Un inspecteur du travail de la Marne a été suspendu par le ministère le 15 avril. L'autorité dénonce des "faits fautifs" et parfois "hors de sa compétence territoriale" concernant l’action de l’inspecteur durant l’épidémie de covid-19. Incompréhensible pour ses soutiens.
L'affaire commence à faire du bruit jusqu'au ministère du Travail et sur le plan syndical. En pleine crise de covid19, Anthony Smith, un inspecteur du travail de la Marne, par ailleurs ancien secrétaire général de la CGT-TEFP (travail emploi formation professionnelle), membre de son bureau national et représentant des inspecteurs du travail au Conseil national de l’inspection du travail, a été suspendu de ses fonctions mercredi 15 avril au soir. Il s'est vu notifier la suspension immédiate de ses fonctions "dans l’intérêt du service", précise le ministère, et à titre conservatoire, dans l’attente de la mise en œuvre d’une possible sanction disciplinaire. En clair, il a reçu l'ordre de rester chez lui mercredi 16 avril au soir.
Rapidement, l'incompréhension a fait place à la colère parmi ses soutiens. Au rang desquels Gérard Berthiot, figure emblématique de la gauche au niveau local, à Châlons-en-Champagne (Marne) et sur le plan national. Il est aujourd'hui le correspondant dans la Marne de GDS (gauche démocratique et sociale). "Anthony Smith a fait son boulot dans une structure d’aide à domicile à Reims (il s'agit de l'Aradopa, qui emploie 300 salariés ndlr). Il a fait des rappels à la loi, pour la protection des salariés. Il a demandé un référé pour que les salariés soient protégés. Et suite à ça, c’est remonté à la direction du travail. Le ministère l’a suspendu hier soir." Alors même que des aides à domicile de la structure ont été atteintes du covid. Anthony Smith a été suspendu immédiatement avec mesure conservatoire. La procédure administrative disciplinaire est en cours. Le dossier du ministère n’était pas encore revenu dans la Marne ce jeudi 16 avril au soir.
"L'activité à tout prix, quoi qu'il en coûte"
"C’est une première en France, s'énerve Gérard Berthiot, improvisé porte-parole d'Anthony Smith. On sait que certains inspecteurs ont fait des rappels à la loi depuis le confinement. Là, le fait de le suspendre, c’est surprenant, en pleine pandémie. L’inspection du travail est là pour protéger les salariés, c’est choquant." Pour l'instant, l'intéressé est sous le choc. Il n’a pas compris pourquoi cette mesure lui tombe dessus. Il a appris la nouvelle par le ministère, sans préavis. Il serait très mobilisé et motivé pour défendre son corps administratif, mais préfère ne pas prendre la parole publiquement. "J’ai appris que ça fait causer au niveau national", affirme Gérard Berthiot.
Sur le plan syndical, il va y avoir des pétitions et des prises de position. Des partis vont monter au créneau.
-Gérard Berthiot, soutien local d'Anthony Smith
La branche emploi formation professionnelle de la CGT a déjà commencé le combat. D'autres voix politiques de gauche se sont exprimées sur cette affaire. Gérard Filoche, retraité très actif, après trente ans comme inspecteur du travail , membre de la CGT ou encore le député de la France Insoumise Adrien Quatennens, ont déja pris position pour Anthony Smith. Comme le syndicat Sud, ou la FSU. La ministre du Travail, Muriel Pénicaud est visée.
Selon Julien Boeldieu de la CGT-Travail, il lui est reproché d'avoir prescrit l'utilisation de masques par les aides à domicile, "alors que le ministère s'en tient dans ses préconisations aux gestes barrière, faute de masques disponibles". Au-delà de ce cas, les syndicats CGT, SUD, FSU et CNT reprochent au ministère de faire passer avant tout "la continuité de l'activité", "comme l'a montré la passe d'armes entre la ministre Muriel Pénicaud et le secteur du BTP, réticent à reprendre les chantiers de façon très responsable", souligne-t-il.
Il lui est notamment reproché, selon la CGT, "d'avoir adressé des lettres de rappel de la réglementation aux entreprises de son secteur". Depuis le début de la crise sanitaire, "l'orientation du ministère du Travail est la poursuite de l'activité économique à tout prix et quel qu'en soit le coût pour les salariés", a dénoncé la CGT, qui "exige le retrait immédiat de la mise à pied d'Anthony Smith".
"Des faits fautifs" reprochés à l'agent
Le ministère s'est expliqué jeudi 16 avril à 20h05 sur cette situation dans un communiqué. Confirmant qu'à la demande de sa direction, un inspecteur du travail de la Marne a bien été suspendu de ses fonctions à titre conservatoire par le ministère du travail. Cette décision, "justifiée par l’intérêt du service, intervient à la suite de plusieurs faits considérés comme fautifs". Pour le ministère, l’agent concerné a "méconnu de manière délibérée grave et répétée les instructions de l’autorité centrale du système d’inspection du travail concernant l’action de l’inspection durant l’épidémie de covid 19". Il a par exemple enjoint aux employeurs des conditions de maintien d’activité non conformes aux prescriptions des autorités sanitaires. Il serait intervenu hors de sa compétence territoriale "avant de se raviser, après les interrogations suscitées par son initiative".Il a développé des pratiques internes non conformes aux règles professionnelles et déontologiques applicables.
- Direction générale du travail (communiqué)
Selon le ministère, la procédure disciplinaire qui va suivre permettra le plein exercice des droits de la défense et l’agent en question pourra présenter ses arguments dans le respect des garanties statutaires qui sont les siennes. Comme les textes le prévoient, il conservera son traitement durant la procédure. Les fonctions de l’agent suspendu seront assurées par un autre inspecteur de la même unité de contrôle. Ce dernier poursuivra le contrôle des établissements dont l’agent suspendu avait la responsabilité et assurera les suites nécessaires pour faire appliquer le code du travail.
Alors que l’inspection du travail a un rôle central pour la protection de la santé des travailleurs, la Direction générale du travail, autorité centrale de l’inspection du travail, "déplore les agissements de cet agent suspendu. Ils nuisent à l’action du système d’inspection du travail, à son efficacité et à l’esprit qui doit l’animer dans cette période de crise alors même que les enjeux sanitaires et organisationnels auxquels sont confrontés travailleurs et employeurs nécessitent rigueur, cohérence et discernement".
Plusieurs syndicats ont indiqué à nos confrères de L'Express vouloir saisir l'Organisation internationale du travail sur ce sujet. Au regard de l'article 6 de la convention 81 de 1947 . "Le personnel de l'inspection sera composé de fonctionnaires publics dont le statut et les conditions de service leur assurent la stabilité dans leur emploi et les rendent indépendants de tout changement de gouvernement et de toute influence extérieure indue".