Grand format. Comment l'accueil des migrants s'organise dans la Marne

Le 8 janvier dernier, Gjimile Shala, 80 ans, décédait sur un camp de fortune à Reims. Une histoire tragique, qui soulève la question de l'hébergement des "migrants" dans la Marne. Elus, associations et citoyens s'organisent. 

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Difficile d'oublier ses racines. Saddam a fui son pays. Arrivé du camp de Calais en 2016, Sadam a posé ses valises à Sainte-Menehould. Cette petite ville de l'Argonne était, pour lui, la proche banlieue de Paris. C'est en tout cas de cette façon qu'on lui avait présenté le lieu de son hébergement. Deux ans plus tard, il s'accroche à cette nouvelle vie. Il est devenu un véritable ménéhildien.

"Je me vois rester ici car c'est calme, affirme-t-il. Je veux trouver du travail. Et puis maintenant je connais des gens. J'ai joué au football avec les gens, ils me rendent visite et moi aussi.

A Sainte-Menehould, l'accueil se fait dans le quartier des Vertes Voyes

Sadam habite le quartier des Vertes Voyes de Saint-Menehould où des bâtiments collectifs, qui étaient voués à la destruction, accueillent aujourd'hui des dizaines de personnes exilées. Une volonté municipale avant tout. En 2016, la ville n'a pas hésité à dire oui à la préfecture pour la création d'un centre d'accueil et d'orientation. Les élus ont ensuite voulu faire plus encore et le Cada, centre d'accueil de demandeur d'asile, s'est mis en place.

"Il est très facile pour une collectivité de dire 'On accueille un Cada', assure Bertrand Courot, maire Lrem de Sainte-Ménehould. C'est même le plus facile à faire. Le plus difficile c'est ce qu'ont fait les autres de leur côté, je cite en premier lieu l'association VVV [Via les Voyes Vertes, ndlr] avec des bénévoles qui passent leur temps à les aider. L'Etat a par ailleurs mandaté l'association jamais seul, qu'il rémunère sur la base d'un cahier des charges pour remplir sa mission d'orientation et de traitement des dossiers de demande d'asile." (Vous retrouverez cette interview dans le reportage YouTube ci-dessous.)
 
Un effort soutenu aussi par un troisième acteur, le bailleur social. Propriétaire de nombreux logements dans le quartier des Vertes Voyes, le Foyer Rémois a accepté de prendre sa part d'investissement avec en retour l'assurance du paiement des loyers. 
 

Le Foyer rémois dans la boucle

"Ce quartier a fait l'objet par la passé d'une première tranche de réhabilitation et de démolition, commente Sylvain Le Viol, directeur commercial du Foyer Rémois. Le projet urbain de la ville visait à la démolition. Mais finalement ça a été l'occasion de pouvoir trouver une source de réinvestissement de fonds dans les mois à venir."

Une collaboration qui permet à Sadam de bénéficier d'un accueil privilégié. Chaque jour, il passe au Cada pour voir s'il a du courrier. Surtout, il en profite pour discuter de sa situation avec sa référente Ludivine. Le centre d'accueil de demandeur d'asile est géré par l'association Jamais Seul. Une structure agréée et financée par l'Etat.

"C'est par nous que passent la plupart de leurs démarches administratives, souligne Ludivine Colas, chef du service Cada de Sainte-Menehould et salariée de l'association Jamais Seul. Mais aussi leurs démarches d'insertion. On essaie de les intégrer sur le territoire et auprès des partenaires, de leur faire découvrir la culture française et du territoire. De les outiller pour qu'ils deviennent autonomes une fois qu'ils seront régularisés en France."

Françoise Lozano et tous les bénévoles de l'association Via les Vertes Voyes sont des piliers de l'accueil à Sainte-Menehould. Tous les jours, elles mettent en place des cours de français. Sadam y retrouve Abidullah, Mario, Tamaz, Ziya ses compagnons d'exil.
"Il faut se mettre dans leur peau et se dire 'Si j'étais là, qu'est-ce que je comprendrais ?', s'interroge Françoise Lozano, bénévole. C'est un plaisir. J'apprends plein de choses et c'est enrichissant d'un point de vue personnel."

A Sainte-Menehould, depuis l'arrivée des familles exilées, au moins 20 nationalités se côtoient. L'équipe municipale a su convaincre sa population que Liberté, égalité, fraternité n'étaient pas que des mots au fronton d'une mairie. "Nous pratiquons la main tendue. Ce n'est pas qu'un discours. On parle de fraternité, solidarité…, raconte le maire. Tant que ça ne coûte rien c'est facile mais quand il faut tendre la main c'est plus difficile."

Un accueil pas toujours bien géré

A Reims, le constat se révèle différent. L'exil, l'asile, l'accueil, ces mots résonnent très fort dans la tête de Manar et Mohamed. Le 14 novembre 2016, ils se souviennent de cette date, elle correspond à leur arrivée à Reims, qui sonne comme une résurrection à leurs oreilles. Un refuge pour ce couple et ses trois enfants. En Syrie, leur pays, ils ont connu l'enfer, (comme ils le racontent dans notre reportage, vidéo ci-dessous).
 
