté de mise en demeure le 8 octobre 2018, un autre arrêté de mise en demeure le 12 novembre 2018, et une astreinte administrative d’un montant journalier de 500 euros en date de mai 2019. Celui du 8 octobre établit " l'absence de dispositif permettant de contrôler les rejets du trop plein associé à ces installations (la cokerie) ".
Arrêté de mise en demeure et astreinte journalière
Depuis l’autorisation d’exploitation délivrée en 2016, ArcelorMittal devait effectuer des travaux nécessaires à l’arrêt des pollutions, mais l’Etat relève le 12 novembre 2018 "le retard pris dans leur mise en œuvre" et "qu’un montant de 500 euros par jour est proportionné au regard (…) des impacts environnementaux avérés constatés depuis plusieurs années en lien avec les réseaux d’eau de la cokerie" . La Dreal nous apprend également l’existence d’autres épisodes de pollution du cours d’eau les 11 septembre et 23 novembre 2018, ainsi que les 8 mars et 2 avril 2019, sans en préciser les circonstances.Les services de l’Etat ont-ils pris toute la mesure de la pollution et tout mis en œuvre pour qu’elle cesse ? Pourquoi l’industriel connaît-il toujours des pollutions au même endroit, à quatre ans d’intervalle ? ArcelorMittal, qui a annoncé mardi 26 novembre, le lancement d'un "nouveau programme responsable en Europe" dédié à "la promotion d'une pratique éthique visant à l'amélioration de l'eau et de la biodiversité", semble en tous cas peu pressé d'endiguer ses sources de pollution déjà connues dans la vallée de la Fensch.
L'avenir de la cokerie
"Aucune installation industrielle n’est étanche", nous confie un expert de la sidérurgie, "mais la question essentielle, c’est celle de la pérennité du site dans le contexte actuel". La cokerie sert à produire du coke pour les hauts-fourneaux. Ceux d’Hayange sont définitivement arrêtés, et le coke élaboré à Serémange est expédié à Dunkerque. Sans débouchés à proximité, les coûts de logistique explosent et rendent le produit beaucoup plus cher : "On nous répète tout le temps qu’on produit le coke le plus cher du groupe" , confirme Lionel Kozinski, représentant du personnel CGT ArcelorMittal Florange.Fermer la cokerie vieillissante, où plus aucun investissement n’est réalisé depuis plusieurs années, est donc une question de calendrier. Et de responsabilité : qui va prendre la décision de fermer un outil qui emploie plus de 300 personnes ? En sanctionnant plus durement ArcelorMittal pour ses pollutions répétées, l’Etat pourrait fournir un excellent prétexte à l’industriel pour mettre la clé sous la porte. Le même procès est fait à la CGT qui dénonce les pollutions. L’équation est complexe, car dix ans après le début du conflit qui s'est terminé par l’arrêt des deux hauts fourneaux d’Hayange et de l’aciérie, tout le monde redoute une nouvelle fermeture dans la vallée de la Fensch et ses conséquences sociales explosives.