Plus d'une centaine de vignerons ont cosigné une tribune, où ils réclament une interdiction des herbicides en Champagne en 2025. Ils dénoncent un revirement de l'interprofession qui s'était engagée en ce sens en 2018. Les représentants s'en défendent et affirment que leur ambition est "absolument inchangée".
C'est un texte qui fait réagir le petit monde du champagne depuis quelques jours. Une tribune publiée le 7 décembre 2022 sur le site internet du journal Le Monde (abonnés) et cosignée par 125 vignerons réclame l'interdiction des herbicides en AOC champagne.
"Il y a quatre ans, en 2018, lors de l’assemblée générale de l’Association viticole champenoise, la Champagne a su prendre collectivement une décision forte pour son avenir, en se fixant pour objectif zéro herbicide en 2025", rappelle le texte signé entre autres par Jérôme Bourgeois, président de l'association des champagnes biologiques ou encore Aurélien Suenen, des champagnes du même nom et également coprésident du groupe Terres & Vins de Champagne.
"Deux objectifs : zéro et cent"
En décembre 2018, Jean-Marie Barillère, qui présidait alors l'Union des maisons de Champagne (UMC), avait en effet indiqué ceci, selon le compte rendu publié à l'époque par nos confrères de l'Union : "Nous nous fixons deux objectifs : zéro et cent. Zéro herbicide en 2025 et 100 % des exploitations certifiées en 2030".
Maxime Toubart, président du syndicat général des vignerons (SGV), expliquait de son côté, toujours cité par l'Union : "Le sujet n’est plus d’afficher une ambition forte en la matière. Le sujet est de savoir comment nous procédons, ce que nous mettons en place, comment nous accompagnons les exploitations pour atteindre cette ambition."
Quatre ans plus tard, à l'occasion de l'assemblée générale du SGV en avril 2022, Maxime Toubart indiquait à la presse que l'interdiction des herbicides ne serait pas inscrite noir sur blanc dans le cahier des charges. Il expliquait alors : "Le zéro herbicide en 2025 est un cap que nous avons fixé et pas une obligation prévue à terme dans le cahier des charges."
"Pas de volte-face"
Les signataires de la tribune dénoncent un "revirement de l'interprofession champenoise qui abandonne aujourd’hui l’objectif de l’interdiction des herbicides dans le cahier des charges de l’appellation champagne."
Interrogé jeudi 8 décembre par nos équipes en marge de l'assemblée 2022 de l'Association viticole champenoise à Épernay, Maxime Toubart s'en défend : "Il n'y a pas de volte-face. L'ambition est intacte."
"C'est une ambition [...] Elle est sûrement trop juste pour certains, elle est déjà bien dépassée pour d'autres", ajoute-t-il. Il souligne également que des annonces ont été faites concernant les émissions carbone de la filière à l'occasion de cette réunion qui a rassemblé plus d'un millier de professionnels. "Notre ambition, c'est de réduire notre empreinte carbone. On a annoncé qu'on avait l'ambition d'avoir une filière 'net zéro carbone' dans quelques années. Donc, on est tous en mouvement, il n'y a pas une solution miracle."
La Champagne est en marche. On a beaucoup de défis à relever. [...] L'ambition première, c'est d'emmener tout le monde, donc de prendre le temps d'emmener tout le monde.
Maxime Toubart, Syndicat général des vignerons
David Chatillon, qui est depuis le début d'année 2022 président de l'Union des maisons de Champagne, affirme également avoir une ambition "absolument inchangée" sur la question des herbicides.
Nos engagements demeurent les mêmes, je ne sais pas qui prétend qu'ils ont changé.
David Chatillon, Union des maisons de Champagne
Pour Jérôme Bourgeois, président de l'association des champagnes biologiques, cette ambition ne pourra se concrétiser que si elle est effectivement inscrite au cahier des charges de l'appellation. "Je ne vois pas comment on pourrait faire autrement. Ce n'est qu'en fixant des contraintes qu'on pourrait vraiment avancer sur ce sujet-là".
"On connaît les dégâts des herbicides sur les sols et puis sur la qualité de l'eau [...] On s'était dit en 2018 qu'enfin on allait de l'avant, qu'on allait se fixer des objectifs ambitieux. Cette année, il y a eu un revirement et c'est pour ça qu'on a décidé de protester et de faire entendre notre voix", ajoute-t-il.
Il rappelle que de nombreux vignerons ont déjà fait le choix de ne plus utiliser de pesticides, sans pour autant aller jusqu'à une certification bio, et "ils arrivent à avoir des rendements très honnêtes", assure-t-il.
L'utilisation des herbicides "motivée par la seule facilité d’usage"
Les signataires de la tribune réclament une Champagne plus vertueuse sur la question des herbicides. "Dans un contexte économique très favorable, notre appellation se doit aujourd’hui et plus que jamais d’être exemplaire. Actuellement, l’utilisation des produits chimiques en Champagne reste motivée par la seule facilité d’usage, associée à un manque de connaissances sur l’impact environnemental et sanitaire des molécules utilisées", renchérissent-t-ils.
Ils dénoncent les méfaits des produits sur la nature et sur la vie de ceux qui les manipulent ou qui habitent près des exploitations. Ils s'interrogent par ailleurs sur l'héritage qu'ils vont léguer : "Quelle Champagne souhaitons-nous laisser à nos jeunes collègues, à nos enfants, aux habitants qui partagent notre territoire ?".
Les signataires concluent leur propos en appelant le "Syndicat général des vignerons et l’Union des maisons de Champagne à poursuivre leur plan de progrès en respectant l’échéance fixée du zéro herbicide en 2025".