"Nous avons marché jusqu'à la frontière turque, puis en Turquie, nous avons traversé en bateau jusqu'en Grèce", se souvient Manar. Et son époux de renchérir :

Encore aujourd'hui je repense aux morts en Méditerranée.

A leur arrivée à Reims, ils sont pris en charge rapidement et pendant une année, ils bénéficient du soutien de l'Armée du Salut. A Bétheny, où ils sont accueillis, les enfants rentrent à l'école. La vie reprend. Aujourd'hui, Manar fait des études pour devenir interprète et Mohamed travaille. Grâce à leurs revenus, ils sont devenus locataires de leur appartement. Ils voient la France comme une terre d'asile.
 

"Maintenant, je veux aider la France"

"C'est tranquille, calme et on se sent en sécurité, assure Manar. Surtout pour mes enfants." "La France c'est mon deuxième pays, confirme Mohammed. Maintenant je veux aider la France."

A Athènes, ils ont connu les camps de réfugiés. A Reims, ils ont évité le pire. Le 26 octobre dernier, un bidonville en plein cœur de Reims, dans le quartier des Verreries, où des bébés et leurs familles sont laissés pour compte, a été démantelé. Les exilés sont alors priés de partir et reloger contraints et forcés, ce jour-là, dans les hôtels de la ville.

Côté institutions, le maire de Reims et le Préfet de la Marne se renvoient la balle de la responsabilité. Pourtant dans cette ville, un millier de logements vides existent. Et l'Etat permet aux élus de réquisitionner les bâtiments publics. Ni le maire de Reims, ni le préfet n'ont souhaité évoquer ces situations.

Mais il y a la loi. "La loi dit qu'au bout de trois jours, quand ils sont enregistrés au Cada, ils doivent avoir leur rdv à la Préfecture, soulève Hervé Augustin président de l'association Saint-Vincent-de-Paul. Lors de ce rdv à la Préfecture, ils ont droit à un logement et leur allocation journalière. Les délais ont été jusqu'à 70 jours. Ils ont été réduits, mais demeurent trop importants."

Alors, la solidarité se met en place autrement. Par exemple une maison, prêtée par une entreprise, sera bientôt détruite. En attendant, Pascal, Bernard, Fabien, Christian et tous les bénévoles l'ont aménagée, et 40 personnes sont accueillies.
 

A Reims, la solidarité grâce aux associations

Trouver d'autres refuges, mais aussi collecter matelas, nourriture, aider à la prise en charge des enfants aussi : c'est la raison d'être du Collectif Reims Exil Solidarité. Ces locaux encore en chantier, accueilleront bientôt les familles d'exilés. Un énorme travail au quotidien pour tous les bénévoles.

Pascal Brière, bénévole au sein du collectif Reims Exil Solidarité, ne se fait pas d'illusion. Il le sait, il "est un petit rouage dans le système." Il se désole du manque d'aide de la part des institutions : "On fait beaucoup avec peu de moyens. Ce qui me scandalise, c'est de voir l'Etat dépenser plusieurs milliards d'euros chaque année dans des hôtels de périphérie, qui bien souvent périclitent et font leur beurre sur les migrants… tout cela pour une chambre à 1.500 euros le mois… nous avec ça, on fait vivre 5 ou 6 familles pendant plusieurs mois."

Hervé Augustin, lui, estime "démarche citoyenne". Il justifie : "Parce qu'il est indispensable que ces gens qui ont vécu dans des conditions très difficiles leur traversée, comme des tortures, des viols… puissent être accueillis dignement. Parce que je n'imagine pas un chef de famille qui arrive ici avec une famille de 5 ou 8 enfants parfois, ne trouvant pas de toit, ne risque pas d'être violent pour s'en sortir. Nous créons donc la paix sociale dans la cité."

Des situations intenables, aussi, pour les structures dont c'est la vocation. L'Armée du Salut possède 530 places d'hébergement à Reims. Toutes occupées. Il faut donc pousser les murs pour accueillir encore. Les salles bien-être, détente et même une des douches de l'Armée du Salut ont été investis. Ces familles de géorgiens dorment au chaud et c'est l'essentiel.

Philippe Wattier, directeur des services de l'Armée du Salut Marne et Ardennes, le concède : "J'ai bien conscience que cet hébergement n'est pas à la hauteur de ce que l'on propose en général, puisqu'on accueille plus de 280 personnes en hébergement d'urgence."

Mais aujourd'hui entre la rue ou être sous tente je pense que cette proposition est acceptable.

Convaincre. Philippe Wattier va régulièrement à la rencontre des élus du territoire. Ses visites ont permis de trouver des maires courageux à Tinqueux, Saint-Brice-Courcelle, Witry-les-Reims, notamment. Des maires qui ont accepté d'accueillir des familles d'exilés.
 
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