De plus en plus d'écoles maternelles et élémentaires, notamment en zone rurale, rassemblent plusieurs niveaux pour ne former qu'une classe. C'est une tendance qui va s'accentuer à la rentrée prochaine dans l'académie de Reims. Faut-il voir le multiniveau d'un bon œil ? Nous avons posé la question aux parents, aux enseignants et aux syndicats.
À Châtillon-sur-Marne, on ne voit pas cela comme une bonne nouvelle. C'est une révolution que va vivre la petite école pour la prochaine rentrée : trois niveaux en une seule classe avec d’un côté 27 enfants en maternelle, moyenne et grande section et de l’autre 25 élèves de CE2, CM1, CM2. C’est la nouvelle organisation que risque de connaître à la rentrée prochaine cette école de la Marne, sous le coup d’une menace de fermeture de classe.
Une décision que doit encore confirmer le rectorat le 23 février prochain, mais contre laquelle les parents d’élèves s’opposent déjà, avec une pétition et un potentiel blocage.
Tandis que la baisse des effectifs s’accentue dans l’académie de Reims - 2.011 élèves en moins à la rentrée 2024 dans le premier degré, le regroupement de niveaux, déjà monnaie courante dans les petites communes, s'accentue et se généralise. Que faut-il en penser ?
Trouver la (fine) limite
La porte-parole nationale du FSU-SNUipp, Guislaine David, voit le double niveau comme "un choix pédagogique intéressant". Idem pour Angélique Pielach, cosecrétaire départementale FSU-SNUipp de la Marne, qui n’est pas formellement contre le regroupement. "Pourquoi pas, quand les effectifs sont aux alentours de 20”, indique-t-elle.
Une bonne idée, à condition qu'il ne soit pas subi et que le nombre d’élèves ou de niveaux ne soit pas trop élevé :“Tout dépend de la taille de la classe. Quand il y a trois niveaux et plus de 25 élèves, ça commence à devenir compliqué", confie Angélique Pielach. "25, c'est juste ingérable", complète Guislaine David.
Odile Thieullet, trésorière de l’association des parents d’élèves de Châtillon-sur-Marne, fixe la même limite : “Trois niveaux à plus de 25, c’est juste dingue”, corrobore cette maman de deux enfants qui ont connu dans l’école marnaise ce type d’organisation.
Entre bénéfices et dégradation de l’accompagnement
Les interlocutrices contactées tiennent toutes les trois à souligner les bénéfices qu’un regroupement peut avoir. Elles citent la nécessité pour l’enfant de se responsabiliser et d’avoir une certaine autonomie, l'acquisition de compétences, la maturité gagnée, l'entraide et la coopération entre les élèves, les nouvelles pratiques de classe avec un enseignant qui n’est plus le seul référent, voire la possibilité pour ceux en avance d’évoluer à un autre rythme.
Toutefois, ces points positifs ne peuvent se déployer que si certaines conditions sont réunies, notamment un âge assez avancé, une autonomie déjà acquise et un temps suffisant pour être auprès de chaque élève. Là où plusieurs niveaux impliquent souvent de ne pas pouvoir répondre dans l’immédiat à quelqu’un qui en aurait besoin. “Certains élèves en difficulté demandent un suivi particulier. C’est pour eux que je m’inquiète”, avance Odile Thieullet.
D'autant que dans certaines écoles avec des triples ou quadruples niveaux, des élèves peuvent être seuls, évoque Guislaine David qui se souvient d'une année avec une personne en CE1.
Une charge de travail accrue pour les enseignants
“Plus il y a de niveaux, plus ça ajoute de travail à l’enseignant. Il faut souvent passer d’un à l’autre sans perdre le fil et on est souvent sollicité de toute part. L’organisation n’est pas toujours évidente”, décrit Angélique Pielach, forte de son expérience en double niveau à plus de 25 élèves.
Elle précise ensuite que ces ressentis sont propres à chacun, avec des enseignants plus ou moins expérimentés qui aiment travailler en cours multiples et d’autres qui se trouvent bloqués. “Mon fils a vu que sa maîtresse était moins zen que d’habitude”, se rappelle Odile Thieullet à propos de son aîné, en sixième, mais auparavant dans une classe à triple niveau.
Une énergie et un temps conséquents, sans temps mort, auxquels s’ajoute parfois un rôle de direction, comme ce sera le cas pour l’institutrice des maternelles de Châtillon-sur-Marne. “Ça devient difficile quand on a toutes les casquettes”, reconnaît sans équivoque Angélique Pielach, directrice d’une école à Reims.
Un contexte anxiogène
La cosecrétaire départementale FSU-SNUipp de la Marne, Angélique Pielach, invite à analyser ce type de mesure dans son ensemble. Pour elle, ce n’est pas une mauvaise idée, à condition qu’elle soit mise en place en accord avec l’ensemble des personnes concernées. “Souvent, le regroupement sert à masquer une suppression de poste ou se met en place car on ne trouve pas de directeur”, déplore-t-elle.
La directrice rémoise aimerait au contraire que davantage de moyens soient attribués pour éviter la fermeture des classes et de postes, qui participent au malaise global de la profession et à la baisse d'attractivité des établissements ruraux. Et Guislaine David prévient : "Quand il y a une perte d’effectifs, l'année d'après on arrive souvent à un seuil plus critique."