Autorisées depuis le 2 juin, les fêtes foraines tardent à redémarrer. Seul Epernay et Reims sont décidées à relancer les animations, les petites communes se montrent plus frileuses. Les forains s’impatientent.
"Nous avons rencontré les élus qui nous ont écoutés, mais depuis, il n’y a pas grand chose de nouveau. Les paroles c’est beau, mais il faut des actes !". Laurent Horneck s’impatiente à son domicile de Troissy dans la Marne, son stand de restauration rapide relégué au hangar depuis bientôt trois mois. Comme ses homologues, ce forain se montre un brin désabusé après la rencontre de la profession avec les services du Premier ministre le 5 juin, puis avec le président de l’Association des maires de France, François Baroin, le 9 juin. Dans un communiqué, l’association d’élus s’est engagée "à sensibiliser les maires de France à l’enjeu économique et social de la reprise d’activité des professionnels forains et circassiens".
Les fêtes programmées en juin annulées
Mais cette volonté ne se traduit pas sur le terrain, pas assez vite en tout cas pour celui qui est aussi secrétaire de l’association DOFFCA (Défense et Organisation des Fêtes Foraines en Champagne-Ardenne). En théorie autorisées depuis le 2 juin, les fêtes foraines n’ont pas retrouvé le coeur des villages champenois, "toutes les fêtes programmées en juin sont annulées. Dans le Nord pourtant, c’est reparti. C’est plus dur dans la Marne", précise Laurent Horneck.
Même incompréhension chez Bruno Moreaux, forain basé à Bétheny à côté de Reims, "quand un préfet ordonne à un maire d’ouvrir son école, il le fait. Mais pour une fête… ".
De nombreuses communes marnaises ont annulé leur fête foraine programmée en juin, et même au-delà, comme l'annonce la commune de Verneuil sur sa page Facebook.
"Un esprit festif qu'on n'a pas cette année"
Ce sont bien les maires qui ont la main. A Mardeuil, c’est ce week end du 12 juin que devait se tenir le rendez-vous annuel. "On est pas contre la fête, mais il faut un esprit festif qu’on a pas vraiment cette année. Certaines personnes ont encore peur de sortir de chez elles", plaide le maire du village de 1.500 habitants, Denis de Chillou de Churet. Lui a décidé à la mi-mai de tout annuler. La fête foraine, mais aussi le feu d’artifice et la retraite aux flambeaux qui l’accompagnent.
Une décision prise « à contre-coeur » dans un contexte de déconfinement et « d’ordres changeants » de l’Etat. Organiser la fête foraine seule, comme le réclamaient les forains ? Difficile pour l’édile, alors qu’il a demandé aux associations communales, très impliquées sur l’événement, de rester chez elles. Et inenvisageable selon lui au niveau sanitaire : « d’après les recommandations envoyées par la sous-préfecture, il aurait fallu s’amuser à compter les personnes qui entrent et qui sortent. Je ne vois pas comment on peut faire ça sur une place de village ouverte. Comment faire respecter un sens de cheminement, et une limitation des groupes à dix personnes ? Et qui va se charger du respect de l’application de ces règles ? C’est absurde. Je ne crois pas à une distanciation possible. Et en cas de problème, on sait bien contre qui les gens vont se retourner, le local ». Autrement dit, le maire.
"Pour nous, c'est désastreux"
Une situation qui désespère les forains : "C’est désastreux pour nous. D’autant que nous n’avons plus droit aux aides depuis le 2 juin », explique Laurent Horneck. Durant le confinement, il a touché 1500 euros par mois de l’Etat. De quoi payer les factures, mais une grande partie du chiffre d’affaires annuel est perdu. Bruno Moreaux, lui, se désole pour « les jeunes qui démarrent et qui ont investi ". Les traites ont été le plus souvent décalées, mais les charges à venir seront d’autant plus lourdes. L’avenir inquiète, alors les forains multiplient les courriers aux mairies, souvent « sans réponse ».
A Reims, la fête voit double
La reprise, c’est dans les villes qu’elle se dessine. Epernay tiendra bien sa fête foraine à partir du 10 juillet, et Reims réfléchit à anticiper l'ouverture de la sienne, dès le début du mois. Une rencontre à ce sujet est prévue bientôt en préfecture. A la différence des villages tels Mardeuil, ces municipalités ont eu plus de temps pour s’organiser. Et disposent de moyens pour appliquer les règles, notamment la clôture des sites. A Reims, côté mesures sanitaires, "on regarde le sens du vent et on s’adapte au jour le jour en fonction des nouvelles informations ", explique Xavier Albertini, adjoint au maire délégué à la sécurité et à l’événementiel, "on attend les annonces en vue du 22 juin (début de la troisième phase de déconfinement, ndlr). Ce qui est certain c’est que cela va s’alléger ". De quoi permettre à la municipalité de voir les choses en grand, avec une fête étirée sur quatre week-end, au lieu de deux habituellement. Un feu d’artifice -modeste- est même envisagé pour le 13 juillet, une manne pour la fête foraine située juste à côté du lieu de tir, proche du stade Delaune. "C'est possible, tant qu'on ne draine pas plus de 5000 personnes. Beaucoup de choses ont été annulées à Reims, il nous faut de l’animation, c’est donc gagnant-gagnant pour eux et la ville", explique l’élu. Cinquante manèges sont attendus.
Tension persistante
Une « bonne nouvelle » pour Laurent Horneck, qui lui posera son stand durant dix jours à Epernay, et qui rappelle le protocole sanitaire appliqué par la profession : "clôture, sens de circulation, distanciation dans les files d’attente et sur les manèges (hors familles, ndlr), plexiglass aux caisses et masques pour le personnel, sans oublier un nettoyage après chaque tour de manège". Des mesures sanitaires jugées adaptées par les forains, alors que la crise du coronavirus s'inscrit dans un contexte marquée depuis plusieurs années par des conflits avec les municipalités autour des emplacements et de la tenue même des rendez-vous. "Certains maires profitent de l'épidémie pour se débarrasser de la fête, c'est un prétexte", glisse d'ailleurs Bruno Moreaux. Signe de la tension persistante, les représentants forains avaient même haussé le ton avant leur rencontre avec François Baroin, président de l'Association des maires de France et maire de Troyes, en menaçant de "bloquer sa ville". Une menace qui n'aura pas été mise à exécution.
Publiée par Nicolas Lemay sur Vendredi 5 juin 2020
A la suite de leur réunion à Matignon, et quatre jours avant leur entrevue avec François Baroin, président de l'Association des maires de France, les forains menaçaient de bloquer la ville de Troyes.
Une certitude : Laurent Horneck regardera de très près l’allocution d'Emmanuel Macron dimanche 14 juin. Il veut croire que le président "souhaite que le déconfinement se fasse plus vite, car il faut commencer à revivre". Et en attend un changement d’attitude dans les plus petites communes. Son espoir : que les fêtes programmées au delà du 10 juillet -à la fin de l’état d’urgence sanitaire- puissent partout reprendre. Sans cacher que dans le cas contraire la colère de la profession pourrait conduire certains, comme cela a été le cas en Picardie, à "monter de forces les manèges dans les communes".