Coronavirus : Anthony Smith, inspecteur du travail suspendu dans la Marne, une affaire similaire dans le Nord

Un inspecteur du travail de la Marne a été suspendu de ses fonctions le 15 avril dernier. Il venait de déposer un référé contre une entreprise d’aide à domicile. A Lille une situation similaire a été jugée. L’entreprise a été contrainte d’appliquer l’ordonnance du juge.
 

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1er avril 2020 à Lille, 15 avril 2020 à Châlons-en-Champagne dans la Marne. Deux dates, deux situations totalement identiques et deux décisions à l’opposé. Le 1er avril l’association d’aide à domicile Adar Flandre Métropole dont le siège est dans le Nord de la France est sanctionnée par le tribunal judiciaire de Lille. Elle a trois jours pour appliquer les 14 points de l’ordonnance en référé l'obligeant à protéger davantage ses salariés du COVID 19.

Le 15 avril à Châlons-en-Champagne, Anthony Smith, inspecteur du travail de la Marne est mis à pied, il vient de déposer un référé au tribunal judiciaire de Reims contre l’association d’aide à domicile l’Aradopa"Une de nos salariées, représentante syndicale, a contacté l’inspection du travail estimant que les salariées n’étaient pas suffisamment protégées par rapport au Covid, explique Fabrice Bucamp le directeur général de l’association d’aide à domicile Adar.

A l’époque, nous appliquions les gestes barrière et les recommandations préconisées par les autorités. L’inspectrice du travail jugeait que par rapport au code du travail et aux EPI (éléments de protection individuels), c’était insuffisant. Elle a donc saisi le juge et on est passé en référé le 1er avril. A l’époque on avait pas d’équipements non plus, on arrivait pas à s’en procurer. On avait des masques qui nous restaient de la grippe H1N1 que l’ARS nous a autorisé à utiliser même s’ils étaient périmés. Il restait 2 à 3000 masques de la grippe H1N1, on a 900 salariés, ça va vite. C’était réservé pour les suspicions de Covid et pour tout ce qui était gestes au corps, rapprochement du salarié avec la personne accompagnée. A notre niveau c’est à peu près 30% des heures".
 

La reconnaissance du risque biologique

Le texte comporte 14 points précis et concernent la sécurité des salariés. Dans son assignation, que nous avons pu nous procurer, l’inspecteur du travail de Lille se réfère au code du travail et à l’article R4422-1. Il demande une "diminution du nombre d’interventions à domicile des salariés" et qu’elles soient réservées "aux personnes en situation de dépendance et sans famille ou proche pour leur venir en aide".

Il est demandé à l’Adar une "liste des interventions supprimées et des interventions maintenues". Mais aussi de demander "au client qu’il porte un masque chirurgical avant l’intervention du salarié afin de protéger celui-ci". L’inspection du travail demande aussi une "prise de contact avant chaque intervention auprès des clients (…) par l’Adar afin de s’enquérir de la présence de symptômes ou d’un diagnostic positif au Covid 19".

Dans sa sixième mesure, l’inspecteur demande qu’il soit fourni "à chaque salarié amené à intervenir au domicile des patients (conformément aux articles R. 4424-3 et R. 4424-4 du code du travail) un dispositif de protection des yeux de type lunettes ou visière, des masques FFP2 ou FFP3 (…)",  mais aussi des charlottes, des vêtements de protection, des gants, du gel hydro alcoolique en quantité suffisante. Ces éléments de protection individuels dites EPI correspondent aux salariés travaillant en lien avec un agent biologique comme le Covid 19.
 

14 points retenus par le tribunal

Tous les points de l’assignation ont été contestés par l’association Adar. Mais le juge du tribunal judiciaire de Lille en a décidé autrement. Il précise notamment : "Il n’est pas contesté qu’à la date de ce débat sévit une pandémie de Covid 19 (…). Dans ce contexte, l’activité d’aide à domicile, peut conduire à exposer les salariés qui exécutent les prestations au domicile des clients, dont tout le monde ignore s’ils sont contaminés, à des agents biologiques, et actuellement le Covid-19".
 

L’inspection du travail est arrivée avec 15 points et 14 ont été retenus par le tribunal. Donc cela faisait beaucoup surtout à mettre en place sur un laps de temps de trois jours, sous peine d’astreinte de 500 euros par point et par jour.

Fabrice Bucamp, directeur général de l'ADAR



"Il a fallu formaliser ce que l’on faisait. Et un des points quand même embêtant : il nous a été demandé d’appeler en amont chaque usager pour lui poser une batterie de questions, explique encore Fabrice Bucamp. Savoir si les personnes étaient symptomatiques au Covid 19. On devait les appeler avant l’intervention. A l’année on sert plus de 6000 clients… c’était quasiment impossible. Les responsables passaient leur temps au téléphone et encore, n’arrivait pas à boucler l’intégralité de nos usagers. Donc on a modifié les choses".

