Au nom de la production d’acier « vert », le gouvernement français défend actuellement plusieurs projets qui peuvent mettre en difficulté les sites sidérurgiques lorrains. La symbolique résonne fort face aux urgences climatiques, mais la réalité industrielle reste très éloignée de la propagande ministérielle.

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Deux dossiers secouent régulièrement l’actualité sidérurgique lorraine et française depuis quelques mois. Le premier a surtout ému les salariés d’Ascoval (Nord) et leurs soutiens : Saarstahl, leur nouveau propriétaire, avait évoqué la possibilité de relocaliser en Sarre une partie de sa production de blooms, pour faire face selon lui à l’augmentation du prix de l’électricité en France.

L’usine nordiste, qui coule de l’acier grâce à son four électrique nourri de ferrailles, fournit sa matière première à celle d’Hayange, qui les lamine en rails, pour les lignes à grande vitesse de l’hexagone notamment. D’où une inquiétude pour les salariés de la vallée de la Fensch : quelle incidence sur les livraisons ? Sur la qualité ? Sur les prix ? "Lors du rachat, Ascoval a pompé notre trésorerie en augmentant ses prix de manière conséquente, pour tenter de se renflouer… on n’a pas envie de voir notre site en péril à cause de la mauvaise santé du leur" fulmine Djamal Hamdani, membre CFDT du conseil d’administration de l’usine d’Hayange.

Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée à l’industrie, avait dégainé un argument massue pour tordre le bras des Sarrois, et emporter l’opinion avec elle : "on a un instrument qui s'appelle Ascoval, qui fonctionne à l'électricité, qui produit de l'acier vert, qui d'ailleurs est une pépite au sein du groupe Saarstahl".

Le groupe sidérurgique allemand serait donc un mauvais élève en matière d’écologie puisqu’il aurait cherché à privilégier l’acier issu de la fonte de ses hauts fourneaux, au détriment des fours électriques d’Ascoval. L’électricité contre le charbon. L'acier propre français contre le polluant allemand.

La fabrication d’une tonne de fonte grâce au coke de charbon entraine le rejet de deux tonnes de CO2 dans l'atmosphère. Mais l’acier électrique est-il plus propre pour autant ? "Pas vraiment, sauf à considérer que l’électricité produite en France est verte… or la question du bilan carbone du nucléaire en France est un débat à mener, encore largement tabou. Aucun rejet direct dans l’atmosphère, mais quid de la fabrication des centrales, de leur entretien, des transports du combustible ? La chape d’un seul réacteur c’est 50.000 tonnes de béton armé ! C’est quoi le bilan CO2 de tout ça ?" s’interroge un bon connaisseur de la sidérurgie européenne qui poursuit : "les groupes qui possèdent à la fois des aciéries électriques et d’autres issues de la filière fonte ont tout intérêt à utiliser l’une ou l’autre ou les deux, suivant les prix des matières premières, leur disponibilité, et également le prix de l’électricité…"

Un ancien représentant syndical lorrain confirme : "c’est incontestable que dans l’absolu l’acier électrique pollue moins que l’acier issu de la fonte… mais l’électrique ne peut pas être utilisé par la filière automobile par exemple, donc comment continuer à fournir nos constructeurs ? Si on blâme les Allemands, quel avenir pour les hauts-fourneaux de Dunkerque et de Fos qui sont bien plus gros que les Sarrois ? On condamne la filière fonte en France ?".

Saint-Gobain

L’actualité d’un autre site sidérurgique lorrain ajoute encore un peu de complexité et de schizophrénie à la thématique : celui de Saint-Gobain à Pont-à-Mousson. Un millier de salariés y fabrique notamment des canalisations en fonte ductile, issue des derniers hauts fourneaux de la région. L’annonce du soutien, dans le cadre du plan de relance, de l’installation par le groupe indien Electrosteel d’une production concurrente dans le Sud de la France a réuni une alliance improbable pour défendre le site meurthe-et-mosellan.

Dernier en date, le patron lorrain de l’UIMM (Union des industries et métiers de la métallurgie), Hervé Bauduin, dénonce chez nos confrères "un coup de poignard dans le dos".

