TEMOIGNAGES. "J’ai calé ma vie sur son rythme, sa maladie", dans la Marne, on offre du répit aux aidants familiaux

Dans le cadre historique du château de Juvigny dans la Marne, des aidants familiaux viennent se ressourcer le temps d’un séjour placé sous le signe du bien-être. Une parenthèse utile avant de retourner s’occuper de leur proche malade. Reportage.

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Ils sont cinq. Installés en cercle. Aucun ne se connaît mais tous ont un point commun qui les rapproche instantanément, ce mardi 6 juillet. Depuis quelques mois ou plusieurs années, ils s’occupent au quotidien d’un de leur proche malade. Une vie dédiée à l’autre dans laquelle ils se sont oubliés. Ce séjour de trois jours au cœur du Château de Juvigny a pour objectif de les remettre au centre de l’attention.

C’est le projet mené par Le Bien-être au château, une structure fondée par Fabrice Provin en 2015. "Nous avons voulu apporter aux aidants familiaux du bien-être, mais aussi des outils pour surmonter ce qu’ils vivent tous les jours. C’est une vraie parenthèse enchantée pour prendre du temps pour soi, pour à nouveau affronter des situations difficiles", explique-t-il, enthousiaste.

 

 

"Les gens ne s’imaginent pas ce qu’on peut vivre"

La séance de sophrologie de la veille a fait du chemin chez les participants. Une détente redécouverte pour certains, une prise de conscience pour d'autres. Lionel, 64 ans, est à fleur de peau. Le regard fuyant derrière ses verres de lunettes. Les premiers échanges sont entrecoupés de pleurs. L'homme craque et se reprend aussitôt. Il a passé les 19 dernières années de sa vie à s'occuper de sa femme Catherine, gravement malade.

J’aide mon épouse qui a une sclérose en plaques. Les premières années, elle avait une vie « normale » et le temps passant le handicap s’installe : des troubles visuels, des fourmillements et puis les jambes qui ne répondent plus. Jusqu’au jour où elle devient complètement dépendante.

Lionel, 64 ans, aidant familial.

La maladie s'aggrave et Lionel s'adapte. Des réveils matinaux pour faire ses activités avant de consacrer sa journée aux soins et à l'accompagnement. "J’ai calé ma vie sur son rythme, sa maladie… Ces derniers temps je ne pouvais même plus prendre de moments pour moi. La dernière fois c’était en 2014." Il marque une pause, le temps de calculer. "C'était il y a 7 ans."

C'est donc la première fois qu'il s'accorde une respiration. "Les gens ne s’imaginent pas ce qu’on peut vivre. On s’oublie dans l’urgence."

Brigitte, la châtelaine, s'est grimmée en nourice bienveillante. Elle a servi le café pour la pause. Dans la salle à manger où trône le tableau de son illustre ancêtre, elle est aux petits soins pour ses hôtes très particuliers. Tout est pensé dans les moindres détails pour leur faciliter la vie. Le lieu n'a d'ailleurs pas été choisi au hasard.

De la vie de château à l'évasion

Tout au bout d'une allée d'arbres centenaires, la bâtisse se tapit dans un écrin de verdure. Vingt hectares de parc, un étang qui accueille les visiteurs à l'entrée, et des oiseaux qui sifflent le retour du soleil. Les promenades sont nombreuses, l'évasion presque immédiate. Pour Jean-Marie, la vie de Châtelain est une grande première. La casquette vissée sur la tête, il profite du soleil dans la grande cour centrale.

Lui aussi s'occupe de son épouse. En milieu rural, l'isolement se fait parfois sentir. Cette rencontre avec d'autres aidants lui redonne le sourire. "Depuis dimanche, on écoute les problèmes des collègues. Ça fait du bien parce que ça prouve que la maladie peut toucher tout le monde. Un jour on peut tomber dedans. Ce qu'on apprend aujourd’hui, on pourra le transmettre plus tard."

 

Un séjour entièrement pris en charge

Cette vie de château n'a pas de prix. La preuve : pour les aidants, tout est gratuit. Une pension complète dans un cadre unique, entièrement prise en charge par l'entreprise, grâce à un partenariat avec le département de la Marne et AG2R La Mondiale.

Il s'agit du premier séjour créé spécifiquement pour l’aidant familial sans son proche malade. Une coupure avec la routine pour l'un, une solution temporaire à trouver pour l'autre. "L’enjeu est double : il faut les accueillir, mais surtout il faut trouver une solution de prise en charge du proche malade pendant que l’aidant familial est ici à se ressourcer, soit par le maintien à domicile ou par un hébergement temporaire pendant les trois jours", détaille Fabrice.

L'homme connaît son sujet. Après une longue expérience dans l'aide à la personne, un constat amer se dessine : rien n'est fait pour décharger les aidants de cette activité souvent exercée 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. Pourtant la demande est là. A l'image de ces trois hommes et deux femmes qui s'installent dans la cour de graviers, prêts pour la prochaine activité.

 

Le malade n'est jamais loin

Place aux exercices physiques, qui s'adaptent parfaitement à une activité en duo une fois de retour à la maison. Le malade n'est jamais loin. Pour certains, la santé de leur partenaire a des effets directs sur la leur. Alain, 72 ans, a développé des épisodes anxieux et se sent stressé. Sa femme Patricia souffre de la maladie d'Alzheimer. Sa mémoire courte a cessé de fonctionner et leurs interactions sont presque inexistantes.

Il se confie à cœur ouvert sur cet équilibre fragile. "Il y a des aidants qui se sentent coupables de ne pas faire assez bien pour leur conjoint. Moi, je ne me sens pas coupable, tranche-t-il, lucide. Je fais tout ce qu’il faut." 

Je suis une victime. Une victime collatérale de la maladie d’Alzheimer, parce que ma femme ne se rend pas compte de sa maladie alors que moi c’est au quotidien, en continu.

Alain, 72 ans, aidant familial.

Pendant le séjour, tout sera fait pour qu'ils se détendent. Massage Shiatsu, réflexologie plantaire, temps de parole et repas mijotés. "Je ne savais pas à quoi m’attendre au départ. Mais en repartant, j’aurai appris beaucoup de choses qui vont m’aider, dans ma façon d’agir, dans ma réflexion. Ça sera du positif."

Une aventure que beaucoup de participants souhaitent renouveler et qui devrait continuer de se développer à travers la Champagne-Ardenne. Et pourquoi pas à d'autres départements ? Fabrice, le fondateur, projette de futurs séjours dans l'Oise (Hauts-de-France). De nouveaux aidants, envoyés par des médecins, infirmières libérales, psychologues ou associations, pourraient bientôt signer le livre d'or du château de Juvigny, avec des mots d'espoir et de courage, retrouvés après cette parenthèse hors du temps.

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