"On a envoyé un courrier aux usagers en leur demandant de nous appeler si eux avaient un des symptômes et c’était les aides à domicile, juste avant leurs interventions, qui appelaient leurs usagers. En cas de problème, elles appelaient leur responsable qui prenait la décision. Ou pour ceux qui ne répondaient pas, elles entraient mais leur posait toutes les questions avant d’intervenir"
. Fabrice Bucamp utilise le passé lorsqu’il évoque avec force détails la mise en place de cette ordonnance en référé. Mais le texte vaut toujours aujourd’hui. "L’ordonnance court jusqu’à la fin de la pandémie, oui je pense".

La panique dans le secteur

L’action de l’inspection du travail de Lille crée un électrochoc voire une vague d’inquiétude très forte. "Quand j’ai eu l’information de la convocation au tribunal, j’étais en réunion à distance avec les services du Conseil Départemental, explique Fabrice Bucamp, directeur général de l'association d'aide à domicile ADAR. J’en ai parlé à cette réunion où il y avait tous les représentants du secteur sur le Nord qui étaient offusqués. Tous ont dit : c’est du n’importe quoi".
 

Au niveau du Département, le président en a parlé au Préfet et a remonté cela au ministère du Travail et ça n’a pas suffit.

Fabrice Bucamp, directeur général de l'ADAR


"Il y a eu menace de la CGT de déposer un recours auprès de l’organisation internationale du travail indiquant que les autorités faisaient pression sur les inspecteurs du travail. Ca a créé la panique dans le secteur. J’ai eu pas mal d’appels de responsables qui me disaient : si jamais c’est appliqué chez nous, ce sera impossible".

Ce qui n’a pas suffit dans le Nord a eu raison d’un inspecteur du travail dans l’Est. Anthony Smith, l’inspecteur du travail de Châlons-en-Champagne pratique exactement la même demande en référé. Il répond à l’alerte lancée par des salariés de l’association d’aide à domicile l’Aradopa. Il rédige la même assignation demandant plus de protections pour les employés exposés à un agent biologique, la Covid 19, entraînant un danger mortel. Il se retrouve mis à pied. Son référé n'aboutit pas pour vice de forme.

Qu’est-ce qui a changé entre le 1er avril et le 15 avril ?  "Je pense qu’ils ont eu très peur, explique Ian Dufour, membre du bureau national du SNTEFP-CGT, et par ailleurs inspecteur du travail. Les autorités ont mis notre système d’inspection en veilleuse, mais ils ont vu que des agents, notamment au sein de la CGT s’organisaient. Ils se sont dit : ils vont continuer à bosser. Ils ont craint l’incendie". L’incendie aurait pu être déclenché par un deuxième jugement en référé. Celui d’Anthony Smith par exemple. Et si cette assignation aboutissait, il aurait fallu mettre en place, pour l’ensemble de la profession d’aide à domicile, des masques FFP2 et toutes les protections individuelles, en application du code du travail lié aux risques biologiques. C’est ce que pense ce responsable syndical. "Leur objectif est de terroriser l’ensemble du corps des inspecteurs du travail". Une profession totalement indépendante de toute autorité pourtant.

Pas d'aide à domicile contaminée

"Cette ordonnance ne s’est appliquée qu’à notre structure, reprend Fabrice Bucamp, directeur général de l’Adar de Lille. Les autres structures autour de nous, il y en a encore qui travaille sans gant, sans masque. Pourquoi, nous, on a  des contraintes colossales et à côté les structures équivalentes continuent tranquillement ?"
 

Ce n’est pas normal de la part d’une inspection du travail. C’est de la discrimination claire et nette.

Fabrice Bucamp, directeur général de l'ADAR


Toutes les semaines désormais et depuis mi-avril le Conseil Département du Nord fournit l’Adar en équipement. "On a des kits covid, des salariées formées. On donne énormément d’instructions, mais on a 900 employées sur le terrain, on ne peut pas être derrière elles pour voir si elles les appliquent à la lettre, précise encore Fabice Bucamp, directeur général de l'ADAR. C’est toujours le danger du secteur. Elles sont seules au domicile. Du fait de l’ordonnance, on les a bombardées d’informations, de documents, de procédures. Il y a eu des documents à signer. Il y a eu des vidéos sur le site internet, sur la mise en place des EPI, leur retrait, les gestes. Toutes les semaines des messages, des messages… On avait pas le choix".

A la connaissance du directeur général : "Au sein de l’entreprise nous avons eu un cas de contamination d’un personnel administratif. Mais je n’ai pas eu d’écho par rapport à notre personnel (sur le terrain). Mais peut-être que certains l’ont eu et sont asymptomatiques. Même chez les usagers, ça s’est bien passé, par rapport aux Ehpad..."

Le marnais Anthony Smith, lui, a été convoqué deux fois au ministère du Travail, sans qu’aucun résultat probant ne soit atteint. Il y a quelques jours, il a reçu l’acte lui notifiant ce qui lui était reproché. Ce 27 juin, cela fait deux mois et demi qu’il est mis à pied. Le ministère du Travail a quatre mois pour rendre sa décision de sanctionner ou de le réintégrer dans ses fonctions.

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