Le député socialiste lorrain Dominique Potier a également été l’un des pionniers de la défense de Saint-Gobain, qui est en partie dans sa circonscription. Il évoque la nécessité pour le groupe et pour l’Europe de "sécuriser le cycle de l’eau", et pour cela "il faut absolument éviter de fragiliser le modèle économique de Pont-à-Mousson". Le concurrent indien est perçu par l'élu comme "un acteur connu de dumping, qui ne joue pas le jeu de la réciprocité technologique", qui promet néanmoins de se décarboner au passage, en recyclant ses déchets de fonte, un argument de poids dans les oreilles du gouvernement français actuel.

Le socialiste Dominique Potier, à la sensibilité écologique affirmée, défend donc un site qui repose actuellement… sur la filière fonte ! "Mais Pont-à-Mousson sera décarbonée, comme toute l’industrie sidérurgique européenne, il ne faut pas faire d’amalgame entre ces deux questions". Oui mais quand ?

Les projets français tardent à émerger. Tout le monde en a dans ses cartons, très peu sortent de terre. L’utilisation de l’hydrogène à la place du charbon est désormais largement expérimentée partout, sauf dans notre pays. "A la condition qu’on fabrique de l’hydrogène avec de l’électricité issue d’énergies renouvelables, on pourra un jour parler d’acier vert en France" estime un universitaire lorrain spécialiste des questions industrielles.

Avenir nordique

Les plus avancés dans le domaine de la décarbonation de l'acier, et de loin les plus ambitieux, se trouvent loin de la Lorraine. En Suède. Le groupe sidérurgique SSAB est allié dans le programme HYBRIT à un producteur de minerai de fer, LKAB, et à un électricien, Vattenfall. Il vise à faire du groupe sidérurgique nordique le premier à être complètement décarboné sur la planète en 2050.

SSAB ne parle pas d’acier vert… mais "d’acier sans énergies fossiles".  HYBRIT remplace le coke de charbon par de l'hydrogène vert. Il conserve la technologie des hauts fourneaux, et l'utilisation du minerai de fer. Le 13 octobre 2021, SSAB a révélé qu’un constructeur automobile avait sorti de ses chaines le premier véhicule conçu avec son acier sans énergies fossiles. D’autres constructeurs et équipementiers devraient suivre.

Les autres groupes sidérurgiques européens participent également à des programmes poursuivant le même objectif. Le Green Deal (pacte vert en français) leur trace la voie, et leur ouvre le porte-monnaie des fonds européens. ArcelorMittal a annoncé fin septembre 2021 la construction d’une aciérie utilisant "potentiellement de l’hydrogène" (et essentiellement du gaz naturel !) à Gand en Belgique, pour plus d’un milliard d’euros. Le projet serait soutenu financièrement par l’Europe.

Blanchir à l'hydrogène

Dans la vallée de la Fensch en Moselle, l’arrêt des hauts fourneaux d’Hayange en 2011 a mis fin à ULCOS, le projet européen de captation et d’enfouissement du CO2. ArcelorMittal a définitivement renoncé à sa participation dans le projet l'année d'après. Les espoirs d’une aciérie à l’hydrogène se sont eux aussi envolés : "nous la réclamions déjà quand nous étions en lutte pour sauver la filière fonte d'Hayange" rappelle un ancien sidérurgiste.

A Gandrange, dans la vallée voisine, l’aciérie électrique a fermé en 2008. Ultime pied de nez à l’histoire, la friche sidérurgique pourrait devenir, si l’on en croit nos confrères d’Usine Nouvelle, un site de production d’hydrogène vert, sous la houlette du sulfureux homme d’affaires Frank Supplisson. Ce dernier, qui a cumulé les échecs industriels, en échouant notamment à quelques kilomètres de là dans la reprise d’Ascometal (Hagondange), connait également des déboires judiciaires multiples : l’hydrogène pourrait bien être sa bouffée d’oxygène. L'acier vert mène à tout. Vivement qu'il soit une réalité industrielle